Gérer les risques
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Risques industriels et environnementaux

Le ‘‘Quantified-Self’’, moteur de la santé 2.0

Compagnons électroniques, bracelets connectés, balances communicantes, fourchettes électroniques... une foule d’appareils se connectent à notre smartphone pour accéder à des applications de santé et de remise en forme. Sans sortir du bois, assureurs et mutuelles de santé regardent de près ces objets connectés dédiés à la santé. Objectif : s'appuyer sur les données recueillies afin d'améliorer la prévention.

Du poil à gratter ! C’est ce qu’apporte dans le monde la médecine, de la santé et du bien-être le ‘‘QS’’ pour ‘‘Quantified Self’’ – que l’on pourrait traduire par ‘‘Auto-mesure de soi’’ ou ‘‘Santé 2.0’’, voire ‘‘Santé connectée’’. Tout a commencé avec Gary Wolf et Kevin Kelly. En 2007, ces deux journalistes californiens du magazine branché Wired ils initient le mouvement Quantified Self qui regroupe les outils, les principes et les méthodes permettant à chaque personne de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager. Côté outils, le QS mise sur des capteurs, des Apps (applications mobiles reliées à Internet par smartphone) ou des services Web. Demeuré assez confidentiel pendant ses premières années au sein d’une communauté de Geeks et d’Early Adopters, le QS prend une envergure internationale en 2011 lors d’une conférence de Gary Wolf et Kevin Kelly à Mountain View (Californie). A partir de là, des ‘‘chapitres’’ nationaux, à savoir des associations nationales, se sont ouverts un peu partout dans le monde.

De l’automesure au QS. Bien sûr, la mesure du corps ne date pas d’hier. « Depuis plus d’un siècle, tous les foyers français disposent de balances et de thermomètres », remarque le Dr. Nicolas Postel-Vinay, médecin spécialiste de l’hypertension artérielle qui, en tant que directeur du site médical indépendant Automesure.com ouvert en 1999, a initié le premier mouvement QS dans le médical. « En France, trois millions de personnes hypertendues, par exemple, auto-mesurent leur tension artérielle chez elles. » D’autres capteurs complètent l’offre médicale : les spiromètres (mesure de la respiration), les lecteurs de glycémie (taux de sucre dans le sang), les lecteurs de la coagulation du sang, les oxymètres du pouls (saturation en oxygène de l’hémoglobine artérielle)… L’intérêt de ces instruments d’auto-mesure consiste à multiplier les relevés et donc à fournir un nombre de données bien plus élevé que s’il fallait, pour cela, aller à chaque fois chez son médecin. Jusqu’ici, ces équipements de mesure, pour la plupart, ne communiquaient pas leurs données à un système informatique. C’est sous l’influence du ‘‘fun’’ apporté par le QS sportif que les lignes de front ont bougé. En témoigne l’iBGStar de Sanofi, le premier lecteur de glycémie lancé en 2013 qui se connecte à un iPhone ou un iPod Touch. De quoi archiver, imprimer ou transmettre les mesures par mail à son diabétologue.

Santé, sport et bien-être. Reste que, en majorité, les dizaines de millions d’utilisateurs de QS dans le monde quantifient avant tout les efforts qu’ils fournissent pour améliorer leur santé, leurs performances sportives ou leur bien-être : les distances parcourues en courant, les 5 000 à 10 000 pas effectués chaque jour, les marches d’escalier montées à pieds, les cigarettes non fumées, les hamburgers bien gras qu’ils refusent héroïquement de dévorer ! Toutes ces micro-mesures de soi correspondent à autant de micro-décisions – ou de micro-lâchetés – de la vie quotidienne. Une fois captées, puis transmises à l’application mobile via le smartphone et archivées dans le Cloud, les données des capteurs – ou celles que l’utilisateur saisit directement sur son smartphone – sont interprétées par l’application Cloud à l’aide d’algorithmes plus ou moins puissants. Objectif : afficher les résultats immédiatement de façon simple et ludique sur l’écran du smartphone. Voire prodiguer des conseils.

Des capteurs pour toutes les situations. De fait, le passage de l’automesure médicale au QS s’est véritablement accéléré grâce au développement du smartphone et aux capteurs capables de se connecter à Internet via Bluetooth ou Wifi. A commencer par la balance communicante. « Il faut dire que la surveillance du poids est l’une des priorités majeures de l’automesure », rappelle Nicolas Postel-Vinay. Citons les balances connectées du pionnier français Withings, lancées en 2009 suivi, sur ce créneau, des américains Fitbit et iHealth. Lesquels viennent d’être imités par Terraillon qui lance simultanément une offre de pèse-personne, de tensiomètre et de podomètre connectés.

En fait, les fabricants ont inondé le marché d’un tas de petits objets électroniques portatifs (Wearables) qui ont fortement segmenté l’offre : podomètres pour compter les pas effectués dans la journée, accéléromètres pour quantifier l’intensité de l’effort (qui fait perdre du poids), électrocardiogrammes, coachs électroniques portables (‘‘compagnons électroniques’’), détecteurs des phases du sommeil… Il existe même une fourchette électronique, la Hapifork du français Hapilabs qui, en vibrant lorsque les bouchées sont trop rapprochées contribue à lutter contre le surpoids.

Autre exemple : Beddit veut améliorer notre sommeil en plaçant une bande de capteurs très fine sous le drap de notre lit pour enregistrer les rythme cardiaque et respiratoire, les ronflements, les mouvements ainsi que les bruits et la température ambiante dans la chambre… Withings lui emboîte le pas avec son nouveau système d’assistance au sommeil, baptisé Aura. « Ce produit, qui arrivera sur le marché au printemps, n’a pas d’équivalent sur le marché à l’heure actuelle, se félicite Cédric Hutchings, directeur général de Withings.Il se compose d’un capteur très fin à glisser sous le matelas et d’une lampe design qui analyse les données recueillies et adapte en conséquence les programmes lumineux et audio. »

Le business de la donnée.Non contents de segmenter produits et applications, les fabricants multiplient les déclinaisons de produits au sein d’une même niche. Ainsi FitBit a-t-il trois coach électroniques allant de 60 à 100 euros. « Le premier se porte au poignet et les deux autres, qui se clippent, se connectent automatiquement en tâche de fond au smartphone de sorte que l’information soit continuellement mise à jour, explique Benoît Raimbault, directeur marketing Europe de FitBit, une start-up de 150 salariés, basée à San Francisco (Californie). De cette manière, l’utilisateur peut recevoir des notifications concernant l’évolution de ses résultats.Voire des félicitations… » Une chose est sûre : les compagnons électroniques restituent à la demande les données captées sous formes de tableaux de bord synthétiques et de graphiques actualisés…

Car les données sont l’or noir du ‘‘Quantified-Self’’. A cet égard, les grandes manœuvre ont démarré comme l’illustre Orange qui prévoit d’ouvrir en 2015 une plate-forme Cloud pour permettre à chacun d’agréger ses données QS et choisir comment elles pourraient être analysées. L’enjeu est double : aider citoyens et salariés à mieux se connaître en vue d’améliorer leur condition physique grâce à la corrélation des données, au Big Data et à des puissants modèles mathématiques d’analyse. Et fournir de précieux jeux de données à la communauté académique et aux industriels. « Nous fournissons déjà des données agrégées – anonymisées – aux chercheurs de certaines universités américaines, comme Stanford et Cornell », précise Cédric Hutchings. De leur côté, les groupes pharmaceutiques cherchent ainsi à améliorer le traitement de certaines pathologies, en collaboration avec les patients. Avec son application pour smartphone Diabeo, Sanofi permet ainsi aux diabétiques d’adapter les doses d’insuline en fonction des données collectées par l’intermédiaire de ses lecteurs mobiles de glycémie BGStar et iBGStar.

Vers le Corporate Wellness.Pour les professionnels de santé, et notamment pour ceux de la santé au travail, le QS représente l’opportunité d’améliorer la santé au travail afin d’instaurer, de façon plus ludique, des programmes de prévention. Entre autres exemples, le groupe américain Aetna permet ainsi à ses assurés de regrouper dans une même application mobile des données issues de leur dossier médical personnel et d’autres provenant des solutions de QS, dont celles de Withings ou de Jawbone. Dans l’Hexagone, « de grands assureurs mutualistes mènent actuellement des expériences avec les objets connectés de Withings », confie Cédric Hutchings. On n’en saura pas plus. En revanche, à l’instar des entreprises américaines, les entreprises françaises s’intéressent de plus en plus à des programmes de remise en forme pour leurs salariés. On parle alors de ‘‘Corporate Wellness’’. En France, le groupe pharmaceutique Novartis serait l’un des premiers à avoir franchi le pas.

© Erick Haehnsen

La Smart Watch signe la reprise en main du QS par les ténors
A moins de grossir très vite, les Pure Players du Quantified Self ont du mouron à se faire. En effet, après avoir laissé les start-up ouvrir le marché, les mastodontes reviennent en force. L’heure n’est pas encore à la concentration mais les grandes marques veulent revenir sur le devant de la scène.« Désormais, elles lorgnent le marché de la santé connectée et du Wearable », reconnaît Patrice Slupowski, directeur de l’innovation numérique d’Orange qui a lancé l’an dernier Body Guru, une application mobile expérimentale de santé connectée. De son côté, Apple jette un pavé dans la mare du QS avec son dernier né, l’iPhone 5s, qui embarque un accéléromètre, un gyroscope et un compas. Autrement dit, un podomètre. Un terrain sur lequel Samsung a échoué avec son Galaxy S4.
En effet, l’enjeu est peut-être ailleurs : « D’ici trois ans, les podomètres devraient être intégrés aux montres connectées », prédit Emmanuel Gadenne, fondateur du collectif Quantified Self Paris. « La Smart Watch (montre connectée) et la Smart Glass (lunettes connectées) vont devenir le deuxième écran de la mobilité, analyse Patrice Slupowski. Le smartphone va revenir dans la poche pour n’être plus qu’un relais de communication vers Internet. » Une chose est sûre : chacun fourbit ses armes. L’enjeu vise à séduire le marché des mutuelles de santé. A l’instar des opérateurs télécoms avec les smartphones, celles-ci pourraient sponsoriser les équipements de QS afin de réaliser des économies grâce à la prévention.

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