Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risque incendie

Gestion de crise incendie : quelles spécificités ?

L’incendie de Lubrizol a obligé les autorités à réfléchir à une nouvelle organisation pour la gestion de crise incendie. Tour d’horizon.

 

À la différence des catastrophes naturelles, les incendies sont des événements spontanés. Imprudence, défaillance technique, malveillance, erreur de procédé, mauvaise manipulation… les origine de l’incendie sont diverses.

Reste que « la progression des incendies reste assez stable avec une légère augmentation de l’ordre de 3 % entre 2018 et 2019, indique Yannick Grivaud, membre du Gefpi (Groupement des entreprises de formation prévention au risque incendie), syndicat affilié à la FFMI (Fédération française des métiers de l’incendie).

On compte ainsi 305 000 incendies en 2018 contre 316 000 en 2019. Les feux dans les installations soumises à réglementation représentent à peine 10 % des feux en France. Alors que les feux d’habitation en représentent environ le quart. Idem pour les feux de végétation. Les incendies sur la voie publique (dont les feux de véhicules) en représentent la moitié.

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Explosion dans un bâtiment en bande R+1+ combles avec un feu localisé au R+1 à l’arrivée des secours. © SDIS77

Préparer la crise en amont

« Témoin visuel, une victime ou un exploitant d’un site… à l’origine de l’alerte incendie, il y a un requérant qui appelle. L’alerte est alors traitée au niveau du 18-112 par des opérateurs spécialement formés pour recueillir le maximum d’informations de la part de personnes parfois en situation de stress, indique Benoît Fradin, commandant de sapeur-pompier au SDIS77 (Service départemental d’incendie et de secours).

En fonction des éléments ainsi recueillis, de la sensibilité des sites et de la connaissance que nous pouvons en avoir, nous dimensionnons les volumes de secours que nous allons engager. Dans certains cas, ces engagements sont même pré-dimensionnés. Mais, plus l’information est précise, mieux nous pouvons adapter l’engagement. »

Réglementation post-Lubrizol

À cet égard, la réglementation post-Lubrizol du 24 septembre 2020, éclaircit la préparation et la prévention des risques. Parmi les principales dispositions, retenons, entre autres, l’obligation d’élaborer un Plan de défense incendie (PDI) pour l’ensemble des entrepôts qui stockent des combustibles et des liquides inflammables ; avec, notamment, la définition des procédures d’urgence, le dimensionnement des ressources suffisantes en eau ou en émulseur ainsi que les informations (nature, volumes, mode de conditionnement et emplacement des combustibles et inflammables) pour éteindre le feu.

Dans ce plan, l’exploitant fournit la description et les documents de conformité de son système d’extinction automatique, lorsqu’il existe, ainsi que la description des moyens d’extinction et de rétention des polluants. Enfin, l’exploitant d’entrepôt stockant des matières combustibles et inflammables devra réaliser deux modélisations numériques.

La première porte sur les flux thermiques. Et la seconde sur les produits contenus dans les fumées du point de vue de la santé humaine et de l’environnement. Bien sûr, l’exploitant doit aussi communiquer, à l’occasion de l’incendie, les informations exploitables par les services publics sur l’état et la nature des stocks.

Jouer les scénarios de crise jusqu’au bout

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Yannick Grivaud, membre du Gefpi, syndicat affilié à la FFMI. © DR

« Depuis l’incendie de Lubrizol, les obligations concernant la tenue à jour des informations sur les matières stockées ont été renforcées, rappelle Yannick Grivaud. L’incendie de Lubrizol a poussé le législateur à préciser davantage les obligations en termes de gestion de crise. Un certain nombre de dispositions liées aux exercices et au plan de défense incendie ont été durcies. Les autorités vont y porter une attention particulière. »

Et de recommander, lors des exercices de POI (Plan d’opération interne)ou de PDI (Plan de défense intgerne) de jouer le scénario de crise jusqu’au bout. Et ce, dans la mesure où beaucoup d’industriels et de logisticiens se contentent d’effectuer des exercices d’évacuation.

 

Jouer le scenario le plus redouté

« Concernant les scénarios, je recommande de choisir un événement redouté comme une fuite de gaz, l’écoulement d’un produit chimique ou un départ de feu non maîtrisable », indique Yannick Grivaud, par ailleurs responsable du département Etudes et Formation chez Desautel, spécialiste de la sécurité des personnes et de la protection des biens contre le risque incendie.

Cet exercice va permettre de vérifier que chacun sait ce qu’il a à faire. Et de vérifier le bon fonctionnement de l’organisation en respectant les différentes étapes de la gestion du sinistre. Depuis sa découverte jusqu’à la transmission rapide et intelligible de l’alerte aux pompiers, la mairie, la préfecture, DREAL, etc.

Bien-sûr l’alerte doit aussi être donnée au siège de l’entreprise et aux entreprises situées à proximité du lieu du sinistre. À ce titre, il est essentiel de désigner une personne en charge de vérifier que les numéros de téléphone sont mis à jour régulièrement.

Former les personnels qui donnent l’alerte

Idem pour les fiches Réflexe qui rassemblent toutes les informations et les mesures à prendre en cas de fuite de gaz, d’écoulement de produits dangereux ou tout autre sinistre. Ces documents doivent être à portée de main non seulement du responsable du site. M

ais aussi du poste de garde, sachant que c’est l’agent de sécurité incendie qui devra alerter les pompiers, leur délivrer les informations nécessaires et libérer l’accès aux portes afin de faciliter l’accès des secours.

Il est important que ces personnes, souvent des sous-traitants, soient informées et formées à prendre les premières mesures d’urgence. Le scénario choisi pour l’exercice doit aussi porter sur l’évacuation du personnel, encadrée par des managers ou chef d’équipe ou tout autre personne ayant autorité.

« Ces équipiers doivent être formés. Et cette formation doit être régulièrement mise à jour », indique Yannick Grivaud qui recommande aux entreprises de s’assurer de la bonne tenue des exercices d’évacuation.

Pour donner plus de réalisme et habituer le personnel à savoir réagir en situation d’urgence, ce dernier conseille l’emploi de fumigènes.

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Traitée au niveau du 18-112 par des opérateurs spécialement formés, l’alerte permet de recueillir le maximum d’informations afin d’adapter les moyens à engager. © SDIS77

Dossier d’étude de danger

En matière de risques industriels, tout débute par la maîtrise des risques à la source. Un exploitant qui veut implanter un nouveau site ou modifier un site existant doit présenter un dossier d’étude de danger afin de recueillir l’avis de l’administration.

En fonction de la nomenclature, le site aura un régime d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). À savoir autorisation, enregistrement ou déclaration.

« Les dossiers d’étude de danger ne sont pas nouveaux. Ils sont consultés par différents services dont le SDIS, reprend Benoît Fradin. Mais il faut savoir que les modélisations numériques ne sont pas toujours obligatoires, notamment pour les sites soumis à déclaration et ces documents, ainsi que le plan d’opération interne (POI) de l’exploitant permettent de préparer l’intervention des sapeurs-pompiers. Ces documents sources sont associés à d’éventuels documents techniques et scientifiques complémentaire, susceptibles d’évoluer dans le temps avec l’actualisation des connaissances. »

Chaîne de commandement

C’est sur cette base que seront planifiés et réalisés des tests et des exercices de terrain pour permettre à l’ensemble des acteurs d’appréhender ces risques. À commencer par l’exploitant qui les connaît.

Il a également la capacité à organiser l’évacuation des personnels et à mettre ses bâtiments en sécurité. « Ensuite, pour mener à bien les opérations sur le terrain, un grand nombre d’entités peut être mobilisé », rappelle Benoît Fradin.

Citons les services de secours:

  • les forces de police,
  • les autorités locales (mairie, préfecture),
  • les services de voirie,
  • l’Agence régionale de santé (ARS),
  • les services d’aide médicale urgente (SAMU) o
  • u Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR),
  • l’Agence de qualité de l’air,
  • la Direction régionale de l’environnement,
  • de l’aménagement et du logement (DREAL)

ou encore, en Île-de-France:

  • la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement,
  • de l’aménagement et des transports (DRIEAT).

L’ensemble de ces entités contribue à la nécessaire gestion interservices d’un sinistre d’ampleur. Il y a aussi parfois des sociétés privées qui effectuent des prestations spécifiques, comme les sociétés de pompage.

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L’application Open Source Akt’N’Map du français Kalisio intègre des images provenant, entre autres, de la constellation Copernicus. CC ESA

Des outils numériques d’alerte, de sollicitation et de coordination

Pour orchestrer les différentes interventions, une organisation du commandement coordonne la sollicitation inter-service. Ensuite, chaque corps dispose de son propre outil informatique pour ses personnels.

En témoigne l’application sur smartphone Akt’N’Map utilisée par le SDIS32 qui permet de renseigner la structure de l’organisation (SDIS, SAMU…), d’enregistrer les membres et de les répartir dans des groupes ; de leur assigner des rôles, des compétences et des fonctions.

En quelques secondes, l’organisation, par exemple le SDIS, géolocalise ses équipes, envoie les notifications pour les mobiliser selon les compétences à réquisitionner.

« En une minute, toutes les personnes disponibles peuvent confirmer qu’elles partent ou non vers le site. On peut envoyer des instructions ou des plans . On peut même parler avec les personnes dans l’application. Par exemple pour indiquer quel véhicule prendre dans tel centre avant d’être guidé vers le site d’intervention », explique Luc Claustres cofondateur de Kalisio, basée à Castelnaudary (11).

S’interfacer avec d’autres systèmes d’information

Le coordinateur de l’événement peut alors suivre en temps réel l’évolution des personnes sur l’intervention. Du côté des personnes notifiées, Akt’N’Map enclenche automatiquement le GPS de la personne notifiée qui accepte la mission, jusqu’au site de l’intervention.

Aujourd’hui, l’application permet d’inclure des associations externes, comme le Bouclier bleu qui travaille de concert avec le SDIS32 pour mettre en place des procédures particulières afin de protéger le patrimoine culturel menacé par un incendie. La solution s’interface également avec des systèmes d’information géographiques (SIG) des SDIS afin de les transporter sur le terrain.

« Nous intégrons également les données de services tiers comme celles de la mission Sentinel opérée par de la constellation de satellites Copernicus de Agence spatiale européenne (ESA). Laquelle fournit des prévisions de risque d’incendie sur certaines zones », précise Luc Clautres.

Autre précision, les utilisateurs d’Akt’N’Mapp peuvent envoyer des photos de l’événement et les partager avec toute la chaîne de commandement. Toutefois, cette solution n’est pas généralisée à l’ensemble de SDIS. « Pour notre part, nous utilisons des drones pour envoyer et partager nos images avec la chaîne de commandement », précise le commandant Benoît Fradin du SDIS77

Les pièges dans lesquels ne pas tomber

L’une des grosses erreurs à éviter, c’est d’appliquer le même PDI ou POI à deux entreprises qui se ressemblent. « En effet, elles ne stockent pas les mêmes produits et n’ont pas les mêmes accès de secours, ni les mêmes moyens d’intervention », souligne Yannick Grivaud.

L’autre erreur à éviter, c’est de ne pas collaborer avec les autorités. « Au contraire, il faut communiquer le plus possible avec les services de secours et la préfecture de sorte à ce qu’ils puissent préparer leur intervention en cas de sinistre », recommande Yannick Grivaud qui conseille même de les inviter à participer aux exercices menés dans le cadre d’un PDI ou d’un POI afin d’en corriger les éventuelles erreurs.

Un risque bien anticipé par les grandes entreprises

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Olivier Velin Consultant en gestion des risques. © DR

Par ailleurs, qu’en est-il des activités non régies par la réglementation ICPE ? Globalement, les grandes entreprises ont une gestion de crise incendie plutôt bien maîtrisée.

« Et ce, notamment dans les banques où l’incendie figure parmi les risques opérationnels pris en compte par la réglementation prudentielle Bâle », rapporte Olivier Velin, consultant en gestion de crise.

Le risque incendie est celui auquel les entreprises accordent généralement le plus de moyens de prévention et de protection. Elles savent l’anticiper et s’en prémunir avec des systèmes redondants à base de sprinklers, RIA (Robinet d’incendie armés), extincteurs, etc.

Des exercices réguliers

Par ailleurs, elles doivent réaliser régulièrement des exercices d’évacuation d’incendie.

« Ils ont lieu au moins une fois par an de sorte que les employés agissent rapidement sans avoir besoin de réfléchir à la conduite à tenir », insiste Olivier Velin.

Ce dernier rappelle la nécessité de s’appuyer en interne sur des équipiers de première intervention incendie. Il s’agit de personnes désignées par l’employeur ou des collaborateurs volontaires qui sont formés pour intervenir en cas de départ de feu.

En cas d’incendie, ils se mettent à la disposition des pompiers. En effet, ces derniers ne connaissent pas forcément la configuration des lieux. En outre, ces équipiers seront chargés d’empêcher les tiers d’accéder aux lieux afin de ne pas gêner les secours.

Enfin, l’entreprise doit prévoir à l’avance un site de secours où tous les collaborateurs de l’entreprise pourront continuer à travailler. Sachant que dans neuf cas sur dix, il y a des risques que leur activité disparaisse si elles tardent à reprendre le cours des affaires.

Eliane Kan et Erick Haehnsen

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