Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

La distribution soigne ses TMS

Caissières, responsables de rayon ou préparateurs de commandes : tous les métiers de la distribution souffre d'un taux élevé de TMS. Pour endiguer ces troubles, c'est l'organisation du travail qu'il faut, bien souvent, revoir.

En matière de troubles musculosquelettiques, le secteur de la distribution affiche des performances bien médiocres. Selon une enquête réalisée en 2008 par 350 médecins du travail auprès de 5 000 salariés de la grande distribution, 85 % sont atteints de troubles musculosquelettiques, contre 75 % pour l’ensemble de la population. 
Plus précisément, 60 % ont mal au dos et 30 % souffrent de douleurs aux poignets et aux épaules.

Dans la grande distribution, l’indice de fréquence des TMS, calculé par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), atteint 5,2 pour mille contre 2,03 en moyenne. Pis, il a progressé de 13 % entre 2008 et 2009 – contre 9,6 % ailleurs.

Des causes de TMS aussi diverses que les métiers

Du petit commerce à l’hypermarché, de la grande surface de bricolage au magasin de sport, les métiers sont nombreux qui exigent des manutentions manuelles multiples et répétitives. Les tendinites des hôtesses de caisse, contraintes de manipuler en permanence les articles des clients toujours pressés, sont désormais connues du grand public. En bref dans la distribution les TMS sont lieux commun

En revanche, on ignore davantage les difficultés de leurs collègues qui, en magasin, débarquent les palettes de marchandises, les rangent dans les stocks, les mettent dans des rayons pas toujours facilement accessibles, veillent à ce que les produits frais les plus anciens se trouvent bien à l’avant des présentoirs…

Idem chez les artisans commerçants – bouchers, fromagers, boulangers… –, contraints, eux aussi ,de répéter en permanence les mêmes gestes difficiles dans des environnements parfois inconfortables. Sans oublier, dans les entrepôts, les préparateurs de commandes, qui passent leurs journées à charger des palettes de cartons destinés à approvisionner la distribution. Bref, le secteur fourmille de métiers physiquement exigeants. Facteur aggravant : on oublie parfois qu’il s’agit de « vrais métiers, exigeant de vraies compétences », précise Jean-Pierre Zana, expert conseil et ergonome à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Autre particularité, alors que, dans l’industrie, l’ingénieur des méthodes a toujours joué un rôle crucial, ici, le secteur est dominé par les acheteurs, pas toujours conscients des réalités industrielles du terrain.

La stratégie des petits pas

Témoignage de Jean -Paul Liot, ingénieur conseil à la CNAMTS.

Jean-Paul Liot n’est pas forcément l’homme le plus populaire dans le secteur de la grande distribution alimentaire. Tant pis, il assume: « C’est l’une des seules branches où nous ne constatons pas d’amélioration en termes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Or le secteur emploie environ 500 000 personnes ! Bien sûr, certaines enseignes avancent, indéniablement. Et nous avons, du reste, signé des chartes avec, par exemple, Casino ou Auchan. Mais pas toutes. Depuis 2005, nous avons donc décidé d’aider la profession en imposant un socle minimum d’exigences en matière de conception des laboratoires, que tous doivent respecter. C’est la stratégie des petits pas, qui, nous l’espérons, permettra de redresser la situation. »

En 2009, la CNAMTS a demandé à ce que les personnels chargés de remplir les rayons des liquides et des fruits et légumes disposent d’un tire-palette électrique à haute levée. Ainsi, au lieu de saisir les chargements au ras du sol, peuvent-ils les prendre à une hauteur de 70 ou 80 cm. Ce qui réduit l’effort de manutention. En 2010, l’organisme paritaire a prié les consommateurs de laisser les colis de plus de 8 kilos dans leur chariot : packs d’eau ou de lait. Du coup, l’hôtesse de caisse n’a plus à manipuler ces produits pondéreux.

Cette année, ce sont les réserves des magasins que les agents des Carsat* visiteront en priorité : les racks sont-ils bien rangés ? Arrimés ? Existe-t-il des procédures en magasin pour vérifier régulièrement leur solidité ? En 2012, l’exigence devrait porter sur la hauteur des palettes qui sera limitée. « Même pour des produits légers, comme les salades, vider des palettes d’une hauteur dépassant parfois les 2 m sollicite énormément les épaules », explique Jean-Paul Liot. Les enseignes qui ne respecteraient pas ces préconisations seront sanctionnées, via le paiement de cotisations supplémentaires.

* CARSAT : Caisse d’assurance retraite et santé au travail

Le secteur entame sa révolution culturelle

« La surveillance épidémiologique s’organise », assure Evelyne Escriva, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Et chacun prend conscience que l’augmentation du nombre de maladies professionnelles et la progression inéluctable de la moyenne d’âge ont un coût qui pénalise l’efficacité des entreprises : absentéisme, turn-over, manque d’attractivité… Ces derniers temps, la CNAMTS a décidé de manier le bâton, imposant chaque année de nouvelles contraintes (voir encadré),qui, parfois, impliquent des investissements coûteux.

Parallèlement aux initiatives individuelles de chaque enseigne, la profession s’est donc mobilisée, sous l’impulsion notamment de l’INRS et de Perifem – l’association technique du commerce et de la distribution. Les deux organismes planchent ainsi à la rédaction d’une norme Afnor concernant le poste d’encaissement dans les magasins afin d’en améliorer son ergonomie. « Une première ! », souligne Jean-Pierre Zana. « Nous connaissons les chiffres des TMS dans la profession et souhaitons avancer de manière constructive. Nous savons que notre future norme ne pourra pas tout changer immédiatement, mais elle influera les renouvellements des postes d’encaissement », explique Franck Charton, délégué général de Perifem.

Chacun en est toutefois bien conscient : la mise au point de nouveaux outils techniques est indispensable. Mais elle n’est pas suffisante. « Les meilleures chaussures de course ne permettent pas de courir le marathon sans entraînement », résume Gilles Galichet, ergonome et ergomotricien au sein du cabinet Valessentia, spécialiste de la prévention des TMS. L’action doit se situer à trois niveaux : l’environnement, les compétences de l’individu et le management. L’adoption de nouveaux outils techniques, plus  »ergonomiques » ne vient, du reste bien souvent, que couronner une démarche plus globale. C’est le cas, par exemple, de l’entrepôt Carrefour de la Chapelle-d’Armentières, dans le Nord, géré par la société ID Logistics. Il vient de s’équiper de nouveaux chariots élévateurs, conçus par la société BT, les  »Pick-n-Go ».

Révolutionnaires, ces chariots bénéficient d’un guidage laser. Nul besoin alors, pour le préparateur, de passer son temps à monter et descendre du chariot afin de le conduire. Une simple commande vocale suffit. De la même façon, le chariot est capable de monter ou descendre ses charges, par exemple dans les virages, pour gérer les à-coups et éviter la chute des cartons. Il se met aussi automatiquement à hauteur, se montre capable, en temps masqué, de se rendre seul dans la salle de picking et de se mettre en position d’attente pour une prochaine commande. « Cela limite beaucoup les problèmes de chevilles par exemple », explique Julien Valle, responsable du site. Le chariot affiche aussi une vitesse moyenne plus régulière, ce qui ralentit le rythme cardiaque des préparateurs. « Mais le préparateur reste maître du chariot, c’est bien lui qui commande les déplacements, et non l’inverse. »

Testé depuis l’automne, généralisé depuis le début de l’année, le pick-n-go a vocation à se généraliser dans les divers entrepôts d’ID Logistics. Mais à la Chapelle-d’Armentières, on ne l’a pas attendu pour réduire la fréquence des TMS à un taux très sensiblement inférieur à celui de la profession ! Explications: « Nous avons, d’abord, une main d’œuvre expérimentée. Le management est aussi très sensibilisé aux questions d’absentéisme et de sécurité. Ce sont des sujets sur lesquels nous communiquons beaucoup », précise Julien Valle. Depuis 2009, l’entrepôt a enfin travaillé avec Carrefour sur une certaine  »détente des flux ». « Désormais, pour quelques magasins, nous avons jusqu’à J+1 pour livrer les commandes que nous devions auparavant préparer le soir même », explique Julien Valle. Cela permet de mieux lisser la charge de travail. »

Prévention, formation des managers, prise en compte des risques psychosociaux… Casino multiplie les moyens d’action.

« Impossible de l’ignorer : le nombre de maladies professionnelles augmente. Et l’immense majorité d’entre elles sont des TMS », constate Séverine Reboullet, directrice du pôle santé et sécurité au travail du groupe Casino, qui a multiplié les initiatives. « En 2006, nous avons initié dans nos supermarchés la démarche  »Cap Prévention ». Au moins une fois par an, nos managers, préalablement formés à l’écoute, recueillent les témoignages de tous les salariés sur leurs éventuelles gênes au travail. »

C’est ainsi, par exemple que les écrans tactiles des caisses ont été adaptés aux gauchers ou que l’on a équipé les hôtesses de  »douchettes » sans fil permettant de lire le code-barres des objets laissés dans les chariots. La démarche Cap Prévention, qui touche 70 % du personnel, sera bientôt généralisée. Le groupe s’est engagé auprès de la CNAMTS pour mettre en œuvre ce programme, mais aussi pour prendre en compte les questions d’ergonomie dès la conception, la rénovation ou l’extension des locaux.

Tous les nouveaux métiers, par exemple liés au e-commerce, font aussi l’objet d’une étude d’ergonomie. Par ailleurs, des échauffements musculaires ont été introduits dans les entrepôts. Cette démarche a été formalisée dans deux accords avec les partenaires sociaux. Le premier, signé en décembre 2010, porte sur la santé et la sécurité au travail. L’autre, conclu en janvier 2010, concerne les risques psychosociaux car les TMS résultent aussi du stress dû à l’environnement du travail.

« Nous venons ainsi d’éditer le guide Mieux dans son job, destiné à sensibiliser les managers. Nous allons ensuite les former pour qu’ils comprennent que, involontairement, ils peuvent parfois contribuer à accroître la pression. » Le groupe Casino a réussi à diminuer le taux de fréquence et le taux de gravité des TMS, qui sont sensiblement inférieurs à la moyenne de la profession. « Nous devons désormais nous attaquer aux maladies professionnelles », confie Séverine Reboullet. Les réflexions sont en cours.

Le rôle clé de l’organisation du travail

Organisation des espaces et outils ergonomiques ne suffisent pas. Encore faut-il veiller également à la disponibilité des produits et à la régularité des cadences. C’est du moins l’avis de Gilles Galichet de Valessentia qui est intervenu sur le site de préparation des colis de La Redoute à Roubaix. « Il est crucial d’assurer à chaque opérateur la stabilité de son environnement », insiste-t-il. A l’aise dans son poste, celui-ci pourra alors s’attacher à l’efficacité de ses gestes. Le travail des ergonomes-ergomotriciens consiste alors à former les personnels en se penchant, avec eux, sur leurs mouvements quotidiens. Ceci permet de mettre en évidence les gestes à risque et de réfléchir à ceux qui pourraient les soulager. « Chacun doit apprendre à percevoir son corps afin de sentir ce qui lui convient ou non. » Enfin, cette démarche doit être intégrée au management quotidien. Chaque opérateur doit pouvoir exprimer ses doléances, chaque nouvelle tâche, chaque nouvelle embauche, doit faire l’objet d’un audit. « Il s’agit de créer une véritable culture et s’assurer de la transmission de cette culture à tout le personnel », conclut Gilles Galichet. « La prévention des TMS s’inscrit obligatoirement dans la durée », renchérit Evelyne Escriva, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). En effet, à La Redoute, la mission de Valessentia a duré cinq années !

© Catherine Bernard / Agence TCA-innov24

Leroy Merlin soigne le balisage des chemins dans l’entrepôt

Dès la construction de son nouvel entrepôt à Dourges (Pas-de-Calais), la direction du site a érigé la sécurité de la manutention en impératif incontournable.

« Les 190 salariés manipulent des colis extrêmement hétérogènes. Les cartons de carrelages pèsent de 30 à 50 kilos, et certaines fenêtres jusqu’à 120 kg ! » , explique Philippe Wartelle, animateur sécurité et chargé de la maintenance au nouvel entrepôt de Leroy Merlin à Dourges (Pas-de-Calais). « Nous devions vraiment réfléchir à l’ergonomie du site. Autrement dit, aux façons d’adapter le travail au personnel. »

Philippe Wartelle a donc demandé à Jean-Pierre Zana, expert conseil et ergonome à l’INRS de réaliser un audit qu’il a présenté ensuite au Comité de direction et à Olivier Mangnier, directeur du site. La décision a été prise de travailler avec un cabinet spécialisé, Elite Organisations, choisi selon un cahier des charges édifié avec les ressources humaines. Un kinésithérapeute préventeur et un ergonome ont établi une cartographie des risques en étroite association avec le personnel. « Ainsi, le kiné-préventeur a questionné, de façon tout à fait confidentielle, 50 personnes sur la pénibilité et les difficultés spécifiques  »santé » qu’elles rencontrent au quotidien », poursuit Philippe Wartelle.

De ces travaux est sortie une cotation des différents chemins de préparation de commandes, du plus facile au plus pénible ( »nocif »), barème inspiré de la cotation énergétique que l’on retrouve en  »électro-ménager ». Les équipes se sont concertées, certains postes de travail ont été réaménagés, par exemple en installant des réhausses pour que les préparateurs aient constamment le matériel à bonne hauteur. Ou en faisant en sorte que les adhésifs, les documents de préparation ou les petits outils soient facilement disponibles. Les « chemins » comportant de grosses difficultés de manutention classés en catégorie  »nocif » ont tous fait l’objet d’études et de modifications. Ceux comportant des produits lourds ou encombrants sont désormais pratiqués à deux collaborateurs et les préparateurs alternent les différents types de chemin, des plus difficiles aux plus simples.

Sous l’œil des experts, les groupes de travail ont aussi réfléchi aux  »bons gestes » susceptibles de diminuer la pénibilité. « Par exemple, il est plus facile de déplacer un carton de carrelage en le roulant qu’en le portant », reprend Philippe Wartelle. Ces gestes métier sont expliqués et transmis par des  »relais BEAT » – pour Bien être au travail. Lesquels sont également chargés d’enseigner à leurs collègues de travail des méthodes de respiration, d’étirement et de ressenti de son propre corps. Mais l’entrepôt de Dourges ne constitue qu’une première étape pour Leroy Merlin. Ainsi, assure Philippe Wartelle, « certains magasins pilotes réfléchissent en profondeur à leur organisation. Et nous travaillons avec nos fournisseurs sur la façon d’améliorer la palettisation, ou le colisage ».

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