Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

Troubles musculosquelettiques | Eviter les « bad vibes »

A des degrés plus ou moins graves, les maladies professionnelles dues aux vibrations en situation de travail touchent des millions de salariés en France. Les directives européennes qui y sont afférentes sont désormais entrées en vigueur. Les fabricants d’engins mobiles et machines tenues à la main ainsi que les employeurs doivent tout faire pour réduire le risque pour les salariés concernés.

« En France, 2 à 3 millions de salariés sont exposés au risque de pathologies professionnelles dues aux vibrations transmises aux membres supérieurs (main, poignets) par des machines vibrantes ou portatives (brise-béton, meuleuses, perforateurs, fouloirs, ponceuses…). Soit 10 % environ de la population salariée ! », soulève Patrice Donati, responsable du laboratoire de prévention technique des machines à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles). « Il faut compter également 2 à 3 millions de salariés exposés aux vibrations transmises au corps entier par les véhicules et les engins (chariots de manutention, engins de chantier…) et certaines machines industrielles fixes (tables vibrantes, concasseurs…). »

Deux directives européennes

On s’en doute, la durée de cette exposition aux vibrations peut aller de dix minutes par semaine ou six à huit heures par jour. De même, l’intensité des vibrations diffère selon qu’elles proviennent d’un brise-béton ou d’une visseuse, d’un dumper de 100 t dans une mine à ciel ouvert ou d’un chariot élévateur dans un entrepôt flambant neuf. Il n’empêche, le phénomène est suffisamment massif et aigu pour que la Commission européenne ait édicté deux directives que les États membres ont dû transposer dans leur droit national. A savoir la directive « Machine » 2006/42/CE (modifiant la directive 95/16/CE, elle-même modifiée par la directive 98/37/CE) entrée en vigueur le 29 juin 2009 et devenue obligatoire le 29 décembre 2009. Et la directive « Vibrations » 2002/44/EC « relative aux exigences minimales d’hygiène et sécurité pour l’exposition des employés aux risques résultant d’agents physiques », entrée en vigueur en France le 4 juillet 2005 dont les les dispositions ne sont devenues applicables qu’au terme d’une période transitoire s’étant terminée le 6 juillet 2010.

MicroMega Dynamics démocratise la mesure des vibrations in situ.
> Ce bureau de développement belge a élaboré, en collaboration avec l’INRS, deux outils simples à utiliser pour mesurer les vibrations
« corps entier » et « main-bras ».

« L’INRS* voulait mettre au point une solution pour la mesure des vibrations dues aux engins et aux machines tenues à la main très simple à utiliser pour les préventeurs. L’institut a alors lancé un appel d’offres que nous avons remporté en 2006 », explique Stéphane Nijs, directeur commercial de Micromega Dynamics, un bureau de développement spécialisé dans le secteur de la vibration, basé près de Namur, en Belgique. Un an plus tard, Micromega Dynamics sort Vib@Work Evec, un dosimètre qui mesure les vibrations transmises à l’ensemble du corps.

Il suffit d’installer une interface en forme de galette sur le siège de l’engin (dumper, pelleteuse, chariot élévateur…) et d’armer les capteurs qui fonctionnent sans câble pour acquérir les mesures. En fin de journée, on récupère les infos par une liaison Bluetooth avec un PC portable ou un PDA », poursuit Stéphane Nijs. De quoi considérablement simplifier la mesure des vibrations car il n’est plus nécessaire de câbler les capteurs et le dosimètre. Qui plus est, le résultat est directement lisible grâce à des voyants indiquant qu’on est dans la norme (orange), qu’on la dépasse (rouge) ou que l’on est en-dessous (vert).

Quant au dosimètre main-bras, baptisé Vib@Work Main-Bras, il est sorti fin 2010. De taille réduite (1 cm x 2 cm x 3 cm), le capteur autonome se fixe à même la machine tenue à la main. L’utilisateur peut continuer à travailler sans entrave puisque, ici aussi, il n’y a besoin d’aucun câble. « Une fois les mesures enregistrées par le capteur, on le place dans une station d’accueil, un peu comme un iPhone sur son Dock, afin de transmettre les informations à un PC », précise Stéphane Nijs qui vise le marché des grands groupes ayant un CHSCT** intégré ainsi que ceux des cabinets conseil spécialisés en prévention et des organismes de contrôle et de prévention.

Micromega Dynamics n’hésite pas à marcher sur les plates-bandes de puissants concurrents établis depuis longtemps comme B&K ou 01dB. Avec un argument choc : pour prendre ses mesures in situ, le préventeur n’a plus à faire appel à un technicien expert, qui devra câbler son dispositif d’instrumentation.

Obligés de respecter la norme, les fabricants sont tenus de déclarer dans leurs notices techniques les valeurs de vibrations émises par leurs  engins et leurs machines tenues à la main. Mais ces chiffres restent relativement théoriques car ils sont obtenus de manière non représentative. Ils sous-estiment les expositions réelles. Avec la mesure in situ, il y aura bien sûr des écarts. « Un chariot élévateur peut avoir d’excellentes caractéristiques mais être utilisé dans un environnement parfois quelque peu dégradé », ajoute Stéphane Nijs. « Nous ne sommes pas là pour distribuer les bons ou les mauvais points aux fabricants mais pour mesurer le risque qu’encourt le travailleur. »

Impact des vibrations sur la santé

Quels sont les effets des « Bad Vibes » en situation de travail sur le corps humain ? En ce qui concerne les membres supérieurs, on enregistre deux niveaux de pathologies reconnues au titre du tableau 69 des maladies professionnelles du régime général : les troubles ostéoarticulaires et les troubles angioneurotiques. Les premiers peuvent se manifester sous forme de lésions des os du poignet (le semi lunaire et le scaphoïde) très douloureuses. Ainsi que sous forme d’arthrose hyperostosante du coude. En d’autres termes, il s’agit d’une ossification des insertions tendineuses. Laquelle empêche de replier ou de tendre complètement le coude. « Ces pathologies sont susceptibles d’apparaître avec un usage intensif et répété de machines percutantes (marteaux-piqueurs, burineurs, piqueurs, dameuses) et rotopercutantes (perforateurs…) », précise Patrice Donati.

Quant aux troubles angioneurotiques, ils se caractérisent par le « syndrome des doigts blancs »(une variante de la maladie de Raynaud ), à savoir par une difficulté à réchauffer les doigts en raison de problèmes de circulation sanguine. Pis, les salariés peuvent être affectés par des troubles neurologiques, notamment par une atteinte des neurorécepteurs. « Le salarié perd la sensibilité de sa main. Conséquence, il peut serrer trop fort ou pas assez la machine qu’il tient à la main. Le risque de se blesser s’accroît », souligne Patrice Donati, qui pointe du doigt les machines rotatives comme les ponceuses, meuleuses et tronçonneuses à chaîne. « Les machines rotatives sont employées 4 à 5 fois plus que les machines percutantes. »

Pour leur part, les vibrations transmises à l’ensemble du corps sont générées par des véhicules et passent essentiellement par le siège. En France, on compte ainsi près d’un million de tracteurs agricoles et forestiers (avec, en moyenne, deux engins par conducteur), 200 000 à 300 000 engins de chantier (un conducteur par engin)… et 300 000 à 500 000 chariots élévateurs (deux à trois conducteurs par chariot). « Le trouble principal dû à ces vibrations est la lombalgie qui est inscrite au tableau 97 des maladies professionnelles du régime général », explique Évelyne Escriva, chargée de mission au département santé et travail à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

Réduire les vibrations à la source

Les fabricants de matériels vibrants n’ont plus le choix : ils doivent réduire le plus possible, selon les règles de l’art, les vibrations que transmettent leurs produits et déclarer le niveau vibratoire émis (lequel s’exprime en m/sec². Ce qui crée, de facto, une situation de concurrence. Qui plus est, l’employeur a également pour obligation de tout mettre en œuvre pour réduire le risque d’exposition aux vibrations. Première voie : réduire les vibrations à la source. Chez les fabricants, les constructeurs d’engins de chantier et de chariots élévateurs ont tirés les premiers. « Nous avons amélioré nos chariots élévateurs depuis 2007 en Allemagne », explique Stéphane Boutron, responsable de la communication de Still France. « Les fabricants de chariots, par exemple, doivent équiper leurs engins avec des sièges adaptés aux vibrations et déclarer l’émission vibratoire globale du véhicule. Au final, la valeur d’exposition quotidienne pour les machines mobiles ne doit pas excéder la valeur limite réglementaire fixée à 1,15 m/sec²  », commente Patrice Donati. De son côté Still s’est appuyé sur ses équipementiers en sièges, notamment Grammer et Isri. « En raison de la réglementation, nous avons pris conscience de l’importance du siège, de ses réglages par rapport au poids », reprend Stéphane Boutron.

Autre prise de conscience : la justification du prix très élevé de tels sièges : entre 600 et 1 200 euros pour des véhicules vendus en moyenne autour de 25 000 euros. Vient ensuite le choix délicat des bandages (les pneus) : dimensions, types (pleins, souples, super élastiques…). Des pneus super élastiques sont certes plus confortables mais peuvent se révéler dangereux lorsqu’il s’agit de gerber à 10 ou 15 m de hauteur.

 

De leur côté, les fabricants de machines électroportatives multiplient les efforts mais n’ont pas encore réussi à doter toutes leurs gammes de systèmes anti-vibration. « Nous avons traité en priorité avec les outils pour le béton et le métal. A présent, notre action s’étend aux outils pour la découpe du bois et les outils sans fil », confie Pauline Viaud-Fouquet, chef de produit pour l’outillage professionnel chez Bosch. « La valeur limite d’exposition réglementaire est de 5 m/sec² sur 8 h de travail pour les vibrations main-bras. Avant les efforts d’amélioration, les marteaux-piqueurs étaient à 20 à 30 m/sec² », rappelle Patrice Donati de l’INRS, organisme qui a développé le premier système de suspension souple pour ce type de machines réduisant par 2 ou 3 le niveau vibratoire. « Aujourd’hui, tous ces matériels sont équipés. A cause de l’obligation de déclarer chez le fabricant et de celle, chez l’employeur, de calculer l’exposition. Soit il emploie 5 personnes qui travaillent 15 minutes, soit il achète un marteau-piqueur avec suspension. »

Le calcul est vite fait. Et les constructeurs l’ont bien compris. Ils ont amélioré certains produits grâce des systèmes de suspension souple à ressort qui désolidarisent les poignées des sources de vibration (recouverte de caoutchouc) et à des mécanismes d’amortissement des coups par contre-poids qui évacuent les vibrations vers l’extérieur. Pour sa part, le marteau-piqueur D25712K de chez DeWalt (groupe Stanley-Black & Decker) réduit le niveau de vibration à 7,8 m/sec² autorisant ainsi une durée du travail de 3h17. « Aujourd’hui, pratiquement tous les fabricants de marteaux-piqueurs ont dans leur gamme des brise-béton traités efficacement contre les vibrations. Des progrès restent à faire en ce qui concerne les piqueurs et les burineurs », estime Patrice Donati.

Reste que calculer la durée du temps d’exposition aux vibrations par rapport au niveau vibratoire des machine est complexe. D’autant que cette durée n’est pas linéaire. Certes, les fabricants comme Bosch, proposent des interfaces de calcul sur leur site Web – de même que l’INRS. Cependant, ces calculs sont théoriques. Dans de nombreux cas, il est préférable de mesurer l’exposition aux vibrations dans des conditions réelles sur le terrain.

A l’instar de ce que propose Bruëlet Kjaer, Svantech, 01dB ou Micromega Dynamics avec sa nouvelle génération de capteurs (lire encadré). Or ces mesures sont nécessaires pour prendre des décisions en matière de choix non seulement pour d’éventuelles machines mais surtout pour l’organisation du travail. Pour trouver une aide dans ces évaluations, l’entreprise peut s’adresser aux centres de mesures physiques des Carsat-Cram (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) ou à des organismes comme le Cetim (Centre technique des industries mécaniques), Metravib ainsi que certaines Apave.

 

Un logiciel, une méthode et un réseau contre les troubles musculosquelettiques

> L’Aract Aquitaine a piloté le développement du logiciel Muska TMS. Lequel permet d’analyser en vidéo les gestes et postures des séquences de travail. Et surtout de simuler des solutions pour prévenir les troubles musculosquelettiques (TMS). Un réseau d’expert se met en place.

Plus de 1 000 téléchargements en un mois sur le site Web www.muskatms.fr ! C’est le record qu’enregistre Muska TMS, le logiciel d’analyse et de simulation pour prévenir les troubles musculosquelettiques (TMS). Un logiciel à la fois performant et facile à utiliser dont le développement a été piloté par Xavier Merlin, chargé de mission à l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) d’Aquitaine : « Sa conception a démarré au sein d’un grand groupe industriel de la région. Nous avons adapté cet outil au contexte des PME-TPE et confié son développement à un prestataire informatique. » L’aventure a duré environ trois ans.

Première originalité, Muska TMS analyse des situations de travail réelles à partir de séquences vidéo ainsi que la durée d’exposition aux dangers et les phases de récupération. Seconde originalité, Muska TMS simule l’impact de solutions, aussi bien techniques qu’organisationnelles, pour la prévention du risque de TMS. Par exemple lorsqu’on envisage de remplacer certains outils par d’autres moins vibrants. De même, on peut simuler des modifications dans la conception du produit à fabriquer. « S’il y a des vis à tête fendue, on peut les remplacer par des vis-étoile. Comme celles-ci glissent moins, l’effort pour visser est moindre », commente Xavier Merlin. « Côté organisation du travail, on peut également simuler la réduction du risque grâce une rotation entre des postes. A condition de former les équipes à ces différents postes », reprend le chargé de mission de l’Aract Aquitaine.

Bien sûr, la simulation des solutions ne sort pas d’un chapeau. Il faut, au préalable mettre en place une démarche de prévention pilotée par un chef de projet en concertation avec les acteurs de l’entreprise et de la prévention du risque de TMS : le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le préventeur, lorsque l’entreprise est assez importante pour en disposer. Ou des acteurs externes (service de santé au travail, préventeurs institutionnels, consultants…) lorsqu’il s’agit d’une PME. Cette équipe identifie les situations de travail à étudier ainsi que leurs différentes variables : la taille des personnes concernées, leur formation, leur ancienneté… « Il faut dresser un panel représentatif des personnes qui interviennent sur le poste de travail et étudier les modes opératoires nominaux et dégradés. Une fois ce travail effectué, on va filmer ces opérations de fabrication avec l’accord d’opérateurs volontaires », souligne Xavier Merlin.

Le logiciel permet alors de découper chaque opération en actions, qui sont ensuite cotées en fonction des angles des articulations (épaules, coudes, poignets et cou), de la durée et de l’intensité de l’effort. C’est là qu’on tient compte, notamment, des vibrations dues aux outils employés. Les résultats issus de ces cotations donnent des arguments concrets pour prendre des décisions : identifier les pistes de solutions et les prioriser. « L’entreprise peut décider de recourir à de nouveaux outils moins vibrants. S’il reste un risque après les aménagements techniques, on peut envisager des rotations entre les collaborateurs pour limiter l’exposition nominale de chacun », poursuit Xavier Merlin. « Évidemment, ce n’est pas le logiciel qui indique la solution à adopter mais les analystes et les parties prenantes, en particulier les opérateurs. »

Au bout de trois ans de développement et de test en collaboration avec, notamment, la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Aquitaine, la Mutualité sociale agricole (MSA), l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), les services de santé au travail AHI 33 et ASTPB, le cabinet Ergonomie et Conception, l’IUT de Bordeaux…  et plusieurs entreprises aquitaines, Muska TMS est aujourd’hui utilisable en entreprise. « Cependant, ce logiciel requiert de réelles compétences d’où la mise en place par l’Anact d’une formation spécifique. Les PME n’auront peut-être pas les ressources nécessaires pour l’utiliser elles-mêmes », reconnaît Xavier Merlin. « Pour pallier ce problème, nous sommes en train de constituer un réseau de cabinets conseil et d’institutionnels. »

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