Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

Risque industriel : le protocole Transaid testé en grandeur réelle

Lorsque les sapeurs-pompiers sont confrontés à un risque chimique réclamant l'avis ou l'intervention d'un expert, ils peuvent activer Transaid, un protocole qui les relie à l'Union des industries chimiques (UIC). Preuve à l'appui grâce à cette simulation en grandeur réelle où un grave accident de la route a impliqué des poids-lourds transportant des matières dangereuses.

Vitrolles (Bouches-du-Rhône), le 25 novembre. Une simulation de grande ampleur se déroule sur le plateau technique de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Objectif : préparer les futurs officiers professionnels à faire face aux situations d’accidents qui impliquent un risque chimique. Et les habituer dès maintenant à activer le protocole Transaid lorsqu’ils ont besoin de demander l’intervention d’experts spécialisés.
Pour rappel, Transaid repose sur un Partenariat public-privé (PPP) conclu il y a 20 ans entre les membres de l’Union des industries chimiques (UIC), un regroupement de syndicats professionnels et la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) – une branche du ministère de l’Intérieur. De cette dernière dépendent notamment les Services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) qui regroupent les sapeurs-pompiers de chaque département. En mars dernier, pour la première fois de son histoire, le protocole a été mis à jour. La révision visait principalement à simplifier le régime dont relèvent les salariés des industriels lorsqu’ils participent à des missions de sécurité civile (voir encadré : Transaid, revu et corrigé).Scénario catastrophe. Il est 14h30. Un cortège de camions de pompiers estampillés Ensosp arrive sur la zone accidentée. Il s’agit du groupe  »Secours routiers », un ensemble de sapeurs-pompiers équipés pour faire face aux cas classiques d’accidents de la route.
Le scénario : sur une portion de l’autoroute A3, deux camions citerne se sont renversés. La remorque du premier véhicule est fissurée et un torrent d’acide sulfurique (visqueux, incolore et inodore) jaillit. Corrosif, le liquide inonde la chaussée, tandis que des vapeurs toxiques se répandent dans l’atmosphère. Un corps inanimé gît au sol, vraisemblablement celui du chauffeur. Pour le second poids-lourd, rempli à ras-bord d’éthylène (un gaz hautement inflammable), la situation est moins spectaculaire. Mais elle n’en reste pas moins potentiellement  »explosive ».

Des vapeurs d'acide sulfurique
se répandent dans l'atmosphère.
© TCA-innov24
Des vapeurs d’acide sulfurique
se répandent dans l’atmosphère.
© TCA-innov24

Sauvetage. Depuis son camion, transformé en poste de commandement, le Commandant des opérations de secours (Cos – voir encadré : le Cos au cœur de la riposte) réclame l’assistance de la Cellule mobile d’intervention chimique (Cmic) du département, une unité spécialisée des sapeurs-pompiers. En parallèle, il organise la récupération du blessé.
« Le sauvetage est notre priorité absolu. Lorsque les sapeurs-pompiers arrivent sur une zone accidentée, la première action que doit engager le Cos est de porter assistance aux personnes en danger », souligne le capitaine Yves Guennegan, Cos de cette simulation et chef du service Risques technologiques et naturels au département des formations de professionnalisation (Depro) et des formations spécialisées (Forspe) de l’Ensosp.
Dès que l’ordre est passé, deux sapeurs-pompiers dotés d’Appareils respiratoires isolants (Ari), reliés par l’intermédiaire d’un tuyau à une source d’air comprimé portée dans le dos, pénètrent à l’intérieur de la zone de danger et évacuent le chauffeur. Lequel sera ensuite transféré vers l’infirmerie du site.

Menace thermique. Constatant qu’une intense chaleur se dégage de la citerne remplie d’acide sulfurique, le Cos ordonne la mise en place d’un rideau d’eau à proximité de celle-ci. Le principe est simple : un tuyau pulvérise, grâce à un embout spécifique, de fines gouttelettes d’eau froide à quelques mètres de la source de chaleur.
L’objectif est de ramener la température de la zone à un niveau acceptable afin d’éviter l’explosion du véhicule. Autre avantage du rideau d’eau : il capte les vapeurs toxiques émises par le produit et évite leur propagation dans l’air, les empêchant ainsi de se répandre et d’atteindre les habitations voisines. Détail important, pour être efficace, le rideau d’eau doit être déployé sous le vent. Pendant ce temps, des binômes de sapeurs-pompiers déploient des rubans de signalisation rouge et blanc afin de baliser la zone.

Menace chimique. À 14h50, la Cmic entre en action. Le responsable de l’équipe, spécialisée dans les risques chimiques, envoie une équipe de reconnaissance inspecter la citerne qui fuit. L’idée, c’est de déterminer la nature de la menace.
Équipés d’Ari et de combinaisons intégrales étanches, visant à les protéger contre les gaz, les vapeurs et les produits chimiques liquides, corrosifs et toxiques, deux sapeurs-pompiers du Cmic placent une cuve de récupération sous la fissure responsable de la fuite. Puis ils obturent cette dernière à l’aide de  »pinoches » en téflon (un type de cale). Munis d’appareils de mesure et de matériel spécifique, ils effectuent ensuite des prélèvements qu’ils analyseront à leur retour en zone non contaminée.

Pour l’heure, ils se fraient un passage à l’intérieur de la cabine du conducteur, fouillent la boite à gants et s’emparent des documents de bord liés au transport de matières dangereuses (TMD).
Ils recherchent en particulier la  »fiche de sécurité », un document obligatoire qui précise la nature du danger lié aux matières transportées, ainsi que les mesures de sécurité nécessaires à prendre pour y faire face. Autre document intéressant (également obligatoire) : la  »lettre de voiture » qui identifie formellement les produits transportés et en précise les quantités.

Les sapeurs-pompiers spécialisés fouillent
le camion à la recherche de documents
explicitant la nature des matières
dangereuses transportées.
© TCA-innov24
Les sapeurs-pompiers spécialisés fouillent
le camion à la recherche de documents
explicitant la nature des matières
dangereuses transportées.
© TCA-innov24

Approche systémique. Muni de ces données, la Cmic procède à une analyse du risque. « La méthode la plus efficace, c’est d’utiliser l’approche dite  »systémique ». Il s’agit d’un moyen simple et sûr de catégoriser rapidement les données recueillies », explique le capitaine Benoît Rossow, responsable du service de soutien pédagogique de la division de la formation des Commandants des opérations de secours (Forcos) à l’Ensosp. C’est lui qui prend le rôle du responsable de la Cmic au cours de cet exercice. « L’idée, c’est de distinguer les sources, les flux et les cibles de la menace. Puis de réunir ces trois paramètres au sein d’un tableau synthétique qui fait office d’aide à la décision. »
Concrètement, les  »sources » correspondent au matériel qui est à la base du risque (la citerne, par exemple) et la nature des produits chimiques. Les  »flux », sont les voies par lesquelles le produit dangereux se diffuse, selon qu’il soit (par exemple) gazeux, liquide ou encore thermique. En couplant ces données avec la direction du vent et la topographie du terrain, le chef Cmic va notamment pouvoir déduire les zones de danger. Les  »cibles » identifient pour leur part les éléments à protéger (les personnes, les biens et l’environnement). Première mesure qui découle de ce travail d’analyse : les pompiers colmatent les plaques d’égouts susceptibles d’aspirer les flux chimiques et de contaminer les canalisations de la ville.

Intervention Transaid. Vers 15h45, la menace constituée par la fuite du camion remplit d’acide sulfurique est contrôlée. Reste à gérer le cas du véhicule chargé de gaz éthylène. C’est à ce moment que le Cos décide de mettre en œuvre le protocole Transaid.
Celui-ci lui donne accès à une base de données qui contient de l’information sur 500 produits dangereux. Mais également le contact de 100 membres de l’UIC prêts à dépêcher des experts sur place afin d’épauler les pompiers.
Effectuée via le réseau numérique public de télécommunication Antares (développé par le géant de l’électronique Thales), la requête du Cos est traitée par le Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours (Codis). En pratique, ce Centre de traitement des alertes (CTA) se charge de prévenir l’entreprise membre de l’UIC la plus proche et la mieux qualifiée.

Transfert de l’acide. À 16h20, la société Pétroinéos, sollicitée via Transaid car spécialisée dans le domaine pétrochimique, parvient jusqu’à la zone accidentée. Sa mission : transvaser les résidus d’acide sulfurique présents dans la citerne vers un conteneur de réception, grâce à un système composé de pompes et de tuyaux. À l’autre bout du dispositif, Samat, un transporteur niché sur le segment des matières dangereuses et propriétaire du camion accidenté, récupère l’acide dans un autre poids-lourd, que l’entreprise a fait venir depuis ses locaux jusqu’au lieu de l’accident. Quelques minutes plus tard, des salariés de l’industriel Air Liquide parviennent, eux-aussi, jusqu’à la zone accidentée.

Torchage de l’éthylène. Toutefois, impossible de transférer le contenu du second camion. Les experts d’Air Liquide sont formels : il faut se débarrasser du gaz sur place. Pour cela, ils sont équipés d’un brûleur autonome. Une fois relié à la citerne du poids-lourd, ce dernier aspire l’éthylène et l’injecte dans une torché disposée un peu plus loin. Ce procédé est long et dangereux. Afin de ne pas se laisser surprendre par la direction du vent, une manche à air est déployée.
Par ailleurs, tout au long de la manœuvre, les sapeurs-pompiers du groupe Incendie, soutenus par la Brigade des marins pompiers de Marseille (BMPM) qui est venue en renfort, assurent la sécurité des experts d’Air Liquide. Confronté à l’intense chaleur produite lors du  »torchage », le Cos ordonne par exemple l’installation d’un rideau d’eau supplémentaire à proximité du  »torcheur ».

Debriefing. Quelques heures plus tard, la simulation s’achève. Les officiers de l’Ensosp nettoient la zone et rangent leur matériel. Ils sont désormais formés à ce type d’intervention. Créée en 1977, l’Ensosp est un établissement national qui forme tous les sapeurs-pompiers du territoire, sur un grand spectre de menaces. Citons par exemple la lutte contre l’incendie, le secours aux personnes ou encore les risques technologiques de type Nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique et explosif (NRBCE).
Scindée en trois partie, l’école dispose de deux sites de formation (un à Paris, l’autre à Aix-en-Provence) et d’un plateau technique localisé à Vitrolles. C’est dans cette enceinte (d’une superficie de 23 hectares) que s’est déroulé l’exercice d’aujourd’hui. Depuis l’inauguration de ce site en 2008, c’est la première fois qu’une simulation Transaid de cette envergure est réalisée. Toutefois le protocole est déjà entré en application. Mais sur des situations réelles, lors d’accidents de gravité moindre.

Guillaume Pierre

Transaid, revu et corrigé

Signé en 1987, le protocole d’assistance technique Transaid a été mis à jour le 12 mars 2014 pour la première fois en 20 ans d’existence. Pas de nouveauté technique mais une innovation réglementaire visant à assouplir le dispositif dans le but de le rendre plus attrayant pour les industriels. En effet, sur environ 1.200 membres que compte l’UIC, seuls 100 sont aujourd’hui référencés dans la base de données qui est au centre du dispositif et qui contient les informations de contacts des entreprises enregistrées. Lesquelles sont utiles aux sapeurs-pompiers dès lors qu’ils ont besoin d’aide technique sur une mission.
Or l’un des principaux freins à la participation des industriels de la chimie à ce vaste réseau de soutien résidait dans le régime de réquisition, imposé par les forces de sécurité civile aux entreprises. Ces dernières n’avaient donc pas la possibilité de refuser et devaient se plier aux exigences des sapeurs-pompiers. Une situation d’autant plus ingrate que les dépenses engagées leur étaient automatiquement facturées. La nouvelle version de Transaid a donc pris soin de modifier ce régime qui passe de la réquisition à la sollicitation.
Résultat : les industriels peuvent désormais refuser de donner suite aux requêtes. En outre, tout salarié quittant l’entreprise dans ce cadre, obtient maintenant le statut de  »collaborateur occasionnel du service public ». Du coup, en cas d’accident, le régime de responsabilité est clair : ce n’est pas l’entreprise qui l’assume mais l’Etat (ou la collectivité territoriale, selon le cas). Toutefois, le coût financier de leur intervention reste entièrement à la charge des industriels sollicités. Sauf exception, lorsque (par exemple) leurs équipements sont abîmés à la suite d’une erreur commise par les pompiers.

Le Cos au cœur de la riposte

Le Commandant des opérations de secours (Cos) coordonne les opérations tactiques sur le terrain. De ses capacités de Leadership et d’analyse dépend le bon déroulement de l’intervention. Le Cos est un véritable centre de gravité. Désigné en interne par les sapeurs-pompiers, son niveau de qualification dépend du nombre de véhicules de pompiers qui sont engagés dans la zone. Pour un seul camion, le chef de groupe devient Cos. Lorsque plusieurs véhicules sont engagés (une  »colonne »), c’est le chef de cette colonne qui devient le commandant. Pour les interventions de taille plus importante, on parle d’un Cos de site. Pour des opérations encore plus importantes, c’est la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) qui s’installe aux commandes. En pratique, le Cos a comme mission de mettre en œuvre sur le plan tactique la stratégie élaborée en amont par son supérieur hiérarchique, le Directeur des opérations de secours (Dos). Dans ce type de situation (liée à un risque technologique), le préfet départemental est le Dos.

© TCA

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