Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

Quand l’hyper connexion favorise le burn-out

Les smartphones, tablettes et autres réseaux sociaux pros amène les cadres à travailler de plus en plus souvent le soir et le week-end. Une hyperconnexion au bureau qui commence à alerter les médecins du travail et le syndicat.

Il faut bien le reconnaître, les nouvelles technologies ont gagné le milieu professionnel autant que l’intimité des salariés. Messageries instantanées, smartphones et tablettes permettent aujourd’hui d’être sans cesse connecté. Que ce soit au bureau ou à la maison. Mais aussi d’être joint par son directeur ou son patron à n’importe quel moment de la journée. Ce phénomène des objets connectés au bureau a pris un nom : la « laisse électronique ». Et, en Allemagne, ce risque est pris très au sérieux : les journées d’arrêts maladie pour troubles psychologiques ont augmenté de 40% entre 2008 et 2011. Cette année, la ministre du Travail allemande envisage une loi contre le stress au travail dans laquelle elle voudrait encadrer la possibilité de solliciter les salariés par mail ou par téléphone en dehors des heures de travail. Déjà, quelques entreprises ont commencé à prendre des mesures sur le sujet. Depuis deux ans, Volkswagen bloque ainsi l’accès des mails aux smartphones professionnels entre 18H15 et 7H du matin. Chez BMW, une heure passée à répondre aux mails pros pendant le week-end peut être considérée comme une heure supplémentaire et chez le fabricant automobile Daimler, les salariés qui le souhaitent peuvent installer un logiciel qui efface les mails reçus pendant leurs congés. Cet « assistant » en informe l’expéditeur en lui proposant de renvoyer son message après le retour du salarié ou de contacter une autre personne en cas d’urgence.

Porosité professionnel/privé. Avec ces nouvelles technologies, les univers professionnels, sociaux et privés s’entremêlent de plus en plus. Une porosité qui présente certains risques comme le constate Jean-Claude Delgènes, directeur général du cabinet Technologia spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux : « On peut régler un problème de famille au bureau avec son smartphone. Mais on peut aussi finir un dossier urgent à la maison avec son ordinateur portable. Cette nouvelle articulation des différentes dimensions de la vie provoque chez certains de grandes difficultés. Leurs rythmes sont bousculés et ils n’arrivent plus à récupérer suffisamment. » Comme le rappelle le spécialiste, tout ce qui favorise le sur-engagement professionnel systématique entraîne l’épuisement qui peut mener au burn-out. Or, les smartphones et les tablettes incitent souvent à travailler encore un peu à la maison après la fin de la journée de travail. « Ces outils connectés provoquent une tension permanente. Aujourd’hui, selon les études Technologia, entre 50 et 60% des cadres travaillent encore chez eux en rentrant du travail, soit deux fois plus qu’en 2003. Et depuis quarante ans, nous avons perdu une heure de sommeil par nuit », poursuit Jean-Claude Delgènes.

Pour Marie Pezé, psychanalyste et responsable du réseau de consultations Souffrance et Travail, ces nouvelles technologies constituent une des grandes révolutions industrielles. Elles facilitent le travail sur bien des points, mais leur utilisation massive « plonge le salarié dans un fonctionnement de l’immédiateté. La vitesse d’exécution du travail s’accélère, tous les échanges sont raccourcis, il faut répondre tout de suite, lancer les tâche très rapidement… Ces technologies font travailler les salariés comme des athlètes de la quantité car en allant plus vite, ils produisent plus. Et cette intensité a un impact direct sur la physiologie du corps et le fonctionnement cognitif », indique Marie Pezé qui est également l’auteur du livre Je suis debout bien que blessé. Les racines de la souffrance au travail, paru aux éditions Josette Lyon en avril 2014 (Prix : 16 euros).
Cette intrusion des NTIC dans l’univers professionnel et leurs conséquences sur les risques psychosociaux n’a pas échappé aux membres de l’association Bossons Futé, qui présentent sur leur site Internet la description de près de 400 métiers ou activités avec l’analyse de leurs risques et de leurs préventions. Dans ses fiches de dangers, l’association devrait bientôt mettre en ligne des textes sur les dangers des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ces outils électroniques qui conduisent à travailler après la fin du travail. « Les mails sont devenus des modes d’échanges qui peuvent tenir lieu de preuves d’information en cas de conflits professionnels, remarque Pierrette Trilhe, ancien médecin du travail et secrétaire de l’association Bossons Futé. Du coup, il faut les lire tous pour être sûr de ne pas avoir raté un message important. Mais comme ce sont aussi des outils de communication commerciale, on passe un temps fou à les trier. »

Mieux encadrer les usages. Pour Jean-Claude Delgènes, il est temps de prendre de la maturité dans l’usage des smartphones et autres messageries professionnelles sur tablette. Car la réactivité immédiate de ces outils empêche de prendre du recul. Ce qui est pourtant indispensable à des prises de décisions réfléchies sur le moyen et le long terme. Mais il se souvient de la colère d’une partie des cadres d’une grande entreprise, alors que l’Inspection du travail venait d’exiger la fermeture des bureaux à partir de 21H. « Il est essentiel que les cadres apprennent à débrancher, estime-t-il. Mais il est n’est pas réaliste de leur demander de s’auto-discipliner alors que les charges de travail ne leur permettent pas de lever le pied après la fin de la journée. Les branches professionnelles pourraient négocier de nouveaux usages de ces outils électroniques pour respecter les temps de repos. Et leurs accords auront intérêt à bien expliquer que le fait de ne pas déconnecter finit par faire baisser les capacités d’initiative et la qualité du travail. »
Sur le thème de la régulation de cette disponibilité permanente, les avis divergent. Certains pensent qu’il faut légiférer pour obliger les entreprises et les salariés à mieux respecter les rythmes de vie. D’autres estiment que cela empêcheraient les cadres qui le souhaitent d’aménager leurs horaires de manière plus souple grâce à ces outils électroniques. Mais tous les spécialistes du stress au travail sont d’accord sur un point : poser la question de cette « laisse électronique » permet d’ouvrir des réflexions judicieuses sur les charges de travail et leur adéquation avec la santé des salariés.

Pierrette Trilhe est médecin du travail
retraitée et secrétaire de l’association
Bossons Futé. © D.R.
Pierrette Trilhe est médecin du travail
retraitée et secrétaire de l’association
Bossons Futé. © D.R.

Un rythme électronique trop rapide. De l’avis de Marie Pezé, l’accélération de tous les processus avec ces outils électroniques provoque une tension permanente et une impression de travail bâclé. « Les cadres les dénoncent comme favorisant une exécution du travail au fil de l’eau, précise-t-elle. Ils se plaignent de ne plus avoir le temps de penser et se désolent de devoir exécuter leur travail comme des robots. Et surtout, ils n’ont plus jamais l’impression d’être à jour. Comme le temps nécessaire à la réflexion n’existe plus, le travail effectué n’est plus un travail réfléchi et mesuré, les salariés savent qu’ils l’ont fait dans l’urgence et ils n’en sont pas fiers. »
Sur le phénomène du « jamais à jour », tous les spécialistes de la question le constatent : les cadres travaillent le soir et le week-end pour écluser une charge de travail qui ne tient plus dans des horaires de bureau. Et les outils électroniques leur permettent de le faire. « Ils suppriment la barrière mécanique qui existait entre le travail et la vie privée, rajoute Marie Pezé. Et le salarié est devenu « accro » à cette hyperconnexion au travail. Lui conseiller de déconnecter ne suffit pas. Il faut le déconnecter mécaniquement pour lui imposer cette coupure nécessaire à sa santé. » Pourtant, comme le rappelle la psychologue, il existe déjà des lois sur le sujet. Mais elles ne sont pas ou mal appliquées. « La L 4121 précise que le chef d’entreprise a obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés en termes de résultat et pas seulement en termes de moyen. Le code du travail prévoit aussi un délai minimum de 11 heures entre deux journées de travail. Mais avec les mails et les SMS du soir, c’est rarement possible », poursuit Marie Pezé. En France, un premier accord de branche a récemment inscrit « un droit à la déconnexion » pour les cadres du secteur numérique ne bénéficiant pas d’horaires fixes. Un texte qui évoque l’obligation de décrocher des outils informatiques pour respecter la durée légale de repos minimale.

Florence Pinaud

La laisse du GPS
Les outils connectés reliant le salarié à sa direction peuvent aussi prendre des formes plus discrètes avec les GPS des véhicules de fonction. Ces « fils à la patte » permettent aux directions de connaître la localisation de leurs salariés à tout moment. « Les chauffeurs routiers subissent une surveillance permanente avec les chrono-tachygraphes électroniques, précise Pierrette Trilhe. Leurs déplacements sont vérifiés et ils n’ont plus l’initiative des parcours sans avoir de compte à rendre. La direction peut localiser leur camion grâce au GPS intégré, comme avec de nombreuses voitures de fonction. Du coup, les salariés n’ont plus de vie privée. Leur patron peut savoir où ils sont, même en dehors des horaires de travail. »

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