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Santé et qualité de vie au travail

Ordonnances de la loi Travail : quel impact sur la sécurité et la santé au travail ?

Plafonnement des indemnités prud'homales, fin des vices de forme, fusion des instances représentatives, Code du travail numérique... Les ordonnances réformant le droit du travail, dévoilées jeudi 31 août, donnent de nouvelles conditions au dialogue social. Panorama des principales mesures.

Présentée comme une « réforme ambitieuse, équilibrée et juste », le 6 juin 2017 par Édouard Philippe, Premier ministre, et Muriel Pénicaud, ministre du Travail, la rénovation du modèle social suscite l’enthousiasme pour les uns et la critique pour les autres. Notamment parce que, dans la forme, celle-ci recourt à des ordonnances pour la réforme du Code du travail dont le projet de contenu a été dévoilé aux partenaires sociaux et à la presse ce jeudi 31 août à Matignon. L’agenda est très serré. En effet, les nouvelles consultations auront lieu durant la première quinzaine de septembre auprès de la Commission nationale de la négociation collective, du Conseil d’orientation des conditions de travail, du Conseil supérieur pour l’égalité professionnelle, du Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, des Caisses de sécurité sociale, du Conseil national d’évaluation des normes, du Conseil supérieur de la prud’homie. Tandis que la présentation et l’adoption des ordonnances en Conseil des ministres devrait s’effectuer le 22 septembre 2017.

Priorité aux TPE et PME
Grande nouveauté, la priorité de la réforme du code du travail donne, pour la première fois, la priorité aux TPE et aux PME. Ainsi les entreprises de moins de 50 salariés pourront-elles négocier directement avec un élu du personnel sur 100% des sujets du dialogue social (contre 70% à 80% jusqu’à présent). Lorsqu’il n’y a pas de délégué syndical dans l’entreprise (c’est le cas de 96% des PME), le représentant du personnel, élu par les salariés, pourra conclure un accord collectif sur tous les sujets pour bénéficier des souplesses offertes par la négociation. Autrement dit, toutes les entreprises françaises qui ont des salariés, quel que soit leur nombre, auront un accès direct et simple à la négociation qui est au cœur du projet gouvernemental.
Quant aux TPE de moins de 20 salariés, qui n’ont pas d’élu du personnel, elles auront également la possibilité de négocier avec leurs salariés sur tous les sujets. Concrètement, l’employeur pourra consulter ses salariés pour décider collectivement des règles de vie au travail. Aujourd’hui, c’est déjà le cas pour la mise en place d’un plan d’intéressement ou la validation d’une décision de l’employeur (contreparties au travail dominical par exemple). Les TPE bénéficieront ainsi des mêmes souplesses, des mêmes capacités d’adaptation du droit, que les grandes entreprises. Au menu : rémunération, temps de travail, organisation du travail… Autre nouveauté pour les TPE et les PME, l’accès à un code du travail numérique clair et compréhensible, capable de répondre aux questions concrètes que se posent les patrons des TPE/PME ainsi que leurs salariés.

Dommages et intérêts plafonnés pour limiter l’insécurité des contentieux
Si la majorité des chefs d’entreprise, et particulièrement dans les TPE/PME, n’embauche pas ses salariés pour les licencier, l’incertitude sur le coût d’une rupture potentielle peut néanmoins dissuader de l’envie d’embaucher. Sur ce terrain, la nouvelle réforme apporte un barème qui donne une prévisibilité capable, espère le gouvernement, de lever cette incertitude et de libérer la création d’emplois dans les TPE/PME. Cependant, dans les cas relevant de la discrimination, du harcèlement ou portant atteinte aux libertés fondamentales du salarié, le juge pourra décider librement de la sanction qui s’impose.
En cas de litige avec l’employeur, le projet d’ordonnances offre davantage de prévisibilité, d’équité et de protection grâce à la mise en place d’un plancher et d’un plafond de dommages et intérêts. Aujourd’hui avec une ancienneté et un préjudice similaires, le montant des dommages et intérêts auxquels les prudhommes peuvent leur donner droit en cas de licenciement abusif peut aller du simple au quintuple entre deux juridictions. Par ailleurs, les salariés des TPE bénéficieront d’un plancher. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. A côté de cela, les indemnités légales de licenciement seront majorées de 25%. Autrement dit, un salarié qui gagnait en moyenne 2.000 euros par mois, licencié après 10 années d’ancienneté, verra son indemnité légale passer de 4.000 euros à 5.000 euros.

Licenciements : la fin des vices de forme
C’est une vieille rengaine du patronat : pour créer de l’emploi, les patrons ont besoin de de savoir qu’ils peuvent licencier facilement. A cela s’ajoute la réforme des règles de licenciement permettant que les vices de forme ne l’emportent plus sur le fond. Point important : il y aura une « réforme des règles de licenciement permettant que les vices de forme ne l’emportent plus sur le fond », se réjouit Muriel Pénicaud. Aujourd’hui, un commerçant qui est obligé de licencier un salarié car un nouveau concurrent lui fait perdre du chiffre d’affaires peut être sanctionné par les prud’hommes s’il oublie de préciser dans la lettre de licenciement que le poste est supprimé. Les droits des salariés sont entièrement préservés mais l’employeur ne pourra plus être condamné sur une erreur de forme alors que le fond n’est pas contestable.
A cet égard, Un formulaire-type rappelant les droits et devoirs de chaque partie sera mis à disposition des patrons de TPE/PME pour éviter les erreurs de procédure lors d’un licenciement. Concrètement, un artisan ne bénéficie pas de toute l’aide juridique utile quand il doit licencier. D’ailleurs, c’est souvent un moment difficile pour lui aussi. Voir le licenciement contesté uniquement parce qu’il n’a pas correctement rédigé les documents, c’est ajouter de la complexité qui, loin de protéger le salarié, peut parfois mettre en danger l’entreprise elle-même quand elle n’a que quelques salariés et une faible trésorerie. Le formulaire-type rappellera donc les droits et obligations de chaque partie.

Nouveaux champs de négociation

Les ordonnances annoncent vouloir donner la possibilité d’anticiper et de s’adapter rapidement aux évolutions, à la hausse ou à la baisse du marché, par des accords majoritaires simplifiés sur le temps de travail, la rémunération et la mobilité. Par exemple, lorsqu’une entreprise sait qu’un contrat important va se terminer ou doit se préparer à répondre à une nouvelle commande, mieux vaut travailler avec les représentants des salariés aux modalités d’organisation en termes de temps de travail, de salaire, de mobilité nécessaire etc. Désormais, dans ce type de cas, la loi donnera les moyens par la négociation de soutenir les entreprises à conquérir de nouveaux marchés ou éviter d’en perdre en les aidant à gagner en agilité. Cette mesure, espère le gouvernement, va aider les entreprises, quelle que soit leur taille, à s’adapter plus vite au marché.
En effet, les ordonnances affichent une philosophie qui veut donner la part belle à la négociation et au dialogue sur l’agenda social, les consultations, les modalités d’information qui les concernent. Le code du travail devrait ainsi mieux mobiliser l’ensemble des parties prenantes : salariés, représentants du personnel et chef d’entreprise. Cette nouvelle liberté s’organisera dans le respect d’engagements de calendrier pour les sujets de politiques publiques prioritaires : prise en charge de la pénibilité dans l’entreprise au travers du compte professionnel de prévention, égalité femmes-hommes, etc.). Dans une entreprise où la réussite est portée par l’innovation et l’engagement des salariés, il sera possible de remplacer une prime d’ancienneté imposée par la branche pour un système plus attractif, pour subventionner par exemple la garde d’un jeune enfant ou la rémunération des inventions. Sans accord d’entreprise majoritaire, c’est l’accord de branche qui s’applique.
Par ailleurs, le projet d’ordonnance annonce la création d’un observatoire de la négociation qui devrait apporter des informations sur la progression de la négociation, des élus et des délégués syndicaux. Il suivra également les pratiques de discrimination syndicale. Dans la foulée, les ordonnances cherchent à renforcer les possibilités d’évolution vers l’inspection du travail (par concours) pour les élus du personnel et les délégués syndicaux. Pour faciliter cette transition, il est prévu qu’un réseau de grandes écoles et d’universités volontaires forme chaque année des militants syndicaux.

Fusion des instances représentatives dans le CSE

les ordonnances proposent un dialogue social simplifié et opérationnel par la fusion des trois instances d’information et de consultation en une seule, à savoir le conseil social et économique (CSE) pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Ce CSE fusionnera, dans les entreprises de plus de 50 salariés, les fonctions actuelles des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il en conservera la personnalité morale, ainsi que toutes les compétences et les prérogatives, y compris sur les aspects sécurité et conditions de travail, la capacité de demander des expertises, déclencher des enquêtes et faire des recours judiciaires si nécessaire. Aujourd’hui, pour certains sujets, l’entreprise doit consulter les quatre instances de façon séparée. Un déménagement, par exemple, c’est à la fois un sujet qui a des implications économiques, sociales, de sécurité et de bien-être au travail. Avec une instance unique, salariés et employeurs discuteront au même endroit de tous sujets relatifs à l’entreprise, c’est plus efficace. Pour les entreprises, c’est moins de complexité et pour les partenaires sociaux, c’est plus de poids dans la négociation et un statut renforcé d’interlocuteur privilégié, même dans les plus petites entreprises.
Afin d’associer le personnel aux actions de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, une commission « hygiène, sécurité et conditions de travail » sera obligatoire dans toutes les entreprises à risque (nucléaire, ou classées Seveso), et pour toutes les autres, à partir de 300 salariés. A noter : la régulation des expertises fera l’objet d’une participation financière forfaitaire de 20% du coût des expertises par le CSE sur les expertises ponctuelles. Sauf en ce qui concerne les expertises sur les Plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ainsi que sur les risques graves qui restent pris en charge à 100% par l’employeur comme aujourd’hui.

Sécuriser le télétravail
Afin de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle, le droit au télétravail évolue vers davantage de sécurité et de souplesse. Aujourd’hui deux salariés sur trois souhaitent pouvoir travailler de chez eux. Mais le cadre juridique ne permet pas de répondre à cette aspiration de façon sécurisée. Du coup, à peine 17% des salariés télétravaillent, selon le ministère du Travail, parfois de manière informelle, sans être couverts juridiquement. Désormais, pour les salariés qui télétravaillent, les accidents du travail seront pris en charge dans les mêmes conditions que s’ils étaient dans les locaux de leur employeur.

Erick Haehnsen

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