Gérer les risques
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Risques industriels et environnementaux

Manager un collaborateur en souffrance, ça s’apprend

Stress, solitude, harcèlement, conflits, découragement… Comment réagir ? Face à la souffrance au travail, le manager, qui pilote l’action collective au sein d’une organisation, et qui gère des équipes, se trouve souvent démuni.

2,2 millions. C’est le nombre de travailleurs dans le monde qui meurent chaque année dans le cadre de leur travail, à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle, soit 5 000 personnes par jour, selon une étude du Bureau international du travail. Chez France Telecom en particulier, entre 2008 et 2011, ce sont 69 salariés qui se sont donné la mort. Pour Anne Roulle, ancien membre de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées chez Orange, les managers ne sont pas suffisamment formés à la relation humaine : « Ils n’ont aucun cours concernant la gestion de groupe, la communication individuelle ou l’intégration de profils personnalisés. » Pourtant, des éclairages leur sont nécessaires pour les aider à appréhender de façon plus efficace une situation de crise. « Il y a une chose à savoir. Par exemple, après un choc émotionnel, une dispute ou un épisode de stress, le cerveau limbique est saturé d’hormones émotionnelles et n’est plus en connexion avec le cerveau cognitif, explique Anne Roulle. Rien ne sert alors de raisonner la personne ou de lui demander de se calmer. Mieux vaut attendre que la colère soit retombée, tout en maintenant un lien, en lui disant : « Je vois que tu es en colère. Je comprends que tu sois hors de toi ». »

Chez Orange, suite à la crise sociale et aux vagues de suicides, le programme  »Becoming a manager / Deviens un manager d’équipe », qu’Anne Roulle a contribué à mettre en place, forme principalement les encadrants à observer leurs collaborateurs. « Le rôle du manager est de détecter la souffrance et donc, de développer son sens de l’écoute, poursuit cette formatrice. Il doit guetter toute rupture comportementale : isolement, baisse de résultats, émotion inhabituelle telle que colère ou larmes. » Et écouter, ça s’apprend. « L’astuce fondamentale, c’est d’être silencieux dans sa tête pendant que l’autre parle. Cela paraît évident mais il est très difficile d’être orienté totalement vers son interlocuteur. »

L’entreprise bienveillante. « Parfois un manager a du mal à détecter la souffrance de son collaborateur parce qu’il ne veut ou ne peut pas la voir, avance Chantal Wacquant, thérapeute, coach et consultante en ressources humaines. Par un effet papillon, le manager est parfois un élément de la souffrance du salarié et il est difficile d’être confronté à cette responsabilité. » Dans les années 1980, il était à la mode d’utiliser en management des méthodes « à pression». certains managers, appelés managers harceleurs, utilisaient parfois des méthodes malsaines : sur-utilisation du lien de subordination, de pouvoir et d’organisation, d’objectifs individuels peu réalistes. « Ces problématiques existent toujours mais aujourd’hui, les questionnements proviennent moins de l’individu que de la politique de l’entreprise. » Car la collectivité joue un rôle fondamental dans le bien-être au travail. « La souffrance est multi-factorielle, mais souvent le manque de reconnaissance, de sens, la charge de travail sont pointés, reprend Chantal Wacquant. La posture « d’autorité » du manager doit être complétée par une posture d’accompagnateur. Le manager de proximité doit connaître ses collaborateurs et détecter les signes de détresse. Il doit aussi développer toutes les compétences relationnelles lui permettant d’accompagner au plus juste le collaborateur, en s’appuyant sur les différents acteurs pour une prise en charge efficace, la souffrance ne vient pas d’un problème de salaire mais d’un manque de reconnaissance. »

C’est aux dirigeants de la société et des ressources humaines de se remettre en question en cas de souffrance au travail. N’est-ce pas le résultat d’un processus collectif ? D’un problème de management ? De surcharge de travail ? L’entreprise favorise-t-elle le dialogue et les actes bienveillants envers ses salariés ? En 2013, selon une étude du cabinet d’évaluation et de prévention des risques professionnels Technologia, plus de 50% des cadres travaillent chez eux très régulièrement entre 20h et minuit. En 2003, ils n’étaient que 33% à avouer avoir du mal à décrocher. La plupart du temps, ce travail tardif s’effectue sur le temps libre et se trouve facilité par le recours aux ordinateurs portables ou aux smartphones. En vacances, seuls 23% des cadres déconnectent. « La sphère professionnelle envahit toutes les autres, constate Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia. Mais les salariés ne le tolèrent que parce que le chômage de masse les inquiète. » Dans ce contexte d’intériorisation de la précarité, le manager a un rôle à jouer. « Il doit protéger les forçats du travail, même s’ils aiment leur prison, affirme Jean-Claude Delgènes. Les salariés en burn-out sont toujours des salariés fortement impliqués dans leur travail. Ces individus n’ont pas les capacités de mettre le travail à distance. »

Savoir alerter. En dehors de ces responsabilités de prévention, d’écoute et d’alerte, le manager ne peut guère faire davantage dans la prise en charge de la souffrance au travail. Il peut éventuellement proposer une réorganisation du travail pour soulager le salarié concerné mais si la souffrance persiste, il se doit d’informer le DRH et le médecin du travail. « Le manager n’est pas un psychothérapeute. Son rôle n’est pas de traiter la souffrance au travail », reprend Anne Roulle. Le médecin du travail, lui, est chargé de soutenir la personne en souffrance. « Nous analysons les causes du mal-être et nous proposons des solutions thérapeutiques (orientation vers un psychiatre) et professionnelles (aménagement du poste de travail) », indique le Docteur Michel Bessis. Ce médecin du travail constate une nette augmentation des pathologies liées au stress professionnel. « Avant, 90% des consultations étaient programmées. Or, maintenant, 40 à 50% des visites sont non périodiques. La souffrance au travail devient un cœur de métier. » D’autant que selon une étude parue en janvier dernier par Technologia, plus de 3 millions d’actifs sont fortement exposés au risque de burn-out.

Caroline Albenois

Les signes cliniques de la souffrance au travail 

Un salarié en souffrance somatise : son anxiété s’exprime par des manifestations physiques, cognitives, psychiques ou métaboliques. Irritabilité, pleurs fréquents, tachycardie, tremblements, sueurs, boule œsophagienne sont des symptômes récurrents de la souffrance au travail. L’insomnie, la fatigue, la lutte contre le stress peuvent générer un repli social, affectif et sexuel majeur et une altération progressive de l’état général. Le patient est alors déprimé, voire dépressif. Le stress peut également avoir des effets sur le métabolisme : prise ou perte de poids. Des pertes de mémoire ou des troubles de concentration peuvent surgir, ainsi que des désordres de la sphère digestive, cardiaque ou gynécologique chez les femmes (aménorrhées par exemple). Ces atteintes entraînent un sentiment de dévalorisation, de perte de ses compétences, de culpabilité, une position défensive de justification, un effondrement anxio-dépressif, pouvant mener à un état d’angoisse paroxystique à évolution suicidaire. Les atteintes liées à la souffrance au travail sont de gravité croissante suivant la durée de la situation.

Jean-Claude Delgènes est le directeur
général du cabinet d'évaluation Technologia
© Technologia
Jean-Claude Delgènes est le directeur
général du cabinet d’évaluation Technologia
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