Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

Les TMS ne sont pas une fatalité

Première maladie professionnelle, les TMS ne sont pas une fatalité pour les entreprises qui entament une démarche globale pour améliorer les conditions de travail de leurs salariés. Une démarche qui passe par l'intervention d'un ergonome qui les aidera à améliorer leurs postes de travail.

En l’espace de dix ans, les TMS sont devenues, en France, la première maladie professionnelle reconnue. Tous les secteurs d’activité sont d’ailleurs concernés, en tête l’agro-alimentaire, mais aussi la métallurgie, le BTP, le tri de déchets, le secteur des services, etc. Principales victimes, les femmes et les salariés de plus de 40 ans et ceux dont la durée d’exposition au risque est supérieure à dix ans. Les TMS, appelées aussi affections périarticulaires ou encore pathologies d’hypersollicitation, affectent principalement les tissus mous (muscles, tendons et nerfs) du poignet, de la main, de l’épaule ou du coude. Mais ils se manifestent aussi par des maux de dos. Selon l’INRS, les gestes répétitifs, les efforts excessifs et les postures extrêmes constituent les principales causes de ces affections qui ont tendance à se manifester plus tôt ou à s’aggraver en cas d’organisation du travail inadaptée et ou de situation de stress.

Négliger ces troubles peut coûter cher aux entreprises. D’abord, le salarié atteint de TMS devra être reclassé et remplacé avec un risque pour l’entreprise de perte de qualité et de baisse de productivité. A cela s’ajoute l’augmentation du taux de cotisation d’accident du travail. Surtout, les TMS, en tant que sources de souffrance physiques et psychologiques, représentent un risque psychosocial pour l’entreprise. Voilà pourquoi les entreprises ont intérêt à mettre en place une démarche de prévention impliquant aux côtés d’intervenants extérieurs le management et les salariés. Les structures de moins de 250 salariés peuvent d’ailleurs bénéficier d’une aide financière pour faciliter sa mise en œuvre (lire encadré).

Pour être efficace, cette démarche ne passe pas seulement par un diagnostic des équipements et des postes de travail mais aussi par une analyse de l’organisation de l’entreprise et par la formation des salariés et des managers. Bon nombre d’entreprises en recueillent les fruits. Et ce, même dans le secteur agroalimentaire connu pourtant pour être parmi les secteurs les plus touchés par les TMS. Principales raisons, les gestes répétitifs dans des ambiances froides et humides avec des contraintes organisationnelles fortes, des délais à respecter, des cadences élevées. A cela s’ajoutent les contraintes d’hygiènes et le port d’habits qui gênent les mouvements et altèrent la dextérité. Pour autant, même dans ces conditions, les TMS ne sont pas une fatalité.

Aucun TMS

C’est le cas notamment d’Yves Fantou de l’entreprise éponyme, spécialisée dans la découpe de viande de boeuf, porc et agneau. Un travail qui demande un grand savoir-faire. D’où la préoccupation de ce dirigeant de maintenir ses collaborateurs en bonne santé. A titre d’exemple, ces derniers font sous la houlette d’un animateur un exercice d’échauffement articulaire de cinq à dix minutes avant d’entamer leur journée de travail. L’activité est très physique même si l’entreprise familiale a investi dans des tables de désossage et de découpe réglables en hauteur, des roule-bacs surélevés et des meubles à brochette conçus sur mesure. Parallèlement à ces investissements, Yves Fantou veille à l’organisation de la production de sorte à éviter les à-coups tout en maintenant un climat de confiance et de transparence avec des réunions hebdomadaires mais aussi quotidiennes. « Le matin, le chef de la production fait un point pour que chaque salarié ait de la visibilité sur le volume d’activité à accomplir », poursuit le dirigeant qui se félicite de l’esprit d’entraide qui anime ses 27 collaborateurs. « Nous n’avons pratiquement pas de turn-over ni de TMS », fait savoir Yves Fantou. Pour arriver à un tel résultat, le dirigeant a signé, en 2003, avec la Cram Bretagne, un contrat l’engageant à améliorer les conditions de travail de ses salariés. Cette démarche lui a permis de bénéficier des conseils d’un ergonome * qui vient depuis régulièrement dans l’usine dans une démarche d’amélioration continue.

Cet exemple montre que, pour réduire les TMS, l’entreprise doit adopter une approche globale, revoir ses processus et adapter en conséquence son organisation. Bon nombre d’ergonomes estiment d’ailleurs que cette démarche peut aider les entreprises à gagner en performance. C’est d’ailleurs l’avis de Julien Jan, directeur du cabinet AGP Lowendal Masai qui intervient notamment auprès d’Yves Fantou. « Si les TMS se développent, c’est qu’il y a dans l’entreprise un problème qui peut être dû à une charge physique ou mentale trop importante ou relatif à la qualité de l’organisation ou de l’environnement », explique le consultant qui travaille sur la prévention des TMS et sur l’accompagnement en conduite de projets pour le secteur agroalimentaire mais aussi pour le secteur des services. Et notamment sur les centres d’appels. Un secteur où les salariés souffrent de problèmes d’épaules, de poignet et de lombalgies.

Pour comprendre l’origine des TMS, leurs déterminants et facteurs de risques, le cabinet Lowendal Masai commence par analyser l’organisation de l’activité puis dissèque les postes de travail dans leur globalité. Outre les horaires de travail, les consultants s’intéressent à l’aménagement du poste en terme de position d’écran, du clavier et du siège, l’environnement lumineux et sonore, etc. Leur attention se porte également sur le contenu des applications métiers afin de voir si elles sont suffisamment pratiques et intuitives. L’ergonome est aussi attentif à l’impact de la charge mentale de l’activité et de la fatigue visuelle qui, en provoquant des tensions musculaires au niveau des cervicales peuvent favoriser le développement des TMS au niveau des épaules. « La période d’observation dépend de la complexité du poste, de la variabilité de la production ou de l’organisation », explique Julien Jan.

Une nouvelle approche dans la détection de TMS

Le cabinet conseil Solutions Productives innove avec un outil de dépistage et de gestion des TMS baptisé CotErgo-TMS. « La plupart des outils existants saucissonnent l’activité d’un opérateur, on a tendance à voir les données exprimées sous forme de score qui sont difficilement interprétables au regard de ce qui paraît discriminant par rapport au risque », explique Pierre Nahon, le directeur de l’entreprise. Ce dernier a donc conçu un outil qui travaille différemment. « Il s’agit d’aller à l’essentiel en se focalisant sur le vécu de l’opérateur. Cet outil est plus intuitif que rationnel ». L’outil va s’intéresser aux événements qui sont à l’origine des douleurs exprimées par le salarié. Dans quelles circonstances travaillait-il ? Etait-il seul ou inexpérimenté ? les tâches ont-elles été réalisées dans l’urgence, etc. « Le logiciel permet d’accélérer les phases de recueil de données et constitue une aide à la décision pour identifier les risques physiologiques, les enjeux économiques et mobiliser les équipes », poursuit le directeur. Pour l’heure, cet outil opère comme un logigramme dont se servent les consultants de Solutions Productives dans leurs missions. Une fois que l’outil sera validé (il est en expérimentation dans deux entreprises Airbus et Gad), Solutions Productives proposera des solutions packagées.

Rédution de 75 % de la pénibilité

Pour identifier les facteurs de risques et leurs déterminants, les ergonomes utilisent en général un équipement dédié. A l’instar du cabinet Efficience Ergonomie qui intervient sur les aménagements de poste dans l’industrie, les ateliers de tri, la logistique et la santé. « Notre diagnostic s’appuie sur l’observation du lieu de travail (ambiance sonore, éclairage, température) et sur l’audit des salariés », explique Melika Benaceur, dirigeante du cabinet. L’évaluation de la charge de travail et de la pénibilité du poste de travail se fait, notamment, par l’analyse de la fréquence cardiaque (cardiofréquencemétrie) et par l’utilisation du système Captiv’ergo conçu pour mesurer les efforts et prévenir les TMS. Cette plate-forme comprend le logiciel développé par l’INRS utilisé avec une caméra vidéo offrant aussi la possibité de synchroniser les images avec les mesures comme la cardiofréquence ou les amplitudes articulaires. Il s’agit d’analyser les gestes et postures ainsi que les contraintes articulaires à l’aide d’un goniomètre (appareil pour mesurer les angles articulaires comme par exemple au niveau des coudes et des poignets). En mesurant l’amplitude des articulations, les ergonomes identifient les gestes réalisés dans des zones de confort et ceux qui présentent des risques pour les salariés.

Une fois collectées, ces mesures tangibles et fiables sont utilisées pour aménager les postes de travail. A l’instar des aménagements réalisés par Efficience Ergonomie dans un atelier de tri de déchets. Le cabinet a réduit jusqu’à 75 % la pénibilité des postes en diminuant le nombre de gestes effectués par les opérateurs. Ces derniers devaient prélever des matières et les jeter dans des goulottes, soit une dizaine de bacs à alimenter, ce qui représentait une charge cognitive importante. « Nous avons spécialisé les postes de sorte à limiter le nombre de tri », poursuit l’ergonome. « Par ailleurs, le tapis de tri est équipé de déflecteurs de sorte que l’opérateur n’ait plus à se pencher pour attraper les déchets et à les lancer dans les bacs. » L’espace de travail a été aménagé avec des sièges et des rehausseurs de manière que les salariés travaillent à la bonne hauteur, sans trop solliciter leur dos. « Par ailleurs, les salariés ont été sensibilisés aux gestes et postures pour se préserver des TMS », poursuit la dirigeante. Laquelle constate que les accidents professionnels et les TMS surviennent souvent quand il y a des réaménagements ponctuels sur des lignes qui ont été agrandies ou rallongées sans que le poste de travail n’ait été pensé.

Des aides pour prévenir l’apparition des TMS

Les entreprises de moins de 50 salariés peuvent bénéficier d’aides pour financer une démarche de prévention des TMS. Ce dispositif « Prévention du risque TMS » fait partie des AFS (Aides Financières Simplifiées) qui vise à soutenir les actions des TPE et PME pour l’amélioration de la sécurité et des conditions de travail de leurs salariés. Cette aide couvre 50 % du coût d’intervention d’un prestataire extérieur, dont la mission vise à améliorer les postes de travail, dans la limite d’un plafond de 2 000 euros. Ce dispositif est disponible dans certaines régions (Alsace, Aquitaine, Auvergne, Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Lorraine et Midi-Pyrénées) et le montant de la subvention varie selon les régions. Pour les entreprises plus importantes (de 50 à 199 salariés), elles peuvent signer des conventions avec leur caisse régionale d’assurance maladie (Cram), pour recevoir des aides financières. Laquelle finance 20 % du projet d’investissement (dans la limite de 50 000 euros). L’aide peut porter sur l’intervention d’un prestataire extérieur, mais aussi sur la formation des salariés et le changement du matériel.

Logiciel Cap TMS

Lutter contre les TMS constitue une priorité chez Cristel. Le fabricant d’ustensiles de cuisine se préoccupe de cette question depuis 1995, date du premier dossier destiné à améliorer les conditions de travail, avec des résultats tangibles. « Nos salariés ont une moyenne d’âge de 45 ans, et une ancienneté de plus de dix ans, mais aucun n’a déclaré de TMS, à l’exception d’une salariée dont la maladie professionnelle a été reconnue malgré l’avis négatif de la Cram et de la médecine du travail », souligne Emmanuel Brugger, le directeur général et technique de l’entreprise. Ce dernier n’a pas hésité à suivre personnellement une formations sur les TMS et à faire appel au laboratoire d’ergonomie du professeur Jean-Claude Sagot de l’université de Montbéliard Belfort. Lequel dispose notamment d’une plate-forme de réalité virtuelle pour identifier et prévenir les risques de TMS et lombalgies. C

Chez Cristel, les ergonomes ont réalisé des études complètes et exhaustives sur certains postes jugés parmi les plus à risques. Comme le poste de rayonnage, qui a d’ailleurs été repensé afin de diminuer la pénibilité des tâches. Surtout, le fabricant a intégré le logiciel Cap TMS édité par la Cram Alsace Lorraine. « Cet outil sert à identifier les risque de TMS et ce qu’il faudrait faire pour les éviter », précise le directeur. Afin de réaliser ce diagnostic, le logiciel a besoin d’un certain nombre d’informations : pour chaque poste de travail, il faut définir les gestes et leur répétitivité, les angles de manipulation, les niveaux de prises et de levée de l’objet, ainsi que le poids des pièces. Une fois ces données rentrées, le logiciel met en évidence les facteurs de risque. Cristel a ainsi mis à l’étude sa nouvelle ligne de fabrication de casserole ainsi qu’un nouveau poste de polissage et de rayonnage. Une activité jugée à risque compte tenu du nombre d’opérations de chargement et de déchargement des ustensiles. Désormais, elles seront effectuées par un bras manipulateur qui saisira la casserole et la posera sur une empreinte. « Le démarrage du cycle se fera automatiquement, à charge pour les opérateurs de contrôler la qualité de l’opération », indique Emmanuel Brugger, qui veille par ailleurs à ce que ses autres collaborateurs fassent des rotations sur différents postes afin d’éviter les TMS.

© Eliane Kan/Agence TCA

Une démarche longue

L’adaptation des postes de travail aux salariés doit être prise d’autant plus au sérieux que le danger est de faire des postes étriqués où le salarié n’a pas l’amplitude de mouvement suffisante pour travailler. Ce qui est notamment le cas lorsque les entreprises adoptent une démarche de lean manufacturing, laquelle consiste à identifier et à éliminer toutes les pertes d’efficacité qui jalonnent la chaîne de la valeur (depuis la réception de la matière jusqu’à l’expédition du produit). « Il faut donner au poste de travail une dynamique qui permette aux salariés de réaliser des pas et mouvements complets et non pas de travailler en pivot, ce qui génère des problèmes de dos, de pression sanguine, de retour veineux, etc », met en garde Gilles Galichet, ergonome et ergomotricien chez Valessentia. « Il faut que le mode opératoire soit le plus efficient possible et que le salarié ne soit pas isolé et qu’il puisse avoir de la visibilité sur l’espace qui l’entoure », poursuit le spécialiste. Ce dernier accompagne les entreprises en définissant un mode opératoire, activité par activité. « Au niveau des opérateurs, nous définissons un standard de travail qui s’appuie sur les principes du geste juste, en fonction des principes “ergomoteur”. Cela permet à l’opérateur de savoir comment placer son corps par rapport à la pièce, comment la saisir ou la transférer », souligne le consultant, qui estime que l’ergonomie et la santé au travail doivent rentrer dans les indicateurs de performance des entreprises sachant qu’elles lancent chaque année de nouveaux produits dont il faut tenir compte dans les environnements de travail. Surtout, Gilles Galichet recommande de développer une culture de travail propre à l’entreprise et liée à la connaissances des pratiques de l’entreprise : comment elle définit sa ligne de production, quels principes doivent être retenus pour définir une ligne et un poste de travail ; comment aborder le risque TMS. Une telle démarche nécessite un acompagnement sur une longue durée. « La première année consiste à rassurer l’entreprise sur notre méthodologie Pep ErgoPro, nous réalisons des chantiers pilotes pour créer des dynamiques internes, puis nous menons un plan de déploiement sur quatre à cinq ans, l’accompagnement étant dégressif », explique l’ergonome qui a mis en place cette méthodologie avec succès, notamment chez un équipementier automobile Delphi mais aussi à La Redoute et au Moulin de la Marche (groupe Intermarché).

Johnson Controls mise sur le Design Global

Sécurité et amélioration de travail constituent des enjeux stratégiques pour Johnson Controls comme en témoigne son usine de Nantes, qui développe et fabrique des groupes frigorifiques standards et adaptés. « Toutes les manipulations se font au chariot élévateur électrique ou au pont roulant », indique Sylvain Gorostiza, responsable sécurité, qualité et amélioration continue. Toutes les opérations susceptibles d’entraîner des TMS sont référencées dans le document unique. Parmi lesquelles, l’expansion des tubes qui constitue une opération très répétitive avec, en outre, des vibrations importantes. Pour soulager les chaudronniers en charge de cette opération, Johnson Controls utilise un nouveau support de machine qui permet de déplacer plus aisément le moteur, en outre, l’opérateur ne tient plus le bras de la machine, ce qui atténue fortement les vibrations. En dépit des efforts pour améliorer les conditions de travail dans l’usine, certaines tâches nécessitent encore d’adopter des postures pénibles à genou ou penchées. Des postures que le groupe tente de limiter notamment par le « design global ». « A chaque fois qu’un nouveau produit est conçu, le bureau d’études doit anticiper sur le risque sécurité au niveau du client et intégrer la sécurité du travailleur dès la phase de conception », explique le responsable. La démarche du global design amène bureau d’études et chaudronniers à revoir les gammes pour faciliter leur travail d’assemblage, éliminer ou limiter les mauvaises postures. Idem pour les soudeurs qui autrefois devaient souder allongés. Grâce au changement du design du sur-refroidisseur, ces professionnels soudent désormais sur une grande table à l’extérieur de la chaudronnerie. Surtout, les 40 opérateurs du site sont autonomes. Par exemple, l’atelier d’assemblage rassemble 15 opérateurs qui comptent une vingtaine d’années d’expérience. Chaque opérateur assemble des groupes de refroidissement de A à Z et organise sa production à son rythme et en fonction des besoins du client. De quoi limiter la pénibilité du travail tout en fidélisant un personnel hautement qualifié.

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