Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Les employeurs condamnés à prévenir le Burn-Out

En attendant que l’épuisement professionnel soit reconnu comme maladie professionnelle, les entreprises ont intérêt à prévenir ce risque pour éviter d’être condamnées à leurs dépens devant les tribunaux pour faute inexcusable.

Les employeurs ont du souci à se faire. 2015 devrait être l’année du Burn-out avec probablement une augmentation de plaintes présentées devant les tribunaux. Estampillé « maladie du siècle », le Burn-out, ou épuisement professionnel, concerne des actifs en surengagement professionnel. Dans ce contexte, les trentenaires sont parmi les plus fortement exposés car ils veulent réussir et ne mettent pas suffisamment de distance avec le travail. Sous la pression des employeurs, ils s’engagent dans un travail compulsif et excessif. Ce qui les amène soudainement au bout de leurs ressources et de leur capacité de résistance au plan physique, psychique et émotionnel avec une perte totale d’estime de soi.

Une personne sur deux. Cette pathologie qui est souvent synonyme d’arrêt maladie de longue durée continue chaque année à faire de nouvelles victimes dans les rangs des actifs. Selon l’enquête de l’institut Think pour Great Place to Work publiée le 7 janvier 2015, près d’une personne sur deux serait confrontée à des situations de burn-out ou à des niveaux de stress très importants pour lui-même ou pour des proches. 17% des salariés se disent potentiellement en état d’épuisement professionnel, soit une hausse de 5% par rapport à 2012. « Cette épidémie qui sévit depuis une dizaine d’années est liée à plusieurs facteurs : l’organisation du travail avec des demandes parfois excessives ; le durcissement des conditions de travail avec l’absence de soutien ou d’autonomie ; enfin la précarité grandissante des emplois et la montée du chômage de masse et de longue durée qui renforce celle-ci », résume Jean-Claude Delgènes, fondateur et directeur général de Technologia, un cabinet conseil sur l’évaluation et la prévention des risques professionnels.

Début 2014, ce dernier estimait à plus de trois millions le nombre d’actifs exposés à un risque élevé d’épuisement professionnel. Ce constat l’a d’ailleurs amené à lancer une pétition pour que le syndrome d’épuisement figure sur deux nouveaux tableaux de maladies professionnelles annexés au Code de la sécurité sociale. La dépression d’épuisement et l’état de stress répété conduisant à une situation traumatique. Près de 10.000 signataires soutiennent cette initiative ainsi que de nombreuses organisations syndicales et sociétales. A L’été 2014, les sénateurs socialistes ont déposé une proposition de résolution visant à mieux protéger la santé des travailleurs et à lutter contre les risques psychosociaux d’origine professionnelle. La sénatrice à l’initiative de cette proposition ayant perdu son poste, d’autres parlementaires toutes étiquettes confondues veulent poursuivre cette action. De même, à l’Assemblée nationale, une trentaine de députés de la majorité ont lancé en début d’année un appel pour établir une loi favorisant la reconnaissance de ces pathologies psychiques principalement liées au travail aux tableaux des maladies professionnelles.

Une douzaine de cas par médecin. Toutes les catégories sociales et les secteurs d’activités sont touchés par le Burn-out. « Il n’existe pas de métier plus prédisposé que d’autres et il n’existe pas de profil type », soulignait le docteur Bernard Morat, médecin du travail en Touraine début mars, lors des Etats généraux du Burn-out organisés à Paris. Ce dernier a été alarmé par le nombre grandissant de cas d’inaptitudes liés à l’épuisement psychique qui est passé de quelques personnes à une douzaine par an et par médecin. Pour une équipe de 30 médecins du travail sur une ville comme Tours, ce nombre porte sur plusieurs centaines de cas par an. Le praticien a donc lancé en novembre dernier une pétition nationale auprès de ses confrères. Cette initiative qui a recueilli près de 800 signatures plaide également en faveur de la reconnaissance du Burn-out aux tableaux des maladies professionnelles.

La reconnaissance de cette maladie assurerait au malade une prise en charge rapide et adaptée et améliorerait l’identification des troubles. En effet, l’absence de tableaux spécifiques rend ces affections psychiques très difficilement reconnues par la sécurité sociale. Il faut pour cela que la maladie présente une gravité justifiant une incapacité permanente égale ou supérieure à 25%. « Ce qui est difficile à prouver quand on sait que, pour une main coupée, l’IPP n’est que de 20%, soulignait Jean-Claude Delgènes lors des Etats généraux du Burn-out. Autre difficulté, il faut qu’un lien « direct et essentiel » avec l’activité professionnelle soit mis en évidence par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. » Résultat, seuls quelques dizaines de cas de pathologies psychiques sont ainsi reconnus chaque année. On est bien-sûr loin du compte.

Pour Bernard Morat, la reconnaissance de cette pathologie contribuera à mettre en lumière le rôle du travail dans la survenue du Burn-out et la prise en charge des coûts non pas par le seul régime général mais par l’AT-MP (Accidents du travail et des maladies professionnelles) qui est financée à 97% par les employeurs. « Dès lors, l’employeur qui sera à terme impacté réfléchira davantage à éviter les cas de Burn-out en mettant en place des mécanismes de prévention, comme c’est le cas aujourd’hui pour les accidents de trajet », fait valoir Jean-Claude Delgènes.

Levée du secret médical. Par ailleurs, la reconnaissance du Burn-out comme « maladie professionnelle » va enfin lever le secret médical. Le Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) et les délégués du personnel pourront débattre du cas de leur collègue malade. « Ces discussions vont contribuer à identifier l’origine professionnelle de sa maladie », pointe le consultant. L’enjeu étant de prévenir de nouveaux risques en s’attaquant aux facteurs réels d’épuisement professionnel par exemple en modifiant avec la direction l’organisation du travail de manière à mieux répartir les charges.

Cette reconnaissance prendra du temps. « La création de nouveaux tableaux de maladies professionnelles doit faire l’objet d’un accord socio-politique, c’est à chaque fois une véritable négociation qui peut durer plusieurs années », soulève Jean-Claude Delgènes qui plaide pour une nouvelle forme de prise en compte des maladies psychiques. Les tableaux existants reposent en effet sur des troubles associés à une liste d’activités susceptibles de les provoquer, ainsi que sur un « délai de prise en charge », c’est à dire, le délai maximal pendant lequel le lien de causalité peut être reconnu. « Ce type de tableau remonte au siècle dernier. Rien n’interdit d’inventer d’autres démarches. Dans tous les cas, les pouvoirs publics qui ont en charge l’ordre social devront prendre des mesures », recommande le fondateur de Technologia. Ce dernier suggère d’abaisser drastiquement le seuil de 25% et de permettre à chaque victime putative de voir son dossier examiné, comme c’est le cas actuellement en Suède. « Cette évolution très positive permettrait d’éviter de renvoyer vers le néant des milliers de personnes qui sont alors à la charge de la collectivité et portées par le régime général de l’assurance Maladie qui est déjà déficitaire suggère Jean-Claude Delgènes

Le Danemark a aussi montré l’exemple en inscrivant en 2005 un trouble mental sur sa liste des maladies professionnelles. « Ce dernier concerne l’état de stress post-traumatique qui doit résulter d’une exposition à une situation ou à un événement traumatisant de courte ou longue durée et d’une nature exceptionnellement menaçante ou catastrophique », indique le cabinet Technologia dans son étude pour la reconnaissance du syndrome d’épuisement professionnel au tableau des maladies professionnelles.

Plus de condamnations attendues. « Si le Burn-out n’est pas encore reconnu en tant que maladie professionnelle, en revanche les juges sont de plus en plus sensibilisés à ce phénomène », fait observer de son côté Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, spécialisé notamment dans le droit du travail. « Des salariés se sont vus allouer des dommages et intérêts sur le fondement de la faute inexcusable de l’employeur qui n’a pas assuré son obligation de sécurité de résultat vis à vis de ses salariés », poursuit le juriste en se référant à des décisions rendues par certaines cours d’appel et par la cour de Cassation. L’avocat estime que l’année 2015 sera l’année de l’émergence du Burn-out au plan professionnel et d’une prise en compte plus importante de la responsabilité des employeurs. « Il y a quelques années, le salarié hésitait à se plaindre devant les tribunaux qui n’avaient qu’une notion diffuse du Burn-out et ne savaient pas comment l’interpréter. Maintenant que c’est rentré dans les mœurs, il va y avoir de plus en plus de condamnations », prédit Thierry Vallat.

Eliane Kan

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