Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

L'entreprise guette la menace terroriste

En France, à l'étranger et même dans le cyberespace, les entreprises doivent se protéger contre le terrorisme. A savoir, la guerre du faible contre le fort, au sens de Sun Tzu, avec, en toile de fond, des querelles géopolitiques, un risque prégnant d'attentat et d'enlèvement sur le terrain.

Mauvaise nouvelle pour les employeurs, qui peuvent tomber sous le coup du travail en cas d’attaque terroriste. « S’ils ne parviennent pas à garantir la sécurité de leurs salariés contre les actes de malveillance, ils risquent d’être épinglés pour  »faute grave » », souligne Paul-Vincent Valtat, président de la Commission environnement, santé et sécurité à l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae) « Jusqu’alors, l’Etat se chargeait du terrorisme et les obligations de sûreté étaient quasi nulles pour les entreprises. »
En pratique des vigiles et des maîtres chiens suffisaient. La faute aux attentats de Karachi, survenus au Pakistan en 2002, et à sa jurisprudence adoptée deux ans plus tard au Tribunal des affaires sociales (TASS) de la Manche. Désormais, l’employeur peut voir sa responsabilité pénale engagée. Objectivement, en France, les entreprises sont rarement ciblées (pas d’attentats majeurs à déplorer depuis l’explosion de l’usine AZF, en 2001). Toutefois, certaines entreprises sont classées « Opérateur d’infrastructure stratégique » par le cabinet du premier ministre en collaboration avec la Défense. Ce qui les oblige à installer à leurs frais des mesures de sécurité supplémentaires dictées par le cabinet du premier ministre. Sont notamment visées, les entreprises qui exploitent un établissement recevant du public (ERP) de grande capacité comme, par exemple, la tour Montparnasse à Paris.

Menace réelle

Toutes les entreprises, grandes ou petites, doivent rester sur leurs gardes… « Le terrorisme prend de nouvelles formes. Par exemple, celle de l’écoterrorisme », explique Bertrand Monnet, directeur de la chaire Management des risques criminels et terroristes, à l’Edhec, grande école de commerce. En France, sont particulièrement visés les laboratoires qui mènent des expérimentations sur les animaux et les entreprises de luxe qui produisent des vêtements à base de fourrure. « Les terroristes recherchent à atteindre des symboles. » En outre, à l’extérieur de ses frontières, la France peut être plus visée que les autres pays. « En raison, notamment, de notre engagement en Libye », assure Benoît de Rambures, directeur d’Esei, une société de conseil en sûreté pour les entreprises. D’une manière générale, le panel de menaces est bien connu. Dans la région Sahara-Sahel, Aqmi menace toujours d’enlever des occidentaux. Des attaques à répétition guettent également les entreprises qui font transiter des marchandises par le Golfe d’Aden, un raccourci maritime qui évite aux bateaux d’avoir à contourner le continent africain, ou par le détroit de Malaka, en Asie du Sud-Est. Du coup, au sein de l’entreprise, la fonction de directeur sûreté s’affirme. Depuis le siège de l’entreprise, dans un head office (poste de commandement), il rédige des plans d’analyse de risque et organise à distance la sécurité des salariés.

Réseaux et relations
Tout le Job du Security manager repose sur la qualité de liaison qu’il entretient avec les divers acteurs. Son premier interlocuteur : l’ambassade française, où il peut rencontrer, par exemple, l’adjoint de la sécurité intérieur, un homme de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). En outre, les responsables de la sécurité locale sont également en cheville avec les autorités locales. Ministère de l’Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères ou encore le cabinet du premier ministre du pays… « Nous sommes pour la plupart d’anciens militaires. Donc, nous connaissons bien ce milieu », confie Benoît de Rambures, directeur d’Esei, une entreprise de sûreté. « Nous avons les réflexes, le réseau, les passerelles… L’AFP se renseigne chez nous. »

Attentat

Une attaque terroriste sur le sol français peut se concrétiser sous deux formes. L’enlèvement, mais c’est rare. Ou l’attentat : « En France les entreprises peuvent être touchées pour deux raisons. Soit au titre de victime collatérale, soit parce qu’elles représentent un symbole. » Un attentat peut, lui, prendre beaucoup de forme. L’attentat chimique, l’explosion d’usine, la bombe et le plasticage… « Les grands centres urbains sont visés », explique Bertrand Monnet. « Les PME/TPE ne craignent pas grand-chose, sauf si un bâtiment voisin est ciblé. » En effet, en cas d’attentat à la bombe ou à la voiture piégée dans un grand centre urbain, n’importe quelle PME située en périphérie du drame peut devenir une ‘‘victime collatérale’’… Un certain nombre de mesures peuvent être mises en place en amont. « Une première idée, c’est l’organisation », souffle Alexandre Hollander, directeur général d’Amarante, conseil en sûreté. « L’idée, c’est d’installer en périphérie intérieure de l’entreprise toutes les zones non passantes, par exemple le département des archives. Et au centre, les bureaux des salariés. » Pour améliorer le dispositif, des films anti-éclatement peuvent être apposés sur les vitres du bâtiment. Ils solidifient le verre en collant toutes ses parties entre elles ce qui empêche sa dispersion, en cas d’explosion. Une autre solution consiste à ancrer les vitres dans les murs. « La meilleure solution consiste à travailler, dès la conception du bâtiment, sur son design à l’aide de logiciels capables de simuler les explosions », poursuit le directeur général.

Enlèvement

A l’étranger, l’enlèvement est plus courant. « Les Occidentaux ont un ‘‘prix moyen’’ », souligne Bertrand Monnet. En pratique, le montant des rançons s’étend de quelques centaines de millions d’euros par salarié au Nigéria, pour des délais de négociation qui durent en moyenne une semaine. Et peut atteindre 1 500 000 euros par salarié en Colombie, où les otages peuvent être détenus pendant de nombreuses années… Il faut donc une bonne assurance. D’après un responsable administratif expatrié bien informé, les assurances demandent parfois 1 000 000 d’euros par salarié pour garantir le paiement de la rançon, en une ou plusieurs fois. « Les assurances sont indispensables. L’envoi d’un salarié dans une zone sensible commence par là », insiste Benoît de Rambures. « Il faut bien lire les clauses des polices d’assurance afin de vérifier un certain nombre de points. Il faut notamment qu’elles soient capables de rapatrier un salarié à partir d’une zone de guerre. » D’une manière générale, les assureurs craignent l’énormité des montants qui peuvent être engagés… Et se réassurent auprès du fond Gareat.

Visites éclairs
En zone de guerre, les déplacements prennent une tournure de film d’espionnage. « Pour couvrir de longues distances, les salariés prennent l’avion », souligne Benoît de Rambures, directeur d’Esei, entreprise de sûreté. « Pour des trajets plus courts, nous passons des contrats avec des loueurs de 4 x 4 avec chauffeurs. Il faut qu’ils soient fiables ! » En pratique, le salarié est accueilli à l’aéroport avec son nom sur un panneau, puis rapidement briefé entre le moment ou il récupère ses bagages et celui où il pénètre le véhicule de fonction. Au cours du trajet, le véhicule est encadré par des voitures de police ou des camions de l’armée. « Les salariés logent dans des bases-vie, se déplacent en convois militaires et n’ont aucune liberté. »

Protection rapprochée

Une fois le salarié débarqué à l’aéroport, les adjoints du responsable sécurité local de l’entreprise le réceptionnent et le conduisent jusqu’à sa voiture de fonction. Outre la présence d’un chauffeur au volant, le véhicule peut être inséré dans un convoi constitué de fourgons de police ou de militaires locaux. « Pour protéger les salariés, nous faisons appel aux autorités locales », explique Pierre-Yves Arnaud, responsable sécurité pour le compte d’une multinationale implantée en Afrique de l’Est. « Notre rôle consiste à leur donner des directives et à les coordonner. » Représentés à 75 % par d’anciens militaires reconvertis dans la sûreté, les responsables sécurité ont comme principale mission de convaincre ces autorités, de les assister dans la mise en œuvre des décisions prises au siège par le directeur sécurité de l’entreprise. Pour y arriver, ils comptent sur leur réseau de relations afin de s’imposer comme interlocuteurs légitimes.

Transporteurs en zones à risques
Routes fermées, trajets constamment modifiés… Voilà le quotidien des entreprises de transport qui travaillent à l’international, comme BBL Transport, une entreprise spécialisée dans la livraison de fret en zones à risque (Irak, Iran, Afghanistan). « Contre le terrorisme, il n’y a pas grand-chose à faire. Avoir de bons contacts, rouler en convoi accompagné par des militaires locaux, ne pas rouler la nuit sur des routes réputées pour leur insécurité… et ne s’arrêter que dans des lieux surveillés, prévus à cet effet », explique Hatice Luis, directrice générale de la filiale de BBL Transport en Turquie. En cas de passage d’un check point, les policiers contrôlent les autorisations, le passeport et le visa du chauffeur puis ils fouillent la cabine de conduite. Pour que tout se passe bien, il faut connaître la procédure. « Eteindre ses phares en approche, allumer le plafonnier, puis ralentir jusqu’à atteindre 5 km/h », détaille Pierre-Yves Arnaud.

Gestion de crise

En cas d’urgence, la première mission du responsable sécurité consiste à regrouper tous les salariés de l’entreprise en un seul endroit. « La Safe Room peut être un simple bureau ou un étage entier », détaille Pierre-Yves Arnaud. « Tout dépend du nombre de personnes à mettre en lieu sûr… » Un véritable ‘bunker’ équipés de portes résistantes et dont les fenêtres ont été, au préalable, condamnées depuis l’intérieur… « L’important, c’est de rester en liaison avec le head office, les autorités locales, et l’ambassade. » Reste à s’intégrer, si possible, au plan Resevac, le plan officiel d’évacuation des ressortissants français dans toutes les régions du monde. « Notre objectif, c’est de regrouper au plus vite les salariés puis de les ‘mettre sous cocon’afin de s’intégrer à ce plan », souligne Benoît de Rambures. Là, les avis divergent. « Ce n’est pas toujours souhaitable ! Il peut être préférables d’appliquer un ‘plan Stand-by’ », assure Pierre-Yve Arnaud. L’idée : évacuer les familles, mais faire patienter les salariés, sur place, en attendant que la situation se calme. « Ne pas fuir, est une marque de confiance envers les autorités locales. » Et donc une stratégie gagnante en terme de business.

S’installer en Côte-d’Ivoire
Les PME qui souhaitent s’installer en Côte d’Ivoire doivent se faire conseiller.
« La Côte-d’Ivoire est actuellement en cours de stabilisation », lance Benoît de Rambures, directeur d’Esei, société de conseil en sûreté pour les entreprises.
« Le recours à une société de gardiennage suffit. » Elle déploie des vigiles et des systèmes de vidéosurveillance dans les locaux à protéger. « Mais la zone, il faut la connaître. Il faut aller voir sur place comment les choses fonctionnent », conseille l’ex-lieutenant de l’armée. « Une fois sur place, il faut s’assurer que ses collaborateurs sont fiables… » Astuce : ne pas s’associer avec un membre blacklisté par la population, par exemple un proche de l’ancien régime, afin de ne pas risquer d’être rejeté par les nouveaux partenaires.

Défense numérique

Il convient également, en France et à l’étranger, de sécuriser son réseau. « Les entreprises prennent de plus en plus conscience de l’importance du risque de cyber-attaque », souligne Luc Vignancour, spécialiste des risques informatiques chez le courtier Marsh. « Un partenariat se noue entre le directeur de sécurité et le RSSI (responsable de la sécurité du système d’information de l’entreprise, Ndlr.). Le second cartographie les zones vulnérables du réseau puis les sécurise pendant que le premier explique à la direction comment un élément aussi technique et opérationnel que l’informatique peut avoir un impact aussi important sur tous les aspects de l’entreprise. » De la pédagogie de haut niveau. Il n’est toutefois pas encore question d’engager une armée de pirates informatiques pour affronter la nouvelle menace que représentent, par exemple, les attaques par déni de service. A savoir, l’envoi massif de messages au serveur de l’entreprise, par une seule personne contrôlant à travers le réseau Internet des milliers d’ordinateurs, et aboutissant à l’extinction pure et simple du serveur cible, complètement saturé. « Répliquer serait une perte de temps. » Le principe consiste plutôt à détourner le flux des messages indésirables vers un endroit fictif du réseau afin de s’en débarrasser.
© Guillaume Pierre-TCA

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