Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risque incendie

Extinction incendie : l'innovation à pas mesurés

Sur 4 entreprises qui subissent un incendie, près de 3 ne s'en relèvent pas. RIA, PIA, extincteurs mobiles, sprinklers, déluges d'eau, brouillards d'eau, Redox, extinction par gaz inerte... à chaque situation sa solution, même si le sprinkler continue de dominer. Pour leur part, les émulsions deviennent plus écologiques.

Stock irrécupérable, arrêt de la production, perte d’exploitation, voire perte complète d’un site de production, de stockage, de bureaux ou d’accueil du public : les conséquences d’un incendie peuvent rapidement prendre des proportions dramatiques. Si le nombre de victimes directes (morts, brûlés, intoxiqués par les fumées) est relativement faible, le risque économique est très élevé. Sur 4 entreprises qui subissent un incendie, près de 3 ne s’en relèvent pas. Selon l’assureur FM Global, l’incendie est même responsable de 37% de la sinistralité qui affecte les entrepôts logistiques – lesquels ont pour particularité d’intensifier la concentration de valeur au mètre carré. Or, en France, des incendies plus ou moins graves se déclarent chaque jour en environnement professionnel. D’où l’importance des systèmes de sécurité incendie (SSI), notamment des systèmes d’extinction.
Cependant, en ce domaine, donneurs d’ordres et assureurs veulent s’appuyer sur de solides garanties. Du coup, « l’architecture des produits et systèmes change très peu. On préserve l’existant. Tant dans les systèmes fixes que mobiles, explique Jean-Bertrand Heyral, délégué adjoint à la Fédération française des métiers de l’incendie (FFMI). Et s’il n’y a pas d’évolution majeure, c’est parce que les retours d’expérience de la part des pompiers et des assureurs donnent des résultats satisfaisants. » Conséquence: il n’y a pas d’innovation de rupture dans le monde de l’extinction incendie. Juste des évolutions à pas très mesurés.
Il en va ainsi pour les Robinets d’incendie armés (RIA) qui, habituellement implantés à l’intérieur des bâtiments au plus près des zones à protéger, libèrent de l’eau sous pression. De même pour les Postes d’incendie additivés (PIA) qui propagent des mousses mélangées à de l’eau ainsi que des extincteurs portatifs ou sur roues, à pression permanente ou à pression auxiliaire… « Tous ces matériels de première intervention ont en commun d’avoir une conception et une fabrication éprouvées qui changent peu », reprend Jean-Bertrand Heyral. Néanmoins des légères évolutions se font sentir.
« Nous vendons entre 50.000 et 60.000 extincteurs par an allant de 2 kg à 5 kg. Outre les extincteurs CO2, nous diffusons une gamme à pression permanente et une autre à pression auxiliaire – qui est démontable afin de subir chaque année un contrôle technique. Sur le marché français, 90% des extincteurs CO2 sont à pression auxiliaire. Mais avec la baisse des prix, la demande s’oriente vers les extincteurs à pression permanente », constate Vincent Buisson, fondateur et dirigeant du groupe SVB qui réalise la conception et l’assemblage de ses extincteurs CO2 tandis que les cuves et les vannes sont faites majoritairement en Chine chez son partenaire Saint-Sea.

De son côté, Eurofeu adopte un schéma industriel 100% intégré. Ce groupe de 1.000 personnes (90 millions d’euros de chiffre d’affaires 2014), dont le siège social est situé à Senonches (Eure-et-Loire), détient ses propres moyens de production, notamment après le rachat, il y a 16 ans, de la société Chevalier Bertrand à Moulins (20 personnes) dans l’Allier qui est spécialisée depuis 90 ans dans l’emboutissage profond.
« Son expertise industrielle s’applique à la fabrication non seulement des extincteurs mais aussi des réservoirs pour l’automobile, les camions et les bouteilles de gaz. Notre fabrication est totalement intégrée. A cet égard, nous avons obtenu le label Origine France Garantie. Ce qui fait de nous le premier fabricant français d’extincteurs à l’avoir obtenu », déclarait l’an dernier Michel Lahouati, le PDG du groupe qui fabrique annuellement 550.000 extincteurs eau, poudre et CO2 de 1kg jusqu’à 150 kg. Le groupe s’apprêterait à lancer prochainement un système de valve révolutionnaire. On n’en saura pas plus…

Eurofeu maîtrise l'ensemble de son schéma
industriel. © Eurofeu
Eurofeu maîtrise l’ensemble de son schéma
industriel. © Eurofeu

Emulsions plus respectueuses de l’environnement. En attendant, l’innovation vient des émulsions utilisées tant par les PIA ou les extincteur manuels que les installations fixes à bas ou à haut foisonnement. En ligne de mire : les sulfonates de perfluorooctane (SPFO) plus connus sous leur acronyme anglais PFOS. Ces substances sont considérés comme reprotoxiques. D’ailleurs, l’annexe XVII du règlement européen REACH 5 interdit, voire encadre la vente et l’utilisation des PFOS. Mais, par dérogation, les mousses anti-incendie qui ont été mises sur le marché avant le 27 décembre 2006 ont pu être utilisées jusqu’au 27 juin 2011. Depuis cette date, des produits de substitution sortent au fil de l’eau mais ne couvrent pas encore l’ensemble du marché. « Les fabricants de systèmes d’extinction incendie n’ont d’autre recourt, en général, que de s’adresser aux grands chimistes comme DuPont de Nemours, Orchidée ou Profoam qui fabriquent les mousses extinctrices pour qui ce marché est très faible. Il a fallu attendre de trouver des solutions de substitution qui soient techniquement valables et économiquement rentables sachant que le marché ne représente que quelques dizaines de tonnes par an », poursuit Jean-Bertrand Heyral qui mentionne l’European Chemical Agency (ECHA), basée à Helsinki (Finlande), en tant qu’organisme de contrôle pour l’Europe.

Parmi les pionniers, figure BIOex qui, depuis 2002, fabrique l’Ecopol adopté depuis près de 3 ans notamment par Eurofeu pour son extincteur Bioversal.
« Non seulement il éteint le feu mais surtout, si on le vide entièrement, il est capable de dégrader les molécules d’hydrocarbures éteintes. Au final, en 12 jours, on dégrade 98% de ces substances. Le Bioversal nous avait valu le prix de l’innovation d’ExpoProtection 2012. Aujourd’hui, le produit est en phase de commercialisation », enchaîne Michel Lahouati qui avait présenté en avant-première à Expoprotecton 2014 un nouveau concept d’extincteur à eau ainsi qu’un véhicule de formation qui s’adapte aux personnels à mobilité réduite.

L’innovation chimique n’en reste pas là. A cet égard, la société suisse Totech vient d’élaborer la solution aérosol d’extinction feu FirePro pour lutter contre les feux de catégories A, B, C, F ainsi que pour prévenir des explosions de mélanges gaz/air et poussières. Une prouesse ! Cet aérosol combat le feu à sa source sans avoir besoin de décharger un système de noyage total. Bien sûr, FirePro limite la propagation du feu et des fumées toxiques.
La solution de Totech est composée essentiellement de sels de potassium mélangés à des matériaux non-pyrotechniques comme la nitro-guanidine ou la nitro-cellulose. Lors de l’activation, la solution solide se transforme en aérosol d’extinction et se répartie uniformément dans l’enceinte protégée en utilisant l’élan développé au cours du processus. Cette solution s’affirme écologique, inoffensive et non corrosive pour le matériel.

Extinction automatique : le sprinkler est roi. A côté des matériels de première intervention, les systèmes fixes d’extinction automatique se taillent la part du lion. Surtout dans les entrepôts logistiques et industriels où le sprinkler reste roi. 43% des incendies y sont maîtrisés par une seule tête de sprinkler. Et, dans 89% des cas, par à peine 10 têtes, selon FM Global. L’efficacité du sprinkler est de 98% ! Et il réduit l’impact des dommages causés par un incendie jusqu’à 97%. Le coût du sinistre dans un bâtiment  »sprinklé » est 6 fois plus faible que dans un bâtiment qui ne l’est pas. Le plus souvent installé en réseau au plafond des endroits à protéger, ils réagissent de façon automatique lorsque la chaleur devient trop importante. Celle-ci brise une ampoule ou fait fondre un fusible qui, en temps normal, maintient la tête fermée. La pression permanente d’eau dans la canalisation, à laquelle l’extincteur est connecté, se libère alors au travers de la tête et arrose ainsi la zone enflammée. La chute de pression provoquée par l’ouverture de la tête du sprinkler actionne un gong hydraulique qui donne l’alarme. Le tout automatiquement – ce qui est fort séduisant. Les plus grands fournisseurs de sprinklers sont Tyco et Vicking.

L'efficacité du sprinkler est de 98% !
© FM Global
L’efficacité du sprinkler est de 98% !
© FM Global

Les sprinklers sont donc à la fois détecteurs d’incendie et extincteurs automatiques. Reste qu’ils imposent d’importantes contraintes : « Pendant longtemps, les systèmes ont fonctionné en tout ou rien. Soit très bien. Soit pas du tout… Avec la génération ESFR [Early Suppression Fast Response], les installations de sprinklers sont devenues plus flexibles, moins chères et plus polyvalentes », souligne Loïc Le Dréau, directeur de souscription et clientèle pour l’Europe du sud chez FM Global. En outre un réseau de sprinklers correspond généralement à une installation lourde : un bassin d’au moins 700 m3, une pompe sécurisée d’un débit de 300 m3/h, un gicleur tous les 10 m²…
« Le coût de l’installation peut atteindre 2% à 3% l’investissement industriel », remarque Loïc Le Dréau. Dans la famille des systèmes à sprinklers, il convient aussi de mentionner tout d’abord les installations déluge d’eau qui sont activées afin de couvrir très vite toute la surface à protéger. Ce système convient particulièrement à la protection de transformateurs ou au refroidissement de réservoirs de stockage. Viennent enfin les installations à mousse qui intéressent les risques spéciaux ou bien la protection de produits à très haute valeur ajoutée.

Brouillard d’eau : une concurrence à la marge. Mais, justement, sur le terrain des hautes valeurs ajoutées, les lignes de front bougent. « Pour les bâtiments qui ont une valeur bilantielle supérieure à la moyenne, imaginons par exemple un hôtel particulier sur l’Île-Saint-Louis à Paris, le coût des dégâts liés à l’extinction d’un démarrage de feu peut s’avérer supérieur au coût du sinistre lui-même du fait de l’eau employée pour l’extinction. D’où l’intérêt des systèmes à brouillard d’eau », remarque Jean-Bertrand Heyral de la FFMI. Cette technologie combine la haute pression (70 bars) à de petites quantités d’eau mélangées à de l’azote qui sont alors pulvérisées sous forme de fines gouttelettes. Pour un local d’archives de 3 m de hauteur, une seule tête à 4 diffuseurs couvre 12 m2 avec un débit de 4,8 l/mn.
« Pour un foyer de type A, nous recommandons une diffusion de 4 mn, soit un volume de 19,2 l, détaille Thomas Ngo, ingénieur chargé d’affaires chez EcoProtection, fabricant de buses pour des systèmes d’extinction et société d’ingénierie, installation et maintenance de SSI. Nous les recommandons pour les installations de groupes électrogènes car cela évite au moteur les chocs thermiques fatals qu’engendrent les protection par CO2. On peut appliquer ce principe aux turbo-alternateurs et aux turbines. Au final, le brouillard d’eau n’en est pas à concurrencer le sprinkler. Il ne fait qu’empiéter sur son territoire ! »
« A cet égard, il faut savoir que le Centre national de prévention et de protection (CNPP) a sorti des recommandations en faveur du brouillard d’eau pour différentes situations comme les salles d’archives, les bancs d’essais pour moteurs, les chemins de câbles, les chambres d’hôtels... », ajoute Jean-Bertrand Heyral.

Redox : pratiques mais très contraignants. Outre les hôtels particuliers, les grandes quantités d’eau de la famille sprinkler ne conviennent pas à d’autres situations. Citons ainsi les grandes chambres froides de la grande distribution alimentaire à -18°C ou les Data Centers qui préféreront les systèmes secs à air appauvri en oxygène, appelés aussi systèmes Redox, pour prévenir le départ d’un foyer. « L’idée, c’est de maintenir dans le local la teneur oxygène entre 15% et 16% (contre 21% habituellement) en injectant en permanence de l’azote de façon automatisée, décrit David Hourtolou, chargé de développement commercial pour la France et ex-directeur ingénierie Europe chez FM Global. Cela nécessite d’étanchéifier le bâtiment afin de maîtriser les coûts en azote. Par ailleurs, les opérateurs ne peuvent pas travailler en permanence dans un tel environnement. Enfin, si les départs de feu sont limités par l’appauvrissement en oxygène, certains risques peuvent néanmoins survenir pendant qu’on arrête l’injection d’azote, par exemple, le temps de faire des travaux. »

Extinction par gaz inerte : pas de perte matérielle. Dans les salles informatiques ou les Data Centers, même si les brouillards d’eau font leur apparition, les systèmes d’extinction par gaz inertes font leurs preuves. Il existe deux types de gaz employés : ceux qui agissent par étouffement comme l’azote, l’argon, l’Argonite (50% azote, 50% argon) déposé par le groupe Ginge-Kerr, l’Inergen (52% azote, 40% argon, 8% CO2) de Tyco Fire & Integrated Solutions (TF&IS). Et ceux qui opèrent par inhibition comme le FM200 et le FE13 (CHF3) de DuPont. Le grand avantage de ces solutions, c’est de laisser intacts équipements et locaux en cas de départ de feu.

Amoindrir le bruit. Reste que la préparation d’une stratégie anti-incendie dans une salle équipée d’ordinateurs est un exercice périlleux. Entre autres, le bruit provoqué par les décharges des buses de pulvérisation de gaz extincteur, lorsqu’il se situe dans une plage de fréquence allant de 500 Hz à 5 Khz, peut gravement endommager les disques durs en provoquant des vibrations, a démontré Siemens Building Technologies (SBT) en laboratoire.
Afin de lutter contre ce fléau, le géant allemand a développé une buse silencieuse, commercialisée sous la marque Sinorix, qui a remporté le trophée d’argent du dernier salon Expoprotection dans la catégorie  »Risque Feu ». Cette buse s’accompagne d’une vanne spécifique capable d’éliminer la traditionnelle crête sonore qui survient au début de la décharge de gaz. Ce qui a pour effet immédiat de réduire le niveau de 2 à 4 dB. Par ailleurs, le dispositif breveté diminue de moitié la vitesse d’émission du gaz (laquelle passe de 60 à 120 secondes). Résultat : un gain supplémentaire de 3 dB est obtenu. Au total, le niveau du signal sonore peut être réduit de 20 dB sans changer les temps d’émission et de répartition des gaz dans les locaux.

Erick Haehnsen

Le système Sinorix peut réduire
de 20 dB le bruit d'émission du gaz
extincteur. © SBT
Le système Sinorix peut réduire
de 20 dB le bruit d’émission du gaz
extincteur. © SBT

Entrepôts : du vol à l’incendie. Le phénomène des cambriolages dans les entrepôts logistiques donne des sueurs froides. « Le risque ne porte pas seulement sur la perte des marchandises manquantes qui concentrent le maximum de valeur, comme les parfums ou les téléphones portables lesquels représentent une valeur de 50 000 euros par palette (imaginez-en 4 000 ou 5 000 dans le même entrepôt ! Il concerne également les matières premières, comme le cuivre des câbles électriques ! Le vol devient endémique car, désormais, tout se vole même dans un entrepôt vide, avertit Patrick Ginet, PDG du cabinet éponyme de courtage en assurance basé à Lyon. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, on peut s’attendre à ce que les cambrioleurs ne respectent aucune mesure de prévention. Par exemple, ils n’hésitent à jeter leur cigarette sans l’éteindre. Clairement, les effractions sont souvent la cause d’incendies dans les entrepôts. »

« La menace terroriste peut tirer profit des SSI »

« Globalement, les Systèmes de sécurité incendie (SSI) disposent d’un système d’information (SI) séparé du reste du SI de l’entreprise.Mais aujourd’hui, à l’Asis, nous nous posons des questions sur le lien possible entre cybermenace, terrorisme et incendie. Car les SSI sont à base de techniques d’informatique industrielle qui n’ont pas été conçues sous l’angle de la sécurité informatique. Même un réseau qui ne sort pas vers l’extérieur reste exposé, analyse Eric Davoine, président du chapitre français d’Asis International (American Society for Industry Security) qui compte 38.000 membres dans le monde dont 26% hors des Etats-Unis. Que se passerait-il si un terroriste interne venait à prendre la main sur un système d’extinction incendie ? Soit il empêche le SSI de fonctionner, soit il le force volontairement pour déclencher non pas un feu mais les sirènes d’évacuation. Une fois les occupants dehors, ils constituent alors des cibles privilégiées pour une action à l’arme automatique. Dans tous les cas, il peut y avoir de terribles mouvements de panique. Dans un hypermarché, il suffit de créer la panique avec les sirènes et de bloquer certaines issues pour que les dégâts soient massifs. Comment se prémunir de ce risque ? En durcissant les SSI. Notamment les routeurs, les automates et les serveurs. On peut aussi mettre ces équipements sous carter fermé à clé. Quant aux Unités centrales, doivent être implantées dans le PC de sécurité doté d’un contrôle d’accès. Les données informatique incendie sur le réseau ne sont pas cryptées. »

Eric Davoine, président du chapitre
français d'Asis International . © D.R.
Eric Davoine, président du chapitre
français d’Asis International . © D.R.

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