Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

Dominique Talbourdet (Afnor) : « Lutter contre l'obsolescence électronique pour prévenir les risques industriels »

Interview du président du groupe de travail ''Obsolescence électronique'' à l'Afnor et ingénieur de recherche à EDF. Ce groupe de travail, qui rassemble déjà de très grandes entreprises, invite les PME et TPE à le rejoindre pour discuter de l'élaboration d'une série de normes. Première à l'étude : une norme sur le courtage.

En quels termes se pose la problématique de l’obsolescence électronique ?
En gros, on a surtout l’habitude d’évoquer l’obsolescence électronique pour les produits grand public. Or l’obsolescence électronique concerne également le monde de l’industrie. Je pense aux systèmes électroniques des avions, des trains, des cargos, des plates-formes Off-shore ou des systèmes de production industrielle. Dans tous ces domaines, les industriels ont besoin de s’appuyer sur des systèmes électroniques dont la durée de vie se compte en dizaines d’années. A la différence de l’obsolescence programmée que l’on connaît dans le grand public, l’obsolescence électronique dans l’industrie signifie surtout que l’on ne trouve plus le composant électronique dont on a besoin. En effet, soit le produit n’existe plus au catalogue du fabricant qui a actualisé son offre, soit c’est le fabricant lui-même qui n’existe plus. Ensuite, les systèmes électroniques industriels font généralement l’objet de qualifications techniques qui sont imposées par des réglementations. C’est, par exemple, le cas des calculateurs de vol des avions de ligne. Comme on le voit, l’obsolescence électronique est liée à la prévention des risques industriels.
En fait quelles sont les causes de l’obsolescence électronique ?
Il y a diverses causes mais nous avons décidé de nous intéresser en premier lieu à la distribution. En effet, il y a trois types d’intervenants. Tout d’abord le fabricant original de composants électroniques. C’est lui qui conçoit la puce, la fabrique ou la fait  »fondre » chez un très gros fondeur généralement asiatique comme TSMC qui fabrique pour le monde entier. Ensuite, il y a les intervenants du second marché ou  »After-market ». Il s’agit de fabricants industriels qui passent des accords avec le fabricant original pour fabriquer les produits que celui-ci cesse de produire. Ce type d’entreprise est très sérieux et va conserver les produits électroniques en armoire sous azote ! C’est le cas par exemple de Rochester Electronics qui produit le célèbre microprocesseur 68020 avec l’autorisation de Freescale (anciennement Motorola) ainsi que son aide pour la qualification et les tests. Ce processeur a été énormément utilisé dans les systèmes électroniques industriels. Enfin il y a les acteurs du courtage (Brokerage) ou  »Brokers ». Parmi ceux-ci, certains sont très sérieux mais, malheureusement, et d’autres le sont beaucoup moins. Et c’est là que nous devons porter toute notre attention.
Que voulez-vous dire ?
Tout d’abord, le courtage est le principal point d’entrée de la contrefaçon des composants électroniques. Les contrefacteurs, dans ce domaine, sont à l’affût de tous les moyens. Il peut s’agir, entre autres, du colis  »tombé du camion », de rebuts récupérés dans les poubelles du fabricant original, de  »l’usine de minuit » où les employés font tourner illégalement les lignes de production en dehors des heures demandées par l’employeur… Bien sûr, il y a aussi la pure copie illégale des puces électroniques, même si celles-ci réclament un très haut niveau de Reverse Engineering avec de fortes compétences en Electronic Design Automation (EDA) sur des logiciels complexes comme ceux de Cadence ou Mentor Graphics. En ce qui concerne la fonderie des composants (réalisation de la puce), les industriels du domaine, en majorité, sont  »Fabless ». C’est-à-dire que ces industriels conçoivent mais ne fabriquent pas. La fonderie en elle-même est alors confiée à de grands sous-traitants de renommée internationale comme par exemple TSMC. Malheureusement, il en existe d’autres de moindre « qualité » acceptant sans être trop regardantes des contrats de fabrication de composants contrefaits. Le problème de la contrefaçon porte non seulement sur le niveau technique de la copie mais aussi sur la qualité de la réalisation qui n’est pas au rendez-vous car les tests et qualifications ne sont pas effectués. Il peut ainsi arriver, principalement par la voie d’un courtage de mauvaise qualité, d’acheter des composants contrefaits. C’est pourquoi il faut toujours analyser les composants avant utilisation. Dans cette perspective, les grandes entreprises disposent de leurs propres laboratoires d’analyse, de tests et d’essais – à moins qu’elles ne travaillent avec des laboratoires indépendants qu’elles connaissent bien.
En fait, les grands comptes sont organisés pour gérer ces problèmes mais pas les PME et TPE…
Oui. D’où l’idée d’élaborer des normes Afnor. Car les PME et TPE auraient besoin de nos conseils et de nos méthodes. Dans notre groupe de travail qui compte des entreprises comme Actia, Airbus, Alstom, Areva, Atos, Dassault, la Direction générale de l’armement (DGA), EDF, Eolane, PSA, la RATP, Renault, Rochester Electronics, Safran Sagem, la SNCF, Thalès, Zodiac Aerospace, nous sommes prêts à aider les TPE et PME pour qu’elles puissent mieux travailler avec les brokers. D’ailleurs, la première norme, dont le projet de texte devrait être élaboré courant 2016, va porter sur ce que doit être un courtier. Nous venons de mettre en place un groupe de travail dans lequel les PME et les TPE qui le souhaitent peuvent nous rejoindre.
Y a-t-il d’autres causes d’obsolescence électronique ?

Oui. Considérons le  »premier choc » dans l’obsolescence électronique vers 1997 avec le secrétaire de la Défense américain William Perry sous Bill Clinton qui, réclamant des économies à l’industrie électronique militaire, a incité les fabricants à passer du composant électronique ultra-durci et donc très cher au composant grand public moins durci mais moins cher. Ce « premier choc » a été suivi d’un second lié lui à l’émergence de l’électronique grand-public (ordinateurs personnels, téléphone portables,…). Avec l’explosion de ce marché, les fabricants de composants ont tout naturellement travaillé à répondre à ce besoin demandant de très grands volumes. Conséquence : c’est l’électronique grand public, et non plus le militaire ou l’industrie qui, désormais, tire l’innovation.
Et le  »troisième choc » ?
Il provient de la directive européenne RoHS de 2005 dans laquelle RoHS signifie Restriction of the use of certain Hazardous Substances in Electrical and Electronic Equipment, c’est-à-dire Restriction de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. Par exemple le plomb, le chrome 6, le cadmium…. Dans ce contexte, il faut savoir que tous les industriels utilisaient l’alliage eutectique (étain-plomb) pour souder leurs assemblages. D’ailleurs, c’est devenu un standard de référence. Mais avec RoHS, tous les composants plombés sont devenus obsolètes ! Aujourd’hui, il y a des dizaines d’alliages pour la soudure. Et même si le SAC305 (argent, étain, cuivre) semble tenir la corde, aucun alliage ne fait l’unanimité…
L’obsolescence électronique ne vient donc pas seulement à la distribution…
Non, bien sûr. Il vient aussi des réglementations sur les produits et substances employées. A cet égard, c’est aussi l’objet du  »quatrième choc », avec le règlement européen REACH qui vise à, supprimer des substances chimiques dangereuses pour la santé et l’environnement. C’est, entre autres, le cas de l’arsénique que l’on utilise dans l’arséniure de gallium (AsGa) et qui se retrouve dans les diodes et les puces électroniques. Aujourd’hui, l’arsénique n’est pas encore interdit mais il faudra bien trouver un jour une solution de remplacement. Pour toutes ces raisons, il va falloir suivre de plus près l’obsolescence électronique.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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