Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

Amiante : un danger qui reste sous-estimé

Interdit depuis 1997, l'amiante reste omniprésent dans le bâtiment. Malgré une réglementation de plus en plus protectrice, des centaines de milliers de salariés interviennent encore sur ce matériau. Parfois sans le savoir...

Il aura fallu attendre 1997 pour que l’amiante soit définitivement interdit en France. Mais l’héritage est lourd : ce minéral a été largement utilisé tant dans l’industrie que dans le bâtiment pour ses excellentes performances alliées à son coût très bas. L’amiante résiste en effet à la chaleur et au feu, à la traction, à la flexion et à l’usure, offre une très faible conductivité thermique, électrique et acoustique… Bref, ce serait un excellent matériau si l’inhalation de ses fibres – 400 fois plus fines qu’un cheveu – ne favorisait le développement de maladies pulmonaires – asbestoses, pleurésies – , allant jusqu’au cancer du poumon ou de la plèvre (mésothéliome). Résultat : l’amiante est, aujourd’hui, la deuxième cause de maladie professionnelle en France, après les TMS (troubles musculo-squelettiques) avec, chaque année, plus de 5.000 maladies reconnues. Vu le temps de latence des maladies liées à l’amiante (de 10 à 40 ans), ce sombre bilan pourrait encore s’alourdir. En effet, un quart des hommes salariés actuellement retraités aurait été exposé au moins une fois à l’amiante !
Mais aussi longtemps que les bâtiments contiendront de l’amiante, l’exposition perdurera. Or, en France, on estime qu’une maison sur deux contient de l’amiante, sous une forme ou sous une autre ! Le matériau se niche dans quelques 3.000 produits manufacturés. Et pas simplement, comme on le croit souvent, dans les faux plafonds, calorifugeages et flocages. On le trouve aussi dans des mastics, plaques cartonnées, peintures, joints, mortiers, canalisations, dalles de sol, matériaux de couverture, béton bitumineux, patins de freins, garniture de chaudières ou de fours électriques … Sans compter l’amiante présent dans les réseaux (canalisations d’assainissement, gazoducs …), les enrobés routiers, l’industrie (calorifugeage notamment) ou même les terres amiantifères présentes notamment en Corse et dans les Alpes. Les plombiers, les électriciens, les peintres, font ainsi partie des populations les plus exposées au risque amiante.

Réglementation de plus en plus drastique. D’où la nécessité de réglementer toutes les interventions sur les matériaux amiantés. De fait, la réglementation a été modifiée régulièrement pour tenir compte des progrès de la connaissance. Les dernières modifications datent de 2012, avec la publication le 23 février 2012 d’un arrêté sur la formation et le 4 mai, d’un décret sur les risques d’exposition à l’amiante. Auparavant, en effet, la réglementation était différente selon que l’on intervenait sur des matériaux amiantés de façon ponctuelle (par exemple, poser une barre de seuil sur des dalles contenant de l’amiante) ou pour opérations de retrait et d’encapsulage. La réglementation des opérations sur matériaux friables (type flocage) ou non (type amiante-ciment) était également différente, les premiers étant réputés plus dangereux que les seconds.

Ces distinctions ont été complètement revues. En effet, une grande campagne menée sur 80 chantiers entre novembre 2009 et octobre 2010 a permis de réaliser 300 prélèvements et mesurer les niveaux d’empoussièrement provoqués par différents types d’intervention. Avec une grande surprise : certaines interventions sur des matériaux non friables ont provoqué des empoussièrements très importants, liés notamment aux techniques utilisées, mais aussi à l’état de dégradation des matériaux. D’où la suppression de la distinction entre les deux catégories ‘‘friable’’ et ‘‘non friable’’. Du coup, les entreprises intervenant sur le retrait de matériaux non friables , comme le retrait de toitures en fibrociment ou en ardoises en amiante-ciment, le terrassement sur terres amiantifères, se trouvent contraintes d’obtenir une certification spécifique amiante.

Deuxième révolution : « Désormais, les prescriptions à suivre ne dépendent plus de la nature des matériaux mais du niveau d’empoussièrement créé par l’opération. Qu’il s’agisse de désamiantage ou d’une intervention ponctuelle sur matériau amianté », résume Michèle Guimon, responsable du pôle risques chimiques au département expertise et conseil technique de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Avec trois niveaux d’empoussièrement correspondant aux performances de trois types différents de matériel respiratoire.
Troisième changement : la valeur limite d’exposition aux poussières d’amiante (VLEP) a été revue à la baisse. En effet, l’AFSSET (depuis devenue Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – Anses) , a émis en 2009 et 2010 différents avis, selon lesquels, notamment, la toxicité des fibres amiantées fines est jugée tout aussi importante que celle des fibres longues. La VLEP, qui, auparavant, ne tenait compte que du nombre de fibres longues par litre, intègre désormais, du coup, également les fibres fines. Cette VLEP, actuellement de 100 fibres par litre pendant 8 heures de travail, devrait être divisée par 10 au premier juillet 2015.

Michèle Guimon, responsable du pôle risques
chimiques au département expertise
et conseil technique de l'INRS. © INRS
Michèle Guimon, responsable du pôle risques
chimiques au département expertise
et conseil technique de l’INRS. © INRS

Des mesures indispensables. Mesurer l’empoussièrement constitue donc la pierre angulaire de cette politique de prévention. Problème : estimer le nombre de fibres fines et de fibres longues oblige les laboratoires de métrologie à s’équiper de microscopes électroniques en transmission analytique (META) extrêmement coûteux – entre 300.000 euros et 1 million d’euros. D’où une augmentation très sensible (on parle de 30% à 100% selon les cas de figure) des coûts des opérations de retraits de matériaux amiantés. Effectuées par des laboratoires accrédités, les mesures sont ensuite consignées dans la base de donnée SCOLA qui, dès l’an prochain, fera l’objet d’une application, Scolamiante, que les professionnels pourront utiliser y compris sur un terminal portable. Si les entreprises certifiées ne peuvent pas faire l’impasse sur la métrologie, au risque de perdre leur certification, il est plus difficile pour un électricien ou un plombier intervenant ponctuellement sur des matériaux amiantés d’organiser des mesures sur chantier. C’est pourquoi une convention est en discussion entre l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) et l’INRS pour mener une campagne de prélèvements qui permettrait ensuite aux professionnels du second œuvre du bâtiment d’avoir une idée précise des niveaux d’empoussièrement provoqués par un type d’intervention,. Et donc d’adopter les mesures de prévention adaptées.

Les gestes de base. Concrètement, toute intervention sur un bâtiment construit avant 1997 exige une consultation du DTA (Dossier technique amiante) établi par un opérateur de repérage et, pour les locaux privatifs d’habitation, du constat amiante. Pour nombre d’interventions, l’INRS a mis au point des fiches techniques consultables sur son site Web. Quant aux chantiers de désamiantage, ils sont très précisément codifiés. Cependant, la plupart des interventions sur l’amiante répondent à quelques règles de base. Pour que les matériaux émettent le moins de poussières possible, il faut les humidifier. Les outils utilisés doivent être manuels ou à vitesse lente. Le tronçonnage d’amiante-ciment, par exemple, dégage énormément de poussières. Ces outils doivent être reliés à une aspirateur à filtre absolu, dit TSE (Très haute efficacité) pour extraire les poussières à la source. Les zones d’interventions doivent être isolées. Et les opérateurs doivent porter des combinaisons de protection jetables à capuche et des masques de protection respiratoire adaptés. A cet égard, le type de masque dépend du niveau d’empoussièrement avec, notamment pour les niveaux d’empoussièrement les plus élevés, des masques à ventilation assistée, reliés à une centrale d’air comprimé. Enfin, les déchets font l’objet d’un traitement très particulier pour ne pas, à leur tour, contaminer leur environnement.

Une sensibilisation encore insuffisante. Si la réglementation est désormais en pointe au niveau international, la sensibilisation des professionnels, en particulier dans le second œuvre du bâtiment, reste insuffisante (voir encadré sur les plombier-chauffagistes). Tous les artisans du bâtiment ne savent pas reconnaître un matériau amianté. Pis, même s’ils le savent, il leur est difficile, lorsqu’ils en rencontrent un, d’arrêter le chantier pour prendre les dispositions nécessaires ! Difficile aussi de faire rentrer la prévention amiante dans les mœurs. L’entreprise Rossi, dans la région nantaise, peut en témoigner. Spécialisée dans la pose de revêtement de sols, cette PME d’une centaine de salariés intervient régulièrement dans les immeubles de bureaux ou de logement équipés de dalles de sol amiantées. Depuis 2008, la PME a donc formé son personnel de façon systématique et modifié les procédures d’intervention en conséquence. Problème : « Nous avons raté pas mal d’appels d’offres car, dès que l’on intègre la gestion du risque amiante, les coûts augmentent », explique Aline Lemarie, animatrice QSE. Certains concurrents ne chiffrent pas ce risque… Pour pouvoir répondre sur l’ensemble du secteur du revêtement de sol, l’entreprise Rossi vient d’obtenir la certification amiante, pour effectuer des travaux en sous-section 3 (retrait et encapsulage). Sur ces chantiers de retraits de matériaux amiantés, toutes les entreprises se trouvent, en effet, soumises aux mêmes conditions de qualification.

Catherine Bernard

Comment sont classées les entreprises interviennant sur les chantiers de désamiantage ?
Les entreprises qui interviennent sur matériaux amiantés sont classées en deux sous-sections, la 3 et la 4. Pour sa part, la sous-section 3 regroupe celles qui interviennent dans le retrait et l’encapsulage de matériaux amiantés. Elles doivent être titulaires d’une certification. Ce qui signifie qu’elles passent des audits réguliers contrôlant le bon respect de la réglementation et l’utilisation de méthodes de travail adaptées. Entre outre, les personnels doivent être formés par des organismes de formation habilités et pour des durées précises.
Quant aux entreprises intervenant ponctuellement sur des matériaux amiantés, elles font partie de la sous-section 4. Sont notamment concernées les entreprises du second œuvre du bâtiment. Les personnels confrontés à l’amiante doivent être formés (voir ci-dessous). Toute intervention sur amiante doit alors faire l’objet d’une description des processus mis en œuvre ainsi que des protections adoptées. Lesquels doivent être soumis à l’avis du médecin du travail et du CHSCT puis envoyé à l’Inspection du travail et à la Carsat.

Plombier-chauffagistes : la preuve par le badge
Les résultats de l’enquête menée par la CAPEB (organisation professionnelle des artisans du bâtiment), l’INRS et l’IRIS-ST (Institut de recherche et d’innovation sur la santé et la sécurité au travail) : sur les 63 plombiers-chauffagistes que ces trois organismes ont équipés de badges permettant de mesurer leur exposition passive aux fibres d’amiantes, 22 personnes, soit 35%, ont mis en évidence la présence d’amiante. Or 9 de ces 22 plombiers étaient persuadés ne pas avoir été exposés. Et seuls 14% des volontaires ont pris systématiquement des mesures de protection contre l’amiante.

Pas formé, pas toucher

Le principe est simple : il est interdit d’intervenir sur un matériau amianté sans formation. Pas question ne serait-ce que de percer un joint amianté pour changer une barre de seuil, sans avoir suivi une formation à la prévention. Les exigences de formation, cependant, sont différentes selon l’activité de l’entreprise. Les entreprises certifiées – la fameuse sous-section 3 – sont soumises à des obligations plus importantes : l’encadrement, techniciens et chefs de chantier, suit une formation initiale de 10 jours, les opérateurs de 5 jours, avec des réactualisations régulières. Seuls des organismes certifiés (23 au total) peuvent délivrer ces formations. Ils doivent disposer de plates-formes pédagogiques assez coûteuses, puisque les stagiaires doivent être mis dans en situation réelle . « Comment mettre en œuvre un confinement, s’habiller, surveiller la circulation de l’air en zone de travail, mouiller un produit, gérer les déchets… Autant de questions concrètes auxquelles les personnels doivent être formés », explique Didier Cottin, responsable des partenariats et développements formation à l’OPPBTP.

Les entreprises amenées à intervenir ponctuellement sur l’amiante doivent elles aussi former leurs collaborateurs concernés. En revanche, les durées sont plus courtes. Et les organismes de formation ne sont pas nécessairement certifiés. Du reste, s’il s’estime compétent, le chef d’entreprise peut former lui-même ses salariés. A hauteur de 5 jours pour l’encadrement et de 2 jours pour les opérateurs. Cependant, l’OPPBTP et l’INRS ont pris l’initiative, il y a deux ans, de monter des formations de formateurs pour les personnels de sous-section 4. Une trentaine de formateurs a d’ores et déjà bénéficié de ce programme.

Le secteur doit faire face à une demande croissante : la modification des frontières entre matériaux friables-non friables a obligé, de facto, de nombreuses entreprises à se faire certifier et a donc provoqué un engorgement des demandes de formation. En 2012, 9756 personnes dont été formées au titre de la sous-section 3, 12 557 en 2013. Et on estime à entre 300 000 et 1 million dans le seul BTP le nombre de personnes ponctuellement exposées à l’amiante et rentrant donc dans la fameuse sous-section 4.

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