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Santé et qualité de vie au travail

Thomas Montpellier (avocat) « Préjudice d’anxiété : bientôt étendu à des risques autres que l’amiante ? »

Ce préjudice a été formalisé pour les salariés exposés à l’amiante. Ses contours ont été récemment précisés par la Cour de cassation. Éclairages de Thomas Montpellier, avocat au cabinet parisien Accanto Avocats.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le préjudice d’anxiété ?

Il s’agit d’un préjudice moral récement dégagé par la jurisprudence qui correspond à « la situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante (…) ». C’est donc bien un préjudice particulier puisqu’il est indépendant de toute pathologie physiologique.
Est-ce la peur de contracter une pathologie qu’on indemnise ?
Oui. Mais en fait, depuis 2010, les juridictions n’ont reconnu et indemnisé que le préjudice d’anxiété lié au travail que dans un contexte d’exposition à l’amiante dont on sait que les pathologies mettent parfois .plus de 20 ans à se déclarer. Ce qui génère une inquiétude assez compréhensible entre le moment où l’on est exposé et celui où la maladie se déclare.
On sait prouver une maladie… mais comment fait-on pour la peur ?

Concernant ce préjudice, il est important de savoir que, pour la Cour de cassation, il n’est nullement besoin de le documenter par exemple avec des examens médicaux ou un suivi psychologique. Important : comme il ne s’agit pas de réparer les conséquences d’une pathologie, la juridiction compétente n’est pas le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) mais le Conseil de prud’hommes, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de l’employeur et de son obligation de sécurité.
Justement, quelle est l’attitude des tribunaux ?

Il faut comprendre que, en matière d’amiante, l’exposition au risque est facile à démontrer dans le cas où les salariés bénéficient de la  »pré-retraite amiante ». Ce qui suppose qu’ils ont été exposé et que les établissements dans lesquels ils ont travaillé sont inscrits sur une liste prise par arrêté ministériel. Enfin, la faute de l’employeur est appréciée dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat, dont on sait que, en matière d’amiante, elle est appréciée assez largement par les tribunaux.
Ce préjudice est-il susceptible d’être étendu à d’autres substances ?

Pour l’instant, la Cour de cassation ne s’est prononcée que dans des affaires liées à l’amiante. Mais on peut imaginer que, dans d’autres secteurs exposant les salariés à d’autres provoquant des pathologies longues à déclarer, comme les rayons ionisants, les solvants, le benzène, les hydrocarbures aromatiques, les métaux lourds ou le bitume par exemple… des salariés parviennent à démontrer qu’ils sont affectés par le même type de préjudice d’anxiété que pour l’amiante… Juridiquement, rien ne s’oppose à ce que la Cour puisse considérer que les conditions soient réunies pour indemniser un préjudice d’anxiété dans d’autres secteurs que l’amiante.
A cet égard, où en est-on ?

Certains salariés ont entamé des actions en matière de poussières de sable qui sont liées à la pathologie de la silicose. Il y a donc déjà des affaires en cours. Juridiquement, rien ne s’oppose à ce que la Cour puisse considérer que les conditions sont réunies pour indemniser un préjudice d’anxiété dans d’autres secteurs que l’amiante.
Cependant, j’insiste, restons prudents car les arrêts indemnisant un préjudice d’anxiété n’ont été rendus à ce jour que pour des salariés d’établissements inscrits sur la liste prévue par la loi de 1998 sur la  »pré-retraite amiante » (Allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante).
Quelles sont les conséquences pour les employeurs ?
Aujourd’hui, les salariés qui ont été indemnisés ont travaillé dans des établissements inscrits sur la liste de l’arrêté ministériel, c’est-à-dire des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, de flocage et de calorifugeage à l’amiante ou de construction et de réparation navales. Le fait que les établissements soient inscrits sur la liste permet donc de prouver très aisément que le salarié était, à son poste, exposé au risque amiante.

Cependant, on ne peut pas exclure que tous les salariés qui ont été exposés à l’amiante dans leur environnement de travail puissent solliciter, dès lors qu’ils prouvent leur exposition au risque, réparation d’un préjudice d’anxiété.
Ainsi peut-on parfaitement imaginer que les entreprises du BTP qui sont intervenues dans des immeubles (dont il est établi aujourd’hui grâce aux diagnostics qu’ils contenaient ou contiennent encore de l’amiante) ou encore que les entreprises de désamiantage soient un jour concernées par des demandes des salariés au titre du préjudice d’anxiété. On pourrait par exemple imaginer que les entreprises dont les salariés qui ont travaillé, même dans des bureaux, dans des immeubles comportant beaucoup d’amiante soient un jour également concernés.
Quel est le montant des indemnisations ?
A ma connaissance, le montant des indemnisations va de 3.000 euros à 15.000 euros avec une moyenne qui s’établit entre 6.000 euros à 8.000 euros par employé. Cependant, restons prudents car les arrêts pour préjudice d’anxiété n’ont été rendus que pour des salariés d’établissements inscrits sur la liste prévue par la loi de 1998 sur la  »pré-retraite amiante » au titre de l’Allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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