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Aujourd'hui et demain

Sûreté et sécurité

Sommes-nous prêts pour l’Intelligence économique ?

Né dans les années 1980, ce concept d’origine américaine porte sur la collecte, le traitement et la diffusion de l'information utile aux acteurs économiques, en vue de son exploitation. Objectif : s’informer, protéger et influencer. Mais les entreprises françaises et l’État s’en servent-ils réellement ?

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SpikeNet Technologies : des réseaux de neurones sans apprentissage sur un pouce. La France a perdu cette pépite au profit de l’américain BrainChip. ©  D.R.

Que se passe-t-il lorsqu’un groupe américain rachète une TPE française de l’intelligence artificielle ? Rien. Absolument rien. En témoigne SpikeNet Technologies, spécialiste de la reconnaissance de formes par des réseaux de neurones (Deep Learning) sans apprentissage. En 2016, l’américain BrainChip a acquis cette pépite toulousaine issue de 30 ans de recherche au CNRS. Sans la moindre opposition. Au contraire, les acteurs locaux se sont sentis honorés qu’un investisseur vienne d’outre-Atlantique faire son marché en Occitanie.

L’intelligence économique intégrée à la culture managériale ?

Pourtant, l’État ne cesse de revendiquer haut et fort le besoin d’une souveraineté technologique française et européenne. Notamment dans la reconnaissance faciale, la reconnaissance des expressions du visage et la lutte contre le terrorisme. Ou la reconnaissance thermique des personnes infectées par le coronavirus. Voire la cybersécurité… Mais qu’en est-il réellement ? Les entreprises et l’État français ont-ils les moyens de s’offrir une stratégie d’Intelligence économique ? L’ont-ils intégrée à leur culture managériale ? « Malheureusement, je pense que non », estime Alain Juillet sur la chaîne Continuum d’Agora News Sécurité. Après une carrière dans le renseignement militaire et géopolitique, il intègre plusieurs entreprises nationales et internationales (Ricard, Suchard-Tobler…). « Dans le monde de l’entreprise, j’ai découvert qu’on pouvait utiliser les méthodes du renseignement. Notamment pour avoir des informations sur la concurrence », reprend-il.

Une aide à la décision

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Alain Juillet, ancien Haut responsable chargé de l’intelligence économique (HRIE). © D.R.

Un jour, il tombe sur l’étude Competitive Strategy : Techniques for Analyzing Industries and Competitors de l’Américain, Michael Porter. Laquelle a fondé, en 1980, les concepts de l’intelligence économique. Pour l’auteur, l’intelligence économique, c’est « donner la bonne information, au bon moment pour prendre la bonne décision ». C’est donc avant tout une aide à la prise de décision. Quelle soit stratégique ou tactique. En fait, « je pratiquais sans le savoir ce que les Anglo-saxons appelaient Competitive Intelligence », poursuit Alain Juillet. Rappelons qu’il a été HRIE (1) auprès du Premier ministre de 2003 à 2009. Et président du CDSE (2) de 2011 à 2017. On parle aussi de « Market Intelligence » ou encore de « Market Insight » .

Les errements de l’État

« On a connu une grande vague d’Intelligence économique dans les années 90-92 parce que l’État s’était mobilisé. Puis, pour des raisons que j’ignore, le soufflet est retombé. Les choses repartent 2002, suite à un rapport qui expliquait ce qu’il fallait faire pour relancer cette approche. Ensuite, nouvel arrêt. La mobilisation de l’État ne dure pas. Il y a eu l’effet terrorisme et plein d’autres choses, se souvient Alain Juillet. Aujourd’hui, d’un côté, l’État a conscience qu’il faut défendre nos entreprises, nos spécialités, notre patrimoine. D’un autre côté, il y a tellement d’autres problèmes auxquels faire face que cette volonté n’est pas permanente. Alors, cela donne le résultat actuel. C’est-à-dire du bon et du mauvais. En tout cas, un effort insuffisant par rapport à ce que font les Américains, les Chinois ou les Russes. »

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La caméra CMOS Kameleon du français, qui peut filmer en couleur dans l’obscurité, va-t-elle passer dans le giron de l’américain Teledyne Technologies. © Photonis

L’affaire Photonis

Bref, les stratégies d’intelligence économique ne sont pas soutenues dans notre pays. Après SpikeNet Technologies, citons l’annonce du rachat de Photonis. Cette entreprise corrézienne d’optoélectronique de 1 000 salariés est reconnue parmi les leaders mondiaux de la vision nocturne. Et pour cause ! Sa caméra CMOS Kameleon peut filmer en couleur dans l’obscurité ! Cependant, Ardian, le fonds qui détient Photonis, décide en septembre 2019 de mettre le groupe en vente. L’américain Teledyne Technologiesse porte acquéreur pour 510 millions d’euros. Le 6 avril dernier, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, s’y oppose. Il fait pression pour que Thales rachète la pépite française. Que va-t-il advenir ? Pour l’heure, on n’en sait pas plus.

S’informer, se protéger, influencer

Reste qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’Intelligence économique demeure un fabuleux outil de management. « Je la définis par une question. Comment gagne-t-on un affrontement ?, interroge Thibault Renard, conseiller spécial au CyberCercle, une association spécialisée en cybersécurité. Soit on trouve la bonne information, soit on se protège de ceux qui ne respectent pas les règles. Ou bien on change les règles du jeu et on influence ceux qui sont chargés de les appliquer. »

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Thibault Renard est conseiller spécial au CyberCercle. © D.R.

Souveraineté des entreprises

Après les États, l’intelligence économique est aussi l’affaire des entreprises. Autrement dit, intelligence économique rime avec guerre économique. En effet, elle se déploie sur les terrains de la veille aussi bien économique et concurrentielle que technologique, réglementaire et sécuritaire. En clair, il s’agit d’une approche globale, heuristique. « Le responsable de l’intelligence économique travaille donc avec presque toutes les directions, tous les services », souligne Thibault Renard. Marketing, R&D, RH, achats, ventes, production, logistique, sécurité-sûreté, informatique, juridique… Tout y passe.

Comment s’intégrer à l’organisation de l’entreprise ?

Mais il n’y a pas de recette toute faite. « Dans les grands groupes, on trouve toujours le même squelette. La DIE est orientée soit vers la sécurité, soit vers l’influence soit vers l’aide à la décision. Il est rare qu’elle se positionne sur les trois à la fois, analyse Thibault Renard. Généralement, la porte d’entrée de la DIE, c’est la recherche d’informations ou l’aide à la décision. Lorsque la DIE est rattachée à la réflexion stratégique, elle devient le Think Tank de l’entreprise. » Mais ces contours sont mouvants. Du coup, la DIE est soit une fonction transversale de coordination soit une fonction support. Et comme toute grande fonction support, elle peine souvent à avoir l’oreille de la direction générale. Peut-être qu’elle ne sait pas bien se vendre…

Erick Haehnsen

(1) Haut responsable chargé de l’intelligence économique

(2) Club des directeurs de sécurité des entreprises

(3) Direction de l’intelligence économique

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