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Santé et qualité de vie au travail

Sécurité au travail : Amazon et la culture de la délation

La direction de l'entrepôt de Lauwin Planque (Nord) a lancé un jeu : récompenser les salariés qui dénoncent les faux-pas de leurs supérieurs en matière de sécurité.

C’est un véritable jeu de massacre auquel vient de se livrer Amazon, le géant américain du e-commerce. Dans l’entrepôt de Lauwin-Planque (Nord), près de Douais, la direction incite les employés à relever les manquements aux règles de sécurité de leurs responsables. Carotte au bout du bâton, un cadeau est offert pour les meilleurs taux de dénonciations ! Une pratique de la politique de délation qui, en référence à la période de l’occupation nazie et du gouvernement de Vichy, passe mal dans l’inconscient collectif français… Ce qui n’est pas le cas aux États-Unis, un pays qui n’a jamais été envahi. Quoi qu’il en soit, cette initiative a déclenché une sainte colère chez les syndicats de représentation du personnel, pointant du doigt un procédé d’incitation à la “délation”. Pour se justifier, l’entreprise a argué sa volonté de sensibiliser les salariés aux problématiques de sécurité au travail. Une tendance très répandue dans les grands groupes qui semble ici souffrir d’un excès de zèle bien malencontreux.

Cumuler les bons points

Ce “Safety Fun Game” ou “Peak Fest 2017” comme se sont apparemment amusés les membres de la direction à baptiser, bat son plein depuis le 17 novembre et devrait durer jusqu’au 19 décembre. Le principe : « Cumulez les good points à chaque action Non Safety de la part du général manager, d’un senior ops, d’un lead ou d’un manager », édicte l’affiche annonçant les règles. C’est-à-dire qu’à chaque “faux-pas de sécurité » de la part d’un cadre ou d’un agent de maîtrise, comme par exemple ne pas respecter une posture recommandée pour déplacer un article ou ne pas respecter un passage piéton pour traverser une allée, le salarié qui a relevé ce manquement doit aller voir le manager et parler du faux-pas avec lui. Il doit également remplir un bulletin et y noter, selon Patrick Blervaque de la CFDT, le nom du responsable et la faute observée. Ensuite, le salarié se voit recevoir un timbre avec des bons points proportionnels à la gravité du faux-pas déclaré. Selon le syndicat, « un barème de points est mis en place suivant le niveau hiérarchique de l’incriminé. » À la fin du jeu, le salarié qui a amassé le plus de points (en dénonçant ses collègues) gagne un cadeau « dont le premier prix serait un drone », selon la CGT.

Les craintes des syndicats
Lorsque ces pratiques ont été révélées, une véritable onde de choc s’est déclenchée chez les syndicats, la CGT considérant ces pratiques « méprisables et honteuses », « dignes du Maccarhtysme ou des heures les plus sombres de la France ». « Nous craignons des dérives, comme de fausses dénonciations pour avoir le cadeau », confie à l’Express Alain Jeault, délégué central à la CGT. Celui-ci craint également que l’entreprise se serve de ces bulletins faux-pas pour licencier des salariés, même si l’entreprise dit le contraire. « Ce genre d’activités soi-disant ludiques aura de graves conséquences sur les salariés (en majorité des agents de maîtrise et des cadres) qui seront dénoncés et jetés en pâture à la vindicte de leurs collègues de travail », peut-on également lire dans un communiqué de la CGT qui menace en retour de poursuivre le groupe si le jeu n’est pas immédiatement retiré. De son côté, l’entreprise joue la politique du « pas vu pas pris », ou de la fausse naïveté : elle assure que « les bulletins à l’issue du jeu seront détruits. » Chez Amazon, « la sécurité et la santé de nos employés sont notre priorité numéro 1, cette initiative ne peut en aucun cas être assimilée à un appel à la délation, pratique profondément contraire à nos valeurs », affirme le service communication de l’entreprise. Difficile plaidoirie…

Ségolène Kahn

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