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Risques industriels et environnementaux

Risque sismique : la France beaucoup plus exposée qu'on ne le pensait

Une équipe de l’École normale supérieure de Paris propose une théorie selon laquelle le risque sismique peut survenir dans des zones où on ne l'attend pas. Des travaux qui intéressent des assureurs et des industriels.

Mauvaise nouvelle. « Les régions continentales stables, c’est-à-dire celles qui se trouvent loin des frontières des plaques tectoniques, connaissent des séismes inattendus et difficiles à expliquer, soulève Eric Calais, directeur de recherche au Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure (CNRS/ENS Paris) qui a piloté une équipe internationale dont les travaux viennent d’être publiés dans Geophysical Research Letters. S’ils sont relativement rares, ces séismes bouleversent les régions où ils se produisent car celles-ci n’y sont évidemment pas préparées. De fait, les dégâts peuvent être énormes. Comment prendre en compte cet aléa sismique dans la conception, la réalisation, le dimensionnement et la maintenance de projets sensibles comme les Organismes d’importance vitale (OIV) ou les centrales nucléaires est une question difficile. » Autrement dit, on n’est plus à l’abri là où on croyait l’être !

Dépasser les anciens concepts

« La France métropolitaine est directement concernée. Pas seulement en ce qui concerne les failles sismiques identifiées de longue date. Un séisme peut arriver là où on ne l’attend pas, reprend Eric Calais dont le laboratoire, qui travaille en interaction avec l’écosystème nucléaire (Andra, CEA, EDF…), est financé non seulement par le CNRS et l’ENS mais aussi par des assureurs et ré-assureurs et des industriels du pétrole et du para-pétrolier. La question est de déterminer la capacité sismique de cette zone continentale stable. Or les modèles scientifiques s’affrontent à ce sujet. » Les recherches de l’équipe d’Eric Calais montrent que les schémas de pensée utilisés jusqu’ici pour quantifier les aléas sismiques sont inadaptés aux zones stables.

Nouvelle théorie
« Pour calculer cet aléa, on recourt encore à des concepts hérités des grandes zones sismiques du monde. Comme la Californie ou le Japon. Et on les a calqués sur les zones stables. Aujourd’hui, on arrive au bout de cette démarche car ces concepts ne sont plus adaptés. Il faut trouver autre chose, souligne le directeur de recherche. Nous pensons que l’on peut comparer ces zones stables à des blocs de bétons précontraints [par des câbles d’aciers serrés à chaque bout par des écrous] : ils sont à la fois très résistants globalement et très fragiles localement. Par exemple, si on tape en un endroit avec un marteau, on fait facilement apparaître une fissure. »
De la même manière, les perturbations locales de l’aléa sismique en zone continentale stable peuvent être dues, par exemple, à des infiltrations d’eau qui fragilisent la croûte terrestre précontrainte. Ces variations hydrologiques du sous-sol sont alors suffisantes pour vaincre la résistance de failles déjà proches de la rupture. Elles vont ainsi libérer l’énergie élastique accumulée sur plusieurs millions d’années dans le volume de la croûte continentale. D’où cette nouvelle théorie qui vient de voir le jour : « Les séismes en zones continentales stables peuvent être déclenchés par des perturbations transitoires et locales des forces tectoniques. Et non par l’accumulation lente de ces forces sur des failles persistantes comme dans le cas des frontières de plaques. »

Un terrain de recherche qui ne fait que commencer
Problème, nous ne sommes pas pour autant sortis d’affaires. « Aujourd’hui, nous n’allons pas révolutionner l’industrie de l’assurance ou du nucléaire par des prévisions fiables, reconnaît Eric Calais. Notre concept doit d’abord être mis à l’épreuve. » Ce qui a déjà démarré avec les moyens de l’ENS et de PSL Research University en calcul intensif sur ordinateurs massivement parallèles pour la simulation de l’aléa sismique. « Nous avons aussi besoin de traiter de gigantesques masses d’informations en provenance de capteurs dans le monde entier et des satellites d’observation comme ceux de la famille Sentinel du volet spatial Copernicus de l’Union européenne », enchaîne Eric Calais. Mais il faudrait accéder à des moyens de calcul et de stockage de données beaucoup plus puissants. Peut-être ceux du pôle Terratec sur le plateau de Saclay ? En attendant de le savoir, le département de géosciences de l’ENS dispose de précieuses compétences. Outre les sismologues, géologues, météorologues, climatologues et physiciens, des mathématiciens élaborent des algorithmes pour extraire de ces masses de données l’information pertinente à côté de laquelle il ne faut pas passer. « Le défi, insiste Eric Calais, est que nous ne connaissons la forme des signaux que nous recherchons ! »

Erick Haehnsen

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