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Risques industriels et environnementaux

« Plutôt que de stigmatiser certains, le stress au travail est un défi à relever par tous » : Jean-Ange Lallican, président de la Commission nationale stress de l’ANDRH

Pour le président de la Commission nationale stress de l’ANDRH, la lutte contre les risques psychosociaux doit savoir marier adroitement mesures coercitives et travail sur le long terme...

Le 18 février, Xavier Darcos a publié les résultats de l’enquête sur l’état des lieux de la prévention en matière de risques psychosociaux. 1 500 entreprises devaient y répondre. Certaines l’ont fait, d’autres pas et se retrouvent sur la liste rouge du gouvernement.  Jean-Ange Lallican, président de la Commission nationale stress de l’ANDRH (Association nationale des DRH), nous livre son opinion sur la démarche du gouvernement…

Info.expoprotection.com : Jean-Ange Lallican, en tant que président de la commission nationale stress de l’ANDRH, vous êtes parfaitement au courant des problématiques liées au douloureux problème du stress au travail et des risques psychosociaux. Que pensez-vous de la publication par le ministère du Travail des listes « rouge, orange et verte » recensant les entreprises ayant engagé – ou non – une politique de lutte contre le stress au travail ? Est-ce opportun ?

Jean-Ange Lallican : « Il était important pour les pouvoirs publics d’entreprendre quelque chose, de dire aux entreprises qu’il était grand temps de se pencher sur ce problème que nous avions positionné, dès 2007, à l’ANDRH, comme une cause nationale. Elles et leurs dirigeants doivent prendre conscience que la performance économique de leur société est intimement liée à la performance sociale et donc au bien-être au travail de leurs collaborateurs. Ceci étant dit, je pense que la démarche du gouvernement fait peser une forte pression sur les entreprises concernées. Cette « pression d’enjeu » (d’objectif à atteindre) peut parfois générer l’effet inverse de celui recherché. Les pouvoirs publics ont, à mon sens, choisi une manière un peu trop rapide pour un sujet beaucoup plus complexe que la simple publication de listes recensant bons ou mauvais élèves… ».

 

Info.expoprotection.com : Qu’entendez-vous par « un peu rapide » ?

Jean-Ange Lallican : Je veux simplement dire que des entreprises qui figurent sur la liste rouge ont, dans les faits, entrepris certaines actions et réflexions. Le contexte dans lequel Xavier Darcos a lancé cette enquête explique le caractère un peu rapide de la méthode. S’y superpose la crise économique que traverse actuellement notre pays. Crise qui n’incite pas à l’optimisme. Nous sommes donc confrontés à un ensemble de facteurs qui nuisent à la sérénité de la réflexion ».

 

Info.expoprotection.com : Ne sommes-nous pas ici face à deux logiques qui s’opposent : celle de l’entreprise qui réfléchit plus en termes d’évaluations chiffrées, d’objectifs à court ou moyen terme et celle de la santé publique qui s’inscrit plus dans le long terme ?

Jean-Ange Lallican : « C’est en partie vrai. La mise en place d’une politique et d’outils de lutte contre le stress au travail est longue. Elle requiert de véritables discussions entre les partenaires sociaux. Il faut aussi informer et former les managers qui ont entendu parler de ce problème mais qui n’ont pas toujours à leur disposition les outils nécessaires de repérage et d’évaluation des RPS. Ils manquent également très souvent de temps, plus engagés qu’ils sont dans leur logique d’objectifs à atteindre, d’évaluation, de scorring, etc. Il faut d’ailleurs insister sur le fait que les cadres constituent la population la plus concernée et touchée par le stress… Cette approche et ce travail nécessitent également du temps car il faut que la démarche individuelle soit convergente avec celle de l’entreprise. Or, en France comme dans d’autres pays européens, il existe toujours une certaine réticence individuelle à évoquer ces problèmes. Les Français en parlent encore peu. Cela peut donc contrarier les efforts fournis par l’entreprise, ses dirigeants,  le CHSCT, etc. ».

 

Info.expoprotection.com : Est-ce que le fait de montrer du doigt certaines entreprises n’est pas un peu facile ? Ne fait-on pas peser sur elles la résolution d’un problème qui ne se limite pas uniquement au monde du travail ?

Jean-Ange Lallican : « Le stress ou le suicide au travail ont des causes multiples. Je pense qu’une politique de lutte contre ces sujets doit s’inscrire dans un champ d’investigation plus vaste. En tout cas, il est évident que, dans l’esprit du gouvernement, les grosses entreprises ont nécessairement les moyens de mettre en place des politiques et des outils et qu’elles doivent payer. Les pouvoir publics ont décidé de les contraindre à y investir un peu plus. Pour celles qui s’y refuseraient ou qui n’en feraient pas assez, il faut donc envisager des mesures de rétorsion sous la forme d’amendes ».

 

Info.expoprotection.com : Pensez-vous que « taper au portefeuille » soit nécessairement la bonne méthode ?

Jean-Ange Lallican : « Il arrive un moment où la contrainte financière doit être imposée car aujourd’hui plus personne ne peut dire qu’il n’a pas connaissance que le stress au travail peut toucher n’importe qui, n’importe où, n’importe quand. Par contre, je pense que les engagements s’appréhendent mieux quand on ne subit pas la pression. Pour compléter ce que je disais tout à l’heure, le caractère hâtif de la démarche de l’Etat va à l’encontre de ce qu’il aurait fallu faire. On s’est inscrit plus dans une logique négative. Il aurait été peut-être plus efficace de se placer dans une posture positive, de présenter la réduction du stress au travail comme un défi à relever par tous en s’appuyant sur des exemples de bonnes pratiques. Je pense, par ailleurs, que la prévention contre ce type de problématique relève plus du domaine de l’assuranciel, comme le taux Accident du Travail. Il aurait fallu rendre les assurances davantage partie prenante du débat en faisant en sorte, par exemple, que le système de prise en charge des indemnisations prenne plus en compte les efforts consentis par les entreprises pour lutter contre les risques psychosociaux. Enfin, cette injonction faite aux 1500 plus grosses entreprises laisse penser que rien n’avait été fait. Ce qui, je le répète, est faux. Les CHSCT ne sont pas restés les bras croisés depuis deux ans, ni les médecins du travail. Nous-mêmes, à l’ANDRH, avons publié en 2008 un cahier de recommandations dont certaines sont très proches de celles avancées par le rapport fait au gouvernement… ».

 

> Pour en savoir plus sur l’ANRDH

 

L’Etat s’inspire des travaux de l’ANDRH

En 2008, l’ANDRH, via sa commission Stress, a publié un cahier de recommandations sur les risques psychosociaux. Certaines de ces recommandations ont inspiré la Commission Fillon.

 

> Propositions Commission Stress ANDRH

– Développer des stratégies de sensibilisation et de formation des équipes.

– Améliorer la qualité du management.

– Sensibiliser le Comité de direction.

– Développer des processus de communication internes dédiés au sujet du stress.

– Donner du sens par une meilleure délégation.

– Agir sur les causes principales.

– Promouvoir des règles hygiéno-diététiques.

– Développer des actions curatives.

– Développer la reconnaissance au travail.

 

> Propositions Commission Fillon

– L’implication de la direction générale et du conseil d’administration est indispensable.

– La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise pas.

– Il faut donner aux salariés les moyens de se réaliser dans leur travail.

– Il faut impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé.

– La mesure de la santé psychologique des salariés est une condition de son amélioration.

– Préparer et former les managers au rôle de manager doit faire partie intégrante de leur formation initiale.

– Il ne faut pas réduire le collectif de travail à une addition d’individus.

– Tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l’impact et la faisabilité humaine du changement.

– La santé au travail ne se limite pas aux frontières de l’entreprise, qui a un impact en particulier sur ses fournisseurs.

– La détection et l’accompagnement des situations de stress sont une nécessité.

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