Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Sûreté et sécurité

Les sociétés de sécurité privées ont-elles la fibre de l'innovation ?

Pour certaines entreprises prestataires, innovation rime avec nouvelles technologies. Lesquelles pourraient à la fois accroître l'efficacité des missions de sûreté-sécurité mais aussi menacer de prendre la place de l'homme. Pour d'autres, l'innovation est avant tout managériale.

En matière de sûreté-sécurité, le PDG du groupe suédois Securitas, Alf Göransson, estimait il y a quelques mois que l’avenir était aux caméras intelligentes et aux algorithmes prédictifs. A l’instar d’autres industries de labeur, celles qui emploient beaucoup de main-d’œuvre, le numéro un de la sécurité privée en Europe et en Amérique du nord affiche une vision très anglo-saxonne de l’économie, des services et de l’innovation : « Dans dix ans, cette industrie [la prestation de sûreté-sécurité, NDLR] comptera moins d’employés qu’aujourd’hui. » Sans préciser pour autant le nombre de victimes ni sur quelle période, l’avis de Alf Göransson recoupe néanmoins celui des chercheurs Daron Acemoglu (Massachusetts Institute of technologies) et Pascual Restrepo (Université de Boston) qui démontrent que les robots ont détruit 5 à 6 emplois pour 1.000 salariés, soit 670.000 emplois dans l’industrie manufacturière aux États-Unis entre 1990 et 2007. Période durant laquelle le nombre de robots a été quadruplé… Alliée à l’intelligence artificielle, la robotisation, selon ces chercheurs, pourrait engloutir la moitié des emplois actuels (industrie, service, BTP, santé…) dans les 20 prochaines années.

Vers des interventions temps réel

Et les sirènes de la disruption et du marketing digital de claironner inlassablement : reconnaissance faciale et détection des comportements suspects, « nous pouvons utiliser des caméras intelligentes pour détecter le crime avant qu’il ne se produise », affirme Alf Göransson. Même si Axis Communications (repris par Canon), le fabricant leader mondial de la vidéosurveillance sur IP, est également suédois, on est encore loin du film Minority Report dans lequel les criminels sont arrêtés avant qu’ils passent à l’action.

« Il est clair que réagir en temps réel ou sur des signaux faibles permet d’anticiper une catastrophe, du simple cambriolage jusqu’au terrorisme. Mais, dès lors qu’un événement est détecté, il faut surtout aller au plus vite sur le lieu où il s’est déroulé pour le stopper ou, au moins, en réduire les effets ou lever le doute, explique Dominique Legrand, président de l’Association nationale de la vidéoprotection (AN2V). A mon avis, il n’est pas évident qu’il faille quantitativement ôter des hommes sur le terrain. Peut-être même qu’il faut s’attendre à l’inverse. » Une chose est sûre : à l’avenir, plus personne ne tolérera de ne pas avoir été secouru sous 3 à 5 minutes si les caméras intelligentes et les algorithmes prédictifs deviennent la norme. Ce qui ne va pas forcément dans le sens d’une robotisation des prestations de sûreté-sécurité conduisant à des coupes franches dans les effectifs des sociétés privées de sécurité.

Place au pragmatisme

« Empêcher un meurtre, un viol ou un attentat grâce à la technologie, c’est bien, insiste Alf Göransson qui constate en Europe et en Amérique du nord la hausse du nombre des caméras de vidéosurveillance afin de réduire la criminalité. La prochaine étape consistera à utiliser les données historiques, l’intelligence numérique. Grâce à un algorithme, vous pourrez prédire ce qui va se passer dans le futur. » De tels algorithmes statistiques existent déjà en Californie et en Allemagne. « Si l’ordinateur affirme qu’il est plus probable que, dans cette rue, il y aura un cambriolage le vendredi entre 16 et 18 heures, alors la police va patrouiller d’une façon spécifique. En agissant ainsi, vous réduirez la criminalité de 30%. Pour le même coût. Avec les mêmes personnes. Mais avec juste avec un peu plus d’intelligence » insiste le patron de Securitas. « Autrement dit, halte aux rondes inutiles et aux positions statiques. Plaçons tous les outils temps réels dans la poche des agents de sécurité privée afin que les faits délictueux diminuent et que les auteurs soient inquiétés immédiatement sous peine de « non assistance à personne à danger » ! », reprend Dominique Legrand qui estime que la présence sur le terrain répond néanmoins à une forte demande inconsciente de la population : le besoin d’être rassuré.

Dominique Legrand, président de l'Association nationale
de la vidéoprotection (AN2V). © AN2V
Dominique Legrand, président de l’Association nationale
de la vidéoprotection (AN2V). © AN2V

Un grand besoin de formation

Après la peur qu’inspire l’innovation disruptive, l’intelligence artificielle est désormais appréhendée avec davantage de pragmatisme : « En matière de prédictif, il s’agit, pour nous, non pas de prédiction mais d’un outil d’analyse statistique, nuance Stéphanie Tucoulet, secrétaire générale du syndicat Sûreté, vidéoprotection et détection incendie (SVDI) qui représente près de 600 entreprises et 40.000 salariés. Par exemple, à New York, où les statistiques sur les habitats insalubres et les départs de feu ont été recoupées, les casernes de pompiers sont désormais implantées au plus près du risque afin de gagner en efficacité. »

« Les algorithmes prédictifs, c’est du bidon » , lance, un rien provocateur, Guy Conan, secrétaire général adjoint du Syndicat des conseils en sécurité (SCS), en charge des nouvelles technologies. « En effet, avec l’analyse comportementale dans un parking, ce n’est pas le voleur qui se fait arrêter mais le papy et la mamy qui ne savent où ils ont garé leur voiture ! Ces technologies fonctionnent peut-être en laboratoire mais pas forcément sur le terrain. » En revanche, certaines technologies trouvent grâce à ses yeux : la transmission instantanée sur smartphone ou PC de la fiche d’un individu susceptible de commettre un délit, l’identification d’un terroriste ou d’un objet abandonné dans une foule, le franchissement d’une barrière, les caméras infrarouges qui se démocratisent. « La profession a surtout besoin de formation. Beaucoup de technologies innovantes ne sont pas utilisées dans les entreprises. Ensuite, nous manquons d’écoles spécialisées, d’académies ou de centres de formation dédiés aux métiers de la sûreté et la sécurité », enchaîne Guy Conan.

Stéphanie Tucoulet, secrétaire générale du syndicat Sûreté,
vidéoprotection et détection incendie (SVDI). © SVDI
Stéphanie Tucoulet, secrétaire générale du syndicat Sûreté,
vidéoprotection et détection incendie (SVDI). © SVDI

L’agent de sécurité du futur

Reste que tout le monde n’a pas la même vision de l’avenir et de l’innovation. A l’occasion du 25ème Congrès national de la sécurité privée, organisé à Nice (06) les 22 et 23 juin derniers par le Syndicat national des entreprises de sécurité (Snes), Philip Alloncle, le nouveau préfet délégué aux coopérations de sécurité, dévoile les contours de l’agent de sécurité du futur : « Je le vois comme un agent  »transformé » : il pourrait être doté d’une qualification d’agent de palpation mais aussi de sécurité incendie (de niveau SSIAP 1 ou 2) ou en mesure s’il le souhaite de porter une arme sur certaines missions bien définies, en encore être hautement qualifié en secourisme, voire même  »primo-intervenant » sur une cyberattaque dont il constaterait les prémices sur un site dont il aurait la garde.. Bref, c’est cette diversité de compétences qui permettra une « montée en gamme » de l’ensemble de [ce] secteur à laquelle nous aspirons tous. »

Vers des agents de sécurité armés

En filigrane, se pose la question de l’armement des agents de sûreté-sécurité qui, dans le sillage de la récente loi n°2017-258 du 28 février 2017, impose une innovation de rupture au plan managérial. « Cette question [armer les agents de sécurité, NDLR] fait l’objet d’un projet de décret en Conseil d’État, qui a donné lieu à des consultations approfondies avec l’ensemble des organisations professionnelles et qui sera soumis prochainement à l’arbitrage du ministre d’État. Je ne crois pas cette réforme anodine pour [la] profession, même si elle n’a pas vocation à concerner beaucoup de donneurs d’ordres et donc de sociétés prestataires, reprend Philip Alloncle. En effet, ne pourront bénéficier de cette dotation en armes de catégorie B (à savoir revolvers de calibre 38 ou armes de poing chambrées en 9 mm) que les agents déployés sur des sites faisant l’objet de menaces particulières et après autorisation préfectorale. Bien sûr, une telle option de protection s’accompagnera de toutes les garanties d’aptitude professionnelle et de moralité tant des dirigeants que des agents. Les conditions d’acquisition et de détention des armes seront par ailleurs nécessairement drastiques. » Rappelons que, selon un récent sondage Odoxa-Fiducial », 71% des Français pensent désormais (+20 points en un an) que la gestion de la sécurité doit résulter d’une juste collaboration entre forces de l’ordre et sociétés privées de sécurité. Tandis que 62% considèrent qu’un agent de sécurité armé rassure, 12% seulement craignant cette disposition.

Pour grand nombre d'agents de sécurité, l'innovation,
réside davantage dans le service et l'organisation que
dans la technologie. © Alsa Sécurité
Pour grand nombre d’agents de sécurité, l’innovation,
réside davantage dans le service et l’organisation que
dans la technologie. © Alsa Sécurité

Politique industrielle d’innovation

Qu’elle soit technologique ou managériale, l’innovation réclame une certaine protection. « Si une technologie critique est tenue par une entreprise fragile, il faut faire en sorte que la société qui la porte ne se fasse pas racheter par une société étrangère, souligne Jacques Roujansky, délégué général du Conseil des Industriels de la confiance et de la sécurité (CICS). Sur ce terrain, nous voulons être plus  »mordants », mieux protéger les entreprises en mobilisant davantage le tissus du CICS et les moyens de l’État. » Dommage que cette stratégie n’ait pas été mise en œuvre pour le toulousain Spikenet, spécialiste de l’intelligence artificielle (réseaux de neurones) au service de l’analyse d’images en vidéoprotection, rachetée en septembre dernier par l’américain Brainchips…

Toujours est-il que le CICS veut soutenir une politique industrielle en faveur de l’innovation pour les métiers de la sûreté et de la sécurité. « Nous avons ainsi aidé à faire émerger en 2015 et 2016 des démonstrateurs en vidéo intelligente (VOIE), radiocommunication professionnelle de nouvelle génération, plate-forme d’expérimentation de la cybersécurité des réseaux (EIC-CHESS), remarque Jacques Roujanski. Dans le cadre du second Plan d’investissements d’avenir (PIA 2), d’autres démonstrateurs sont en train de sortir en matière de Safe City (sécurité des villes), nouvelles formes d’identité numériques, plate-forme de cybersécurité des systèmes industriels. » Mais rien, pour l’heure en matière d’agent de sécurité du futur. A moins qu’on en entende parler dans le PIA3 à l’horizon 2018.

Ce qui conduit Alf Göransson de Securitas à une mise en garde : « Beaucoup d’entreprises [privées de sécurité] ne comprennent pas que toutes ces évolutions surviennent extrêmement vite. Celles qui ne conduiront pas ce changement ne survivront pas. La question est de savoir combien de temps elles survivront mais, sur le long terme, elles feront faillite, prophétise-t-il. [En Europe], il y a 41.000 sociétés privées de sécurité enregistrées, dont 4.000 en France et autant en Allemagne. Cette industrie va se consolider de façon spectaculaire durant la prochaine décennie et cela ne se fera pas [uniquement] par des acquisitions. »

Erick Haehnsen

Philip Alloncle, préfet délégué aux coopérations de sécurité.
© Snes
Philip Alloncle, préfet délégué aux coopérations de sécurité.
© Snes

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