Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Les multinationales ne répondent pas aux attentes en matière de devoir de vigilance

Suite à la tragédie en 2013 du Rana Plaza au Bangladesh (plus de 1 000 morts), un collectif d’associations a réalisé une étude sur les pratiques des grands donneurs d’ordre concernant leur devoir de vigilance au travail. Bilan : elles pourraient mieux faire. Un groupe de députés exhorte le ministre de l’Économie et des Finances à les rappeler à la loi.

Amis de la terre, Amnesty International, CCFD-Terre solidaire, le Collectif éthique sur l’étiquette, ActionAid France-Peuples solidaires, Sherpa… un collectif d’associations non gouvernementales a remis en février dernier au ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, un rapport intitulé « Loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre : année 1 – Les entreprises doivent mieux faire ».

Élaborer un instrument international juridiquement contraignant
Cette initiative prend place à la suite de la tragédie, en 2013, du Rana Plaza au Bangladesh. Pas moins de 1 135 ouvriers, qui confectionnaient des vêtements, entre autres pour les marques Mango et Benetton, y avaient trouvé la mort. Ce drame avait suscité, en France, une mobilisation sans précédent de la société civile et de plusieurs groupes parlementaires. Après quatre années d’intenses discussions et négociations avec le gouvernement et, notamment, la direction générale du Trésor, l’adoption d’un texte pionnier avait été saluée à l’international. Il s’agit de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre » qui fait l’objet de l’insertion de l’article L. 225-102-4.-1 dans le Code du commerce juste après l’article L. 225-102-3.

Premières actions en justice potentiellement cette année
Malgré ses limites, la loi française constitue indéniablement un texte pionnier au niveau mondial. Les entreprises multinationales donneuses d’ordre pourront être reconnues légalement responsables des dommages humains et environnementaux que peuvent provoquer leurs activités ainsi que celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs à l’étranger. Saisies par les associations pour la défense des droits de l’homme et de l’environnement, ainsi que par les syndicats et les victimes elles-mêmes, elles auront à en répondre devant un juge, le cas échéant. Cette loi crée l’obligation de dresser une cartographie des risques ainsi qu’un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures d’adaptation, sans oublier les procédures d’évaluation régulières de la situation des filiales, des sous-traitants et des fournisseurs. Enfin, il est également prévu de mettre en place une mécanique d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou la réalisation des risques. Au final, les premiers plans de vigilance ainsi que le rapport de leur mise en œuvre sont rendus publics et inclus dans le rapport annuel des sociétés. Les premiers plans ont été rendus publics en 2018 et les premières actions en justice pourraient intervenir cette année.

Des publications très insuffisantes
A ce jour, aucune liste complète des sociétés soumises à la loi n’a été publiée, mais le collectif d’associations a analysé 80 rapports disponibles. Le secteur extractif (Eramet, Orano, Total) concentre à lui seul près d’un tiers des violations des droits humains par les entreprises dans le monde. Dans l’agroalimentaire (BEK, Bolloré, Danone), les cartographies des risques et les mécanismes d’alerte sont évasifs. Dans le secteur bancaire (BNP Paribas, Natixis, Société générale), le Crédit agricole, deuxième plus grosse banque française, n’a même pas publié son rapport. Dans l’habillement (Carrefour, Auchan, Casino), les plans sont également imprécis ou trop génériques. Rien sur les atteintes fondamentales et généralisées comme les salaires de pauvreté ni sur les pratiques d’achats ou la lutte contre la sous-traitance en cascade.

Un courrier des députés adressé à Bruno Le Maire
Mercredi 27 mars, le rapporteur général de la commission des Finances à l’Assemblée nationale, Joël Giraud (LREM, Hautes-Alpes), a adressé à Bruno Le Maire un courrier cosigné par plusieurs députés, dans lequel ces derniers se félicitent du rôle pionner joué par la France en la matière et de la dynamique qu’elle a ainsi impulsée : « En 2018, les sociétés multinationales ont pour la première fois rendu publics leurs « plans de vigilance » dont la vocation première est de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles qu’elle contrôle (impliquant sous-traitants et fournisseurs). »

Des progrès à faire
« Si l’on ne peut que saluer cette avancée, force est toutefois de constater, rappellent les députés, que les premiers plans de vigilance demeurent globalement incomplets et se résument, dans la plupart des cas, à une suite d’informations annexes de leurs rapports d’activité, au sein de la rubrique Responsabilité Sociétale des Entreprises. » Aussi, les députés veulent-ils s’assurer auprès de Bruno Le Maire de la vigilance de l’administration sur le contenu de ces plans et sur la bonne application de la loi. En effet, la mise en œuvre de cette réglementation ressort du point de contact national dont la présidence et le secrétariat sont assurés par la direction générale du Trésor. « Nous souhaiterions également que votre administration nous informe sur les initiatives prises en ce domaine par les différents États de l’Union européenne et puisse s’assurer qu’elles soient substantielles et convergentes, insistent les députés. Nous souhaitons enfin vous assurer de notre soutien pour défendre la position de la France dans les négociations actuelles du projet de traité international sur les multinationales et les droits humains. » A bon entendeur…

Erick Haehnsen

Voici la liste des députés qui ont co-signé le courrier adressé le 27 mars à Bruno Le Maire :

– Joël Giraud, rapporteur général de la commission des Finances
– Dominique Potier, député, rapporteur de la proposition de loi sous la précédente législature
– Éric Woerth, président de la commission des Finances
– Jean-Noël Barrot, vice-président de la commission des Finances
– Émilie Cariou, vice-présidente de la commission des Finances
– Laurent Saint-Martin, vice-président de la commission des Finances
– Valérie Rabault, Présidente du groupe Socialistes et apparentés, secrétaire de la commission des Finances
– Marie-Christine Verdier-Jouclas, secrétaire de la commission des Finances
– Benjamin Dirx, secrétaire de la commission des Finances
– Bénédicte Peyrol, responsable La République en Marche à la commission des Finances
– Véronique Louwagie, responsable Les Républicains à la commission des Finances
– Mohamed Laqhila, responsable Mouvement Démocrate et apparentés à la commission des Finances
– Lise Magnier, responsable UDI, Agir et indépendants à la commission des Finances
– Christine Pirès-Beaune, responsable Socialistes et apparentés à la commission des Finances

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