Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Le travail de nuit a des effets avérés sur la santé des salariés

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) Alerte a rendu le 21 juin dernier un avis sur les risques sanitaires encourus par les professionnels exposés à des horaires atypiques, qu'ils soient réguliers ou non. Trois ans après avoir analysé plusieurs centaines d'études épidémiologiques et cliniques, les experts estiment que le travail de nuit a des effets avérés sur les troubles du sommeil et du métabolisme.

Le nombre de salariés soumis au travail de nuit, c’est à dire entre 23 heures et 6 heures du matin selon la définition du code du travail, a pratiquement doublé en l’espace de 20 ans. On en dénombrait 3,5 millions en 2012, principalement dans le secteur tertiaire. Or l’activité nocturne dérègle l’horloge biologique qui est calée sur les horaires de jour. Cette désynchronisation a des effets avérés sur le sommeil et le métabolisme des travailleurs, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Le 21 juin dernier, cet organisme a rendu un avis sur le sujet en réponse à une saisie de la Confédération des travailleurs chrétiens. Cette dernière lui a demandé en 2011 d’évaluer les risques sanitaires pour les professionnels exposés à des horaires atypiques, qu’ils soient réguliers ou non. Le rapport rendu par l’Anses dresse un tableau inquiétant des risques liés à l’activité nocturne. Ses effets sont avérés sur les troubles du sommeil et du métabolisme. Lesquels concernent l’ensemble des réactions chimiques nécessaires au maintien de notre organisme. Les effets du travail de nuit sont aussi jugés probables sur le cancer, l’obésité, le diabète de type 2, les maladies et les troubles cardiovasculaires. 

Pour mener à bien cette évaluation sanitaire, l’agence de sécurité sanitaire a constitué, sous la présidence de Claude Gronfier, un célèbre chronobiologiste, un groupe de travail avec des médecins du travail, des chercheurs en chronobiologie, ergonomie, épidémiologie mais aussi des professeurs en oncologie médicale et un spécialiste du sommeil et de la vigilance. Ces scientifiques ont analysé pendant trois ans des centaines d’études cliniques et épidémiologiques. Placé sous l’égide d’un comité d’experts réunissant, entre autres, des directeurs de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et des ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Le groupe de travail s’est réuni 27 fois en séances plénières entre novembre 2012 et janvier 2016. Des intervenants extérieurs ont aussi été audités et une convention de recherche et de développement entre l’Anses et l’Inserm a été établie afin d’exploiter des données de terrain issues de l’enquête nationale surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer 2010). 

Les études, analyses et auditions ont donné lieu à un rapport de plus de 400 pages qui montre notamment que le travail de nuit a des effets avérés sur la somnolence, la qualité de sommeil et la réduction du temps de sommeil total et le syndrome métabolique. Son effet est estimé probable sur les maladies psychiques, l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et sur le cancer. Ce dernier constat n’est d’ailleurs pas nouveau. Déjà en 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) avait ajouté à la liste des agents probablement cancérogènes (groupe 2A) le travail posté qui induit aussi la perturbation des rythmes circadiens, c’est-à-dire les rythmes biologiques d’une durée de 24 heures. Les horaires atypiques favorisent aussi l’apparition de cancers notamment du sein chez la femme comme tendent à le démontrer plusieurs études menées sur le sujet auprès d’infirmières, opératrices radio, militaires, travailleuses du textile.

« Le coût social du travail de nuit ou posté ne se limite pas aux soins de santé prodigués aux salariés, observe l’Anses. Il devrait prendre en compte le coût des répercussions sur la vie familiale, les coûts induits par les transports ou encore l’absentéisme. Ce coût social du travail de nuit ou posté est cependant très difficilement évaluable, car les statistiques associant les conséquences médicales et sociales aux horaires de travail sont peu nombreuses. » Peu de travaux scientifiques se focalisent sur l’impact de ces horaires sur la vie familiale et sociale. Or la vie hors travail a indéniablement à voir avec la santé, entendue au sens de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), c’est à dire physique, mentale, psychique et sociale. 

Ces conclusions de l’Anses intéressent 3,5 millions de personnes recensées par l’enquête « Conditions de travail » qui a été analysée par la direction de l’animation, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail dans l’étude Le travail de nuit en 2012, publiée en août 2014. D’après cette enquête, le travail de nuit concerne principalement des intérimaires, des hommes trentenaires et des femmes de moins de 30 ans. Cette population qui représente 15,4 % des salariés (21,5 % des hommes et 9,3 % des femmes) a doublé en l’espace de 20 ans. La tendance est encore à l’augmentation, notamment chez les femmes. Autre constat dressé par l’Anses, le travail de nuit est particulièrement répandu dans le tertiaire. Il concerne 30% des salariés dans la fonction publique et 42% dans les entreprises privées de services. Les professionnels les plus concernés par le travail de nuit sont les conducteurs de véhicules, les policiers, les militaires, les infirmières, les aides-soignantes et les ouvriers qualifiés des industries de transformation ou d’assemblage. 

Cette enquête montre que les salariés qui travaillent la nuit ont une rémunération plus élevée mais des conditions de travail nettement plus difficiles que les autres salariés : ils sont soumis à̀ des facteurs de pénibilité physique plus nombreux, une pression temporelle plus forte (horaires, contraintes de rythmes, délais, etc.), et des tensions avec leurs collègues ou le public plus fréquentes. Compte tenu de ces risques, l’Anses recommande de limiter le recours au travail de nuit aux seules situations nécessitant d’assurer les services d’utilité sociale ou la continuité de l’activité économique. Elle recommande aussi d’évaluer l’adaptation du cadre réglementaire en vigueur à la protection de la santé des travailleurs de nuit. Au-delà du respect de la bonne application des dispositions réglementaires relatives au travail de nuit, l’agence recommande de réaliser un état des lieux des pratiques de terrain visant à protéger la santé des travailleurs de nuit (durée maximale quotidienne de travail, temps de pause, repos quotidien minimal, repos compensateur ou encore suivi médical, …). 

Ceci pourrait être réalisé par exemple au moyen d’une enquête auprès des principaux secteurs concernés. Par ailleurs, l’agence préconise dans un premier temps, d’évaluer l’impact sanitaire (nombre de cas pour chaque pathologie potentielle dans la population des travailleurs) des effets du travail de nuit. Et dans un second temps, d’évaluer les coûts sociaux associés au recours au travail de nuit ((arrêts de travail, maladie professionnelle, absentéisme, etc.) qui pourraient être mis en regard des bénéfices potentiels. Dans l’attente, il apparaît nécessaire, dès à présent, d’ajuster la surveillance médicale des travailleurs de nuit, notamment après la cessation d’activité de nuit, de porter les conclusions de la présente expertise devant les instances en charge d’évaluer la pertinence d’une inscription de certaines pathologies au tableau des maladies professionnelles. L’Agence prône enfin l’optimisation des modes d’organisation du travail de nuit afin d’en minimiser les impacts sur la vie professionnelle et personnelle.

Eliane Kan

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