Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Le téléphone contre la souffrance psychologique au travail

Interview de Valentin Lemoine, psychologue clinicien et responsable de l’activité prévention au sein du Groupe JLO. Spécialisée dans l’accompagnement des salariés, l’entreprise emploie 115 professionnels (psychologues, ergonomes, juristes, conseiller en communication,etc.) en sécurité-santé au travail (SST), qualité de vie au travail (QVT), diversité et handicap.

Quelle est la philosophie de vos interventions en entreprise ?
Celle-ci est basée sur les « 4 M » : mieux anticiper, mieux vivre ensemble, mieux se réaliser et mieux travailler. Ces 4 M doivent être mis en place ensemble même si l’on part d’un seul besoin identifié. Notre but, c’est de développer une pensée globale de la prévention des risques psychosociaux (RPS) et de la qualité de vie au travail (QVT).

Y a-t-il des professions particulièrement sensibles ?
Oui, les salariés qui ont un travail en horaires décalés ou en 3/8. Comme les manutentionnaires en logistique ou les conducteurs de poids lourds dans le transport routier de marchandises (TRM). Pour ces derniers, l’activité est intense, ils sont très souvent seuls, sont souvent mal perçus et en souffrent. Leurs horaires décalés aggravent certains facteurs. Notamment le sentiment de solitude. Si un chauffeur rencontre des problèmes familiaux, il aura du mal à dormir et cette difficulté va s’accroître avec les horaires décalés, véritable frein à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. De même, en logistique, les manutentionnaires peuvent démarrer la conduite de leur Fenwick à 3 heures du matin.

Qu’est-ce que cela entraîne comme risque ?
Qu’on soit chauffeur de poids lourds ou de chariot élévateur, cela implique de faire preuve d’une très grande vigilance. Et lorsque ces professionnels traversent une difficulté psychosociale (un conflit avec un collègue ou un manager), le sommeil est l’une des premières sphères impactées. Certes, dans le TRM, le chauffeur sait qu’il sera seul au volant, qu’il sera responsable de la marchandise et qu’il pourrait constituer un risque sur la route pour les autres usagers. Sa préparation mentale pour ce métier conduit à une forme d’acceptation première. Il sait pourquoi il a signé. Mais, par la suite, le chauffeur va rencontrer des conflits avec son entreprise : on lui demande d’en faire plus alors qu’il donne déjà beaucoup, il a le sentiment qu’on ne l’écoute pas, sa famille lui manque, etc. C’est une situation de souffrance. Il ressasse tout cela la nuit, dort moins bien, mange moins… Lorsque ces deux sphères (sommeil et alimentation) sont perturbées, le risque sur la route augmente.

Quelles sont les pistes d’action ?
La personne en mal-être peut commencer par solliciter un collègue ou un responsable si la relation est bonne, ou encore la direction des ressources humaines, voire la médecine du travail. Pour notre part, nous travaillons sur l’accompagnement psychologique à distance. L’entreprise met en place avec nous une ligne téléphonique gratuite avec un numéro dédié afin que tous les collaborateurs puissent bénéficier d’un accompagnement psychologique. De notre côté, il y a des psychologues du travail ainsi que des psychologues cliniciens. Lorsque le conducteur de poids lourds en souffrance appelle, on l’écoute, il explique son travail, on essaie de recenser les difficultés qu’il traverse et analyser de quoi elles sont constituées. Ensuite, nous essayons de légitimer le ressenti du chauffeur. Parfois, les sentiments ne sont pas compris par le chauffeur lui-même : la déception, la tristesse, l’anxiété, la perte de repères, la dévalorisation. Le fait de nommer ces sentiments permet au chauffeur routier de comprendre ce qu’il traverse. Ce qui est essentiel. Enfin, nous essayons d’identifier, définir et valider ensemble des pistes d’action pour tenter de résoudre la situation de souffrance, même les situations très personnelles.

Que faites-vous lorsque les cadres se révèlent mauvais en management ?
C’est un sujet cher aux grands groupes ! Dans le sillage de notre ligne d’écoute, nous identifions des axes d’amélioration ainsi qu’un plan d’accompagnement. Parfois, un manager n’a ni la méthode ni l’encadrement de son propre responsable. Bien sûr, il faut mettre en place des formations au management. Mais, en fait, c’est à tous les étages de l’entreprise que nous sommes sollicités : salariés, managers, RH et même patrons.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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