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Santé et qualité de vie au travail

Le glyphosate, bientôt indemnisé comme l’amiante ?

Interview de Myriam Delawari-de Gaudusson, associée au cabinet d’avocats De Gaulle Fleurance & Associés. Elle explique en quoi les actions pour reconnaître le caractère pathogène de cette molécule sont bloquées. Et comment la situation pourrait évoluer avec la notion de faute inexcusable.

Pourquoi le glyphosate ne fait-il pas l’objet d’attaque en justice comme l’amiante ?
Le glyphosate est souvent comparé à l’amiante en tant que produit nocif pour la santé des travailleurs qui les manipulent, voire pour leurs familles. Des actions contentieuses sont intentées aux fins de reconnaissance du caractère pathogène de cette molécule et de ses produits dérivés. Mais celles-ci se heurtent d’une part aux controverses scientifiques sur sa dangerosité. Et d’autre part à l’absence de cadre juridique précis autorisant les juridictions à traiter efficacement les demandes d’indemnisation formées par les travailleurs et leurs familles.

Le cas du jardinier Dewayne Johnson peut-il changer la donne ?
En effet, il pourrait ouvrir la voie à bon nombre d’actions en demande d’indemnisation car cette personne a obtenu d’une juridiction de San Francisco des dommages-intérêts à hauteur de 290 millions de dollars sur le fondement de l’effet « potentiellement cancérigène » du glyphosate contenu dans l’herbicide Roundup et sa version professionnelle RangerPro, produits et commercialisés selon les termes de la décision, avec « malveillance » par Monsanto. Contestant le bien-fondé de cette décision, Monsanto a formé un appel estimant que : « 800 études scientifiques et les conclusions de l’agence américaine de la protection de l’environnement (EPA), des instituts nationaux pour la santé et des autres autorités de régulation à travers le monde soutiennent que le glyphosate ne cause pas de cancer. »

N’est-ce pas un grand progrès ?
Ce n’est pas si simple. On touche ici du doigt la difficulté rencontrée dans ce type de dossier : l’absence d’une reconnaissance scientifique incontestée du lien entre glyphosate et cancer. Malgré de fortes suspicions, ce lien de causalité est contesté par les lobbys. L’enjeu est de taille car plusieurs milliers de procédures dans le monde sont en cours à l’encontre de Monsanto.

En France, une telle condamnation serait-elle possible ?
Une voie est envisageable sur le fondement des actions relatives à l’amiante. Avec, cependant, une différence de taille : l’amiante est officiellement reconnu en France comme substance hautement nocive pour la santé des travailleurs. Les pathologies qui en découlent figurent donc sur le tableau des maladies professionnelles. Rappelons qu’une maladie est dite professionnelle si elle est la conséquence directe de l’exposition d’un travailleur à un risque chimique, biologique ou résulte des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle. Ces dernières années, de nombreuses victimes de l’amiante ont engagé des procédures contre les industriels responsables de négligence d’information et de protection sur le fondement de la faute inexcusable définie par l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale.

Comment fonctionne le fondement de la faute inexcusable ?
La chambre sociale de la Cour de cassation a précisé la notion de faute inexcusable par une série d’arrêts rendus le 28 février 2002 (n°99-18.389, n°99-18.390, n° 99-21-255, n°99-17.201), et selon lesquels : « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, […] le manquement de l’employeur à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale. » Pour que cette faute soit établie, l’employeur doit avoir conscience du danger alors qu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour s’en protéger. Cette simplification de la reconnaissance de la faute inexcusable entraîne de lourdes conséquences pour les employeurs. En effet, le salarié pourra obtenir une réparation intégrale ainsi que l’indemnisation de tous ses préjudices et une majoration de sa rente en cas d’invalidité (article L.452-2 du Code de la sécurité sociale).

Le même raisonnement serait-il envisageable pour le glyphosate ?
Oui, à condition que son caractère pathogène soit reconnu. En attendant une position claire du législateur sur ce point, il ne peut être que conseillé aux employeurs de respecter ce principe. Les pathologies étant, comme pour l’amiante, susceptibles d’apparaître plusieurs années après l’exposition au produit.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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