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Risques industriels et environnementaux

Julien Weisbein (Sciences Po Toulouse) : « Risque maritime : la réponse politique est sous-dimensionnée »

Maître de conférences et directeur du Laboratoire des sciences sociales du politique à Sciences Po Toulouse, Julien Weisbein est spécialiste des questions relatives à la protection du littoral et aux marées noires... Il revient sur l'avarie récente du Modern Express et sur son remorquage au port de Bilbao.

Pouvez-vous nous rappeler les faits concernant le Modern Express ?
Le 26 janvier dernier, en début d’après-midi, le Maritime Rescue Coordination Center (MRCC) de Falmouth a coordonné dans sa zone de responsabilité une opération de sauvetage du Modern Express en détresse, dans le Golf de Gascogne avec une gîte de 50%. Immatriculé au Panama, le Modern Express appartient à l’armement Cido Shipping de Hong Kong (Chine) qui possède 39 autres  »voituriers », des  »Ro-Ro » en langage marin (Roll-out/Roll-in), c’est-à-dire des navires de commerce transportant des voitures ou autres véhicules, appelés aussi  »voituriers ». Le Modern Express est exploité, sous affrètement, par le groupe belge European Roro Lines. Il effectue des rotations entre la France et l’Afrique (Le Havre-Gabon). A l’aller, il transporte des véhicules, au retour des marchandises diverses : remorques, camions, bois, matériel de travaux publics qui ont servi sur des chantiers en Afrique et qui remontent en Europe… L’ensemble de l’équipage, composé de 22 personnes, a été évacué par des hélicoptères de sauvetage espagnols dans des conditions de mer très difficiles. Le voiturier d’une longueur de 164 m se situait alors à 200 nautiques (environ 370 km) dans le sud-ouest de la pointe de Penmarch. Il transportait 3.600 tonnes de bois débité en fardeaux et des engins de travaux publics. Sous l’effet d’une tempête avec des rafales de vent jusqu’à 80 km/h et une houle avec des creux de 6 m, le navire a dérivé pendant plusieurs jours pour se retrouver à 42 km des côtes de Biscarrosse (Landes) où il menaçait de s’échouer. Le 1er février, le remorqueur Centaurus a réussi à accrocher un câble pour remorquer le navire jusqu’au port refuge de Bilbao en Espagne.
L’histoire s’est bien terminée…
Oui. En arrière plan, il y avait le souvenir de l’échouage traumatisant du Prestige le 13 novembre 2002 au large des côtes de Galice en Espagne. Ici, il y a eu un Storytelling très intense sur cette affaire à rebondissements multiples : le câble du remorqueur va-t-il tenir ? C’est l’opération de la dernière chance… Pouvait-on entendre dans les médias. Et, effet, il y a eu une fin heureuse en couronnement d’une mobilisation énorme. La Préfecture maritime a mis des moyens aériens. La société néerlandaise de sauvetage en mer Smit Salvage, qui s’est fait remarquer sur le Kourk en 2000, le Prestige, le MSC Flaminia en 2012 et le Costa Concordia en 2013, est également intervenue ici. Des barrages antipollution ont été déployés sur les plages landaises. Le plan Polmar (Pollution maritime) a été mis en œuvre et la collaboration entre les autorités françaises et espagnoles a très bien fonctionné.
Où est le problème ?
En fait, le Modern Express est un navire de taille moyenne et les conditions météorologiques étaient certes mauvaises mais pas déchaînées. Or le transport maritime est un secteur d’activité global extrêmement concurrentiel qui est entraîné dans une course folle au gigantisme : 396 m de longueur pour l’Emma Mærsk (Mærsk), 398 m pour le Mærsk Mc-Kinney Møller (Mærsk), et 400 m pour le CSCL Globe (China Shipping Container Lines). La pression, exercée sur les armateurs, pour aller vers ce gigantisme est énorme. Évidemment, ces bateaux sont de plus en plus fiables. Cependant, l’ampleur des risques qu’ils représentent augmente considérablement.
Quelles peuvent être les conséquences de cette course au gigantisme des navires commerciaux ?
En ce qui concerne le Modern Express, l’État a mobilisé presque tous ses moyens pour un problème moyen… Ajoutons que, pour l’heure, le Golfe de Gascogne ne dispose pas de remorqueurs en propre. Il faut dire que celui de La Rochelle a été déplacé à Dunkerque en raison de la fin d’une collaboration avec le Royaume-Uni… Normalement, un remorqueur Abeille devrait être positionné à nouveau à La Rochelle. Au final, même si les principes de protection sont bons, les moyens opérationnels sont sous-dimensionnés par rapport au risque.
Mais est-ce que les navires de petite et moyenne taille sont-ils bien équipés ?

En Bretagne du nord, qui avait été touchée par le terrible naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978, le Syndicat mixte de protection et de conservation du littoral du nord-ouest de la Bretagne, créé en 1980, rebaptisé Vigipol en 2000, revendique une nouvelle disposition. En effet, au-delà de 20 000 tonnes, les navires ont pour obligation d’être équipés d’un dispositif de remorquage d’urgence à l’avant ainsi qu’à l’arrière. Et justement, il n’y en avait pas sur le Modern Express. Vigipol propose de généraliser ce dispositif.

Erick Haehnsen

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