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Santé et qualité de vie au travail

Hervé Lanouzière : « Les entreprises doivent anticiper leur transformation numérique avec leurs salariés »

Interview du directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions du travail (Anact). Il estime que, lorsqu'elle n'est pas pensée en amont de concert avec les salariés, la transformation numérique peut avoir des impacts négatifs sur la qualité de vie au travail. Par ailleurs, l'Anact lance chaque année des Fonds d'aide à l'amélioration des conditions de travail qui contribuent à soutenir financièrement les projets innovants. Le dernier en date s'adresse aux entreprises qui souhaitent engager des démarches de refonte de leurs organisations du travail.

On entend beaucoup parler depuis ces dernières années de qualité de vie au travail (QVT). Comment cette démarche se traduit-elle dans les entreprises ?

La qualité de vie au travail recouvre principalement deux champs. Celui de l’organisation du travail dans l’entreprise et, plus en périphérie, celui de l’articulation entre vie privée et vie professionnelle. C’est par là que les grandes entreprises ont d’ailleurs démarré avec la mise en place du télétravail, la création de conciergeries, de crèches inter-entreprise, de salles de repos avec baby-foot, etc, et avec la nomination d’un responsable du bien-être au travail, en anglais Chief Happiness Officer. Lequel a pour mission d’organiser des événements et de faciliter la vie des salariés de sorte à maintenir l’attractivité de l’entreprise, réduire le turnover et l’absentéisme.

En 2016, vous aviez réalisé un sondage montrant que le numérique semble impacter favorablement la QVT. 85 % estiment que l’usage des technologies a eu un impact positif contre 90 % pour les chefs d’entreprise. Cette vision positive de la transformation numérique au travail mérite-elle d’être nuancée ?

Effectivement. Le numérique induit des modifications de l’organisation du travail qui ne sont pas toujours perçues comme telles par les employeurs et les salariés. Ces derniers ont le sentiment d’être de plus en plus autonomes mais, dans la réalité, ils peuvent se découvrir enfermés dans des processus très rationalisés. Ainsi, dans un processus de workflow par exemple, en cas de bug informatique, le salarié peut se retrouver empêché et perdre en marges de manoeuvre. Cela a pour effet de dégrader le sentiment de faire un travail de qualité et, en bout de course, sa perception de la qualité de vie au travail. D’où la nécessité d’anticiper en amont l’introduction de tout nouvel outil ou d’un changement d’organisation.

Comment les entreprises les plus avancées s’y prennent-elles pour accompagner leur projets de transformation ?
Les salariés sont invités à participer à la transformation de l’entreprise et à réfléchir à la nouvelle organisation qui en découle. Cette approche offre plusieurs avantages. Elle permet d’avoir une meilleure perception du sens de leur travail et d’agir en amont sur les conditions de travail. Dans cette perspective, nous avons accompagné des entreprises sur le déploiement de dispositifs qui les aident à simuler les effets des projets de déménagement, agrandissement d’atelier, mise en place de nouveaux outils informatiques, fusions de services, etc. Nous pouvons collaborer avec les managers et les chefs de projet sur les aspects d’ingénierie en recourant à des plates-formes de simulation telles que « Simul&ception » développée notamment par l’Aract Normandie. Grâce à cet outil, les entreprises peuvent simuler, par exemple, la configuration de leur futur espace de travail, réfléchir à l’ergonomie des flux et anticiper les problèmes.

En matière d’amélioration de conditions de travail, vous avez lancé l’an dernier un Fact (fond d’aide pour l’amélioration des conditions de travail) sur la prévention de l’usure professionnelle. De quoi s’agit il ?

Cet appel à projet a reçu 57 dossiers dont 31 ont été retenus et financés à hauteur d’un million d’euros. Parmi les projets, 22 concernent des actions collectives menées par des groupes d’entreprises appartenant à un territoire ou à une branche professionnelle. Notre objectif était de tirer des enseignements et d’engager des outils et des méthodes afin de prévenir la pénibilité des tâches. La moitié des demandes concerne l’industrie manufacturière. Par ailleurs, différents dossiers ont porté sur la démarche d’analyse des risques. Certains associent les salariés parfois de manière originale avec l’usage de la vidéo ou de jeux sérieux afin de partager la notion de pénibilité dans l’entreprise et déboucher sur des plans d’action.
Pouvez-vous nous citer un exemple réussi d’action collective ?

Nous avons notamment soutenu une action collective menée par des entreprises adhérentes à la Fédération nationale du transport (FNTR) Loire. Elles ont entrepris de réduire la pénibilité en travaillant sur différents fronts comme le travail de nuit ou les expositions aux vibrations. Dans cette perspective, elles ont par exemple négocié avec leurs clients la révision des horaires de livraison. D’un autre côté, elles ont intégré dans le cahier des charges d’achat de leurs nouveaux camions des niveaux de vibrations garantis. Ce qui permet d’inciter les constructeurs à en faire un critère déterminant.
Par ailleurs, quid de l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Lorsqu’on analyse l’histogramme des effectifs dans les ateliers, on s’aperçoit que les femmes et les hommes ne font pas le même travail. Par exemple, dans un atelier réunissant à l’origine à parts égales un personnel masculin et féminin, on se retrouve 10 ans plus tard avec une majorité de femmes. Les hommes sont soit partis soit ont été appelés à occuper des fonctions supérieures comme conducteur de machine ou chef d’atelier. On s’aperçoit alors que ce sont souvent les femmes qui accomplissent le travail le plus pénible et le plus répétitif mais souvent sur des tâches moins visibles ou spectaculaires que celles accomplies par des hommes. C’est une des causes d’inégalités entre homme et femme. Voilà pourquoi nos préconisons d’établir un diagnostic de la démographie historisée de manière à voir où sont affectées les personnes et quels sont leurs parcours, quelles sont les conditions de travail et comment les améliorer. En accomplissant cette démarche, les entreprises s’aperçoivent qu’elles améliorent ainsi les conditions de travail de toutes et tous.

Quelles actions prévoyez-vous de mener en 2017 ?
Nous venons de lancer un nouvel appel à projets pour améliorer les conditions de travail. Il s’adresse aux entreprises qui souhaitent engager des démarches de refonte de leurs organisations du travail. Les solutions managériales devront répondre aux besoins économiques et sociaux des entreprises et intégrer en tout ou partie certaines directives en termes de management participatif, enrichissement du contenu du travail, coopération, soutien managérial. Ce Fact intéresse aussi les acteurs relais d’un territoire ou d’une branche professionnelle. Nous nous montrerons attentifs aux projets d’appui méthodologique et d’accompagnement des partenaires sociaux dans la conduite de négociations globales sur la QVT et en lien avec l’organisation du travail et le management. Les porteurs de projets ont jusqu’au 21 avril prochain pour transmettre leur dossier.

Propos recueillis par Eliane Kan

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