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Santé et qualité de vie au travail

 Harcèlement moral : les employeurs ne sont plus automatiquement tenus pour responsables

Associée au bureau de Nantes (Loire-Atlantique) du Cabinet Cornet, Vincent, Ségurel, cette avocate explique que, dans un arrêt du 1er juin 2016, la Cour de Cassation ne tient désormais plus systématiquement l'employeur pour responsable du harcèlement de ses employés sur d'autres.

Un arrêt de la Cour de cassation vient éclaircir la jurisprudence concernant la responsabilité du chef d’entreprise en matière de harcèlement moral. Pouvez-vous préciser ce qu’il en est ?

La notion de harcèlement moral a été évoquée dans la loi de modernisation sociale de 2002. En fait, il n’y a pas de définition précise. Pour sa part, l’article 1152-1 du code du travail stipule : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Comme on le voit, il ne s’agit pas là d’une définition du harcèlement moral mais plutôt d’une définition de ses conséquences – que l’on retrouve d’ailleurs dans le code pénal. Les magistrats ont donc une très grande latitude d’interprétation.

Le stress et l’anxiété peuvent-ils être qualifiés de harcèlement moral exercé par un manager sur son collaborateur ?
La caractéristique du harcèlement moral, c’est la répétition des comportements abusifs. Attention, c’est peut-être plus rare, mais le harcèlement moral ne s’exerce pas que par un manager sur son subordonné. L’inverse existe également ! En revanche, il s’agit toujours d’un délit complexe à prouver – et donc à condamner. Dans les faits, le salarié qui emmène son employeur devant les Prud’hommes doit rapporter non pas la preuve formelle de l’existence de faits de harcèlement moral mais de simples présomptions : des déclarations écrites de la part de collègues, des mails qui attestent de la pression exercée ou d’insultes… Chaque dossier est particulier. Et, dans tous les cas, c’est le magistrat qui apprécie les faits, au cas par cas. De son côté, l’employeur a la charge de rapporter la preuve qu’il n’y a pas eu de harcèlement moral.

Pourquoi les employeurs sont-ils systématiquement condamnés alors que ce ne sont pas forcément eux qui exercent le harcèlement moral ?
Parce que les responsabilités sont difficiles à définir. D’ailleurs, c’est tout l’intérêt de l’arrêt 1er juin 2016. En effet, en cas de harcèlement moral, la question se pose de savoir qui est vraiment responsable : le chef d’entreprise ou le supérieur hiérarchique qui harcèle ? En droit, devant le conseil des Prud’hommes, c’est l’employeur qui est responsable d’autant qu’il a une obligation de sécurité et de santé au travail. Qui plus est, il s’agit d’une obligation de résultat. C’est pourquoi la condamnation de l’employeur est presque toujours systématique. A côté de cela, rien n’empêche le salarié victime de harcèlement moral de saisir en plus la juridiction pénale contre le harceleur. Dans ce cas, ce dernier n’est pas forcément l’employeur mais le n+1.

Comment cette obligation de résultat en matière de santé et de sécurité au travail s’est-elle traduite dans la jurisprudence ?
Depuis 2006, la chambre sociale de la Cour de cassation considérait, de manière quasi systématique, que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité et de résultat, si des faits de harcèlement moral se produisaient dans son entreprise. L’employeur était fautif même s’il prouvait avoir pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements délictueux : procédure d’enquête immédiate, réunion d’information avec les délégués du personnel et le CHSCT, et dans l’hypothèse de faits avérés, départ (licenciement) du harceleur. Finalement, qu’il ait pris ou pas des mesures, l’employeur était automatiquement tenu pour responsable. Cette jurisprudence était fort sévère et très injuste surtout à l’égard des employeurs qui réagissaient fermement et rapidement, notamment en licenciant les harceleurs.

Y a-t-il eu des prémisses à une évolution plus favorable ?

La jurisprudence avait évolué le 25 novembre 2015 (arrêt Air France), la Cour de cassation estimant que l’employeur respectait son obligation de sécurité et de santé au travail s’il justifiait avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, notamment par des actions de prévention, d’information et de formation. Dans les faits, un chef de cabine d’Air France était présent à New York le fameux 11 septembre 2001 où ont eu lieu des attentats meurtriers entraînant la destruction des Twin Towers du World Trade Center. Ce salarié reprend alors un vol pour Paris et Air France met en place des cellules d’aide psychologique et des suivis psychologiques pour les salariés qui en avaient besoin. Quatre ou cinq ans plus tard, ce chef de cabine refuse de monter dans un avion pour prendre son service, suite à une crise de panique. Il sollicite alors des indemnités accusant Air France de n’avoir pas réussi à éliminer cette panique. Or les juges ont estimé que la compagnie avait, au contraire, mis en oeuvre tous les moyens nécessaires. Avec cet arrêt, la jurisprudence a commencé à avoir un sursaut sur l’obligation de résultat. Reste que cet arrêt est atypique car le jugement est survenu plusieurs années après les faits. Ensuite, les moyens mobilisés par Air France pour son personnel ont été très importants par rapport aux possibilités des PME. La question était de savoir si la Cour de cassation avait envie d’aller plus loin ? A ce sujet, l’arrêt du 1er juin 2016 confirme cette évolution.

Sur quoi portait cet arrêt de la Cour de cassation ?

Dans les faits, un agent de fabrication, qui exerçait en dernier lieu les fonctions d’agent de qualité, a sollicité la résiliation judiciaire au tort de son employer de son contrat de travail et, en même temps, il réclamait des dommages et intérêts pour harcèlement moral. La cour d’appel avait déjà rejeté l’affaire pour ce motif, estimant que l’employeur avait mis en place les moyens nécessaires pour faire cesser les faits : enquêtes internes, réunions de médiation avec le médecin du travail, le DRH et trois membres du CHSCT…

Que s’est-il passé ?
La Cour de cassation a estimé que la cour d’appel n’avait pas vérifié que l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention et avait mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral. Aujourd’hui, cela signifie que la responsabilité de l’employeur n’est plus automatique. A condition, toutefois qu’il respecte deux choses. Tout d’abord, la mise en place d’actions d’information : prévoir dans le règlement intérieur des procédures sur le harcèlement moral (détection, enquête, réunion de médiation…). Il y a aussi les mesures de formation à l’attention des managers (comment détecter des situations de harcèlement moral, comment les gérer et réagir ?). L’arrêt du 1er juin 2016 de la Cour de cassation adresse un message clair aux employeurs : « Organisez-vous en amont pour prévenir ce type de faits délictueux. » La seconde chose consiste à mettre fin au harcèlement moral. Ce qui, après analyse des faits avérés, conduit généralement à licencier le harceleur. C’est aussi ce que je conseille à mes clients qui sont souvent de grandes structures. Pour l’employeur, ne rien faire, c’est s’exposer à voir sa responsabilité engagée.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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