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Sûreté et sécurité

Guillaume Morat (Pinsent Masons) : « Bientôt une nouvelle réglementation européenne pour les drones civils »

Interview de cet avocat au bureau parisien (40 avocats, 14 associés) du cabinet international Pinsent Masons (2.600 personnes ; 1.700 avocats dont 410 associés). Guillaume Morat commente la résolution adoptée par le Parlement européen pour poser les bases d'une réglementation européenne sur les drones civils.

Où en est la réglementation européenne sur les drones civils ?

Le 29 octobre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution destinée à poser les bases d’une réforme de la réglementation applicable à l’utilisation des « Véhicules aériens sans pilote » (Unmanned Aerial Vehicle : UAV) ou drones1. L’objectif affiché par les autorités européennes consiste à adopter une réglementation harmonisée à l’échelon européen afin de favoriser l’émergence d’un marché sur le Vieux Continent qui recèle un potentiel de croissance économique immense. Alors que la réforme de la réglementation applicable à l’utilisation des drones civils est annoncée au niveau européen depuis plus de deux ans déjà, de nombreux pays européens, y compris la France – qui est d’ailleurs l’un des premiers pays à avoir adopté une réglementation dédiée aux drones civils2 – souhaitent faire évoluer leur réglementation nationale notamment en ce qui concerne le survol de zones non autorisées3.
Quelles sont les grandes lignes de cette future réglementation ?
Dans sa résolution adoptée le 29 octobre 2015 sur l’initiative de la Commission des transports, le Parlement européen a souligné la nécessité de disposer d’un cadre clair et commun pour garantir les investissements et la sécurité liée à l’utilisation des drones civils. Cette future réglementation impactera les usages grand public ainsi que les utilisations professionnelles. Elle touchera les fabricants de drones, les exploitants ainsi que les opérateurs de drones. Dans sa résolution, le Parlement a eu l’occasion d’identifier les grandes lignes de la réglementation européenne. En particulier la nécessité de distinguer les usages récréatifs et commerciaux des drones qui constituent ainsi deux catégories distinctes par nature.
D’autres nécessités ?

Oui. Celle de prévoir une réglementation qui soit proportionnée aux risques représentés par chaque utilisation, tout en se fondant sur les catégories établies par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et les caractéristiques des systèmes d’aéronefs télépilotés (poids, domaine d’exploitation, vitesse). Citons également la nécessité de prévoir un encadrement spécifique pour les « vols hors vue », c’est-à-dire sans contact visuel du télépilote, qui devra être adapté aux risques inhérents à ces vols tout en favorisant le développement de ce mode opératoire.
Y a-t-il un palier en termes de poids des engins ?
On parle de supprimer le seuil de 150 kilogrammes selon lequel seule la réglementation des drones dont le poids est supérieur soit confiée à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), les appareils de poids inférieur relevant de la compétence des autorités nationales. Il y a aussi la nécessité de garantir la sécurité des biens et des personnes ainsi que la protection de la vie privée et les données à caractère personnel.
Quelle est la position du Parlement européen vis-à-vis de la sécurité et du respect de la vie privée ?

L’utilisation des drones civils suscite en effet des problématiques en matière de sécurité. D’une part en ce qui concerne la sécurité de l’espace aérien. Et, d’autre part, en ce qui concerne la sécurité des données susceptibles d’être enregistrées par les drones. Le survol de zones non autorisées est déjà largement réglementé au niveau national. Il s’agit en l’occurrence d’harmoniser à l’échelon européen les règles liées au survol. Le Parlement européen considère qu’il est nécessaire de favoriser le développement de technologies de détection et d’évitement pour empêcher les collisions avec d’autres usagers. Et éviter le survol des zones à risques telles que les zones densément peuplées, les aéroports, les centrales nucléaires et les installations chimiques.
Qu’en est-il de l’identification, voire de la neutralisation des drones ?
Selon le Parlement européen, « l’identification des drones, quelle que soit leur taille, est essentielle ». En effet, il préconise que les drones soient équipés d’une « puce d’identification et [soient] enregistrés pour garantir la traçabilité, la responsabilisation et la bonne application des règles de responsabilité civile ». Si les drones doivent ainsi faire l’objet d’une immatriculation, il est possible que celle-ci concerne tant les drones utilisés par des professionnels que les aéromodèles utilisés par le grand public. Il est également envisageable que les drones soient équipés – à l’instar des avions de ligne – d’un transpondeur afin de pouvoir les repérer en permanence. Enfin, le Parlement européen est venu réaffirmer la nécessité de s’intéresser aux problématiques suscitées par l’utilisation des drones civils sur le plan de la protection de la vie privée et des traitements de données à caractère personnel, ce qu’avait d’ailleurs déjà rappelé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)4. De même, le groupe de l’article 29 qui réunit l’ensemble des autorités de contrôle européennes avait – dans un avis publié le 16 juin 2015 – recommandé l’adoption du principe de « Privacy by design », c’est à dire intégrer le respect de la vie privée directement dans la conception, le fonctionnement et les usages relatifs aux drones civils5.
La réglementation européenne tient-elle compte des drones conçus et fabriqués en Open Hardware ?
En l’état, le Parlement européen n’en fait pas du tout état dans sa résolution. D’ailleurs, le principe de « Privacy by design » a été évoqué non pas par le Parlement européen mais par le groupe de l’article 29. Même si le Parlement insiste sur la sécurité tant des données personnelles que des zones survolées non autorisées.
Comment cette réglementation européenne va-t-elle impacter la réglementation française ?
Même s’il est prématuré de se prononcer sur le contenu de la réglementation européenne qui s’annonce, il est intéressant de relever que la réglementation française répond déjà, en partie, à certaines lignes directrices qui ont été dégagées par le Parlement européen dans sa résolution.
C’est-à-dire ?
La réglementation française impose un certain nombre d’obligations et des démarches administratives (attestation, inscription, certification, autorisation) aux constructeurs, aux exploitants et aux télépilotes en fonction, notamment, de la catégorie d’appareils (catégorie A à G) et du scénario de vol envisagé (scénario S1 à S4). La réglementation française distingue d’ores et déjà l’utilisation des drones civils professionnels et des aéromodèles (i.e. drones de loisir grand public). De même, la réglementation française prévoit des dispositions spécifiques applicables aux vols hors vue (interdiction de piloter selon ce mode opératoire dans un véhicule en mouvement, etc.). Il est actuellement possible de faire voler des drones de loisir en vue directe en dessous de 150 mètres, à l’exception notamment de certaines zones géographiques (agglomérations, zones situées à proximité d’aérodromes, zones sensibles, etc.) ou encore des rassemblements de personnes hors agglomération, sauf autorisation préfectorale après avis du service de la Défense et de la direction régionale de l’aviation civile6. En revanche, la réglementation française est particulièrement contraignante concernant la prise de vues aériennes par appareil photographique, cinématographique ou par tout autre capteur qui sont prohibés par principe7.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le Parlement rappelle la nécessité d’associer l’AESA aux travaux destinés à se doter d’une nouvelle réglementation européenne. De même, le groupement Joint Authorities for Rulemaking on Unmanned Systems (Jarus), qui est un organe international réunissant les autorités nationales de l’aviation civile de 22 États, devrait également être amené à jouer un rôle prépondérant dans les travaux destinés à assurer la coordination de la réglementation à venir avec les dispositions internationales en vigueur dans des pays tiers à l’Union européenne. La Commission doit maintenant élaborer une proposition qui devrait être présentée d’ici la fin de l’année dans le cadre du futur « paquet aérien » destiné à réformer les règles liées à l’aviation civile.

Propos recueillis par Erick Haehnsen
1 Résolution du Parlement européen du 29 octobre 2015 sur l’utilisation sûre des systèmes d’aéronefs télépilotés (RPAS), plus connus sous le nom de véhicules aériens sans pilote (UAV), dans le domaine de l’aviation civile (2014/2243(INI))
2 Arrêté du 11 avril 2012 relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord – Arrêté du 11 avril 2012 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent
3 Voir par exemple, le projet d’arrêté (2015/0149/F – T10T) qui a été notifié en mars 2015 par les autorités françaises à la Commission européenne, en application de la directive 98/34/CE.
4Lettre innovation et prospective de la Cnil – n°6, décembre2013 http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/La_CNIL/publications/DEIP/LettreIP6.pdf
5 Opinion 01/2015 on Privacy and Data Protection Issues relating to the Utilisation of Drones, 16 juin 2015
6 Face au développement grandissant des aéromodèles, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a décidé de publier les dix règles pour l’usage des drones de loisir : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Drones-civils-loisir-aeromodelisme
7 Toute personne qui souhaite réaliser des enregistrements d’images ou de vidéos est tenue d’effectuer une déclaration, sous peine d’une contravention de cinquième classe – Code de l’aviation civile, article D133-10 et R151-1.

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