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Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Emilie Bourdu (La fabrique de l'industrie) : « Les modèles émergents prônent l'autonomie au travail et la capacité à s'exprimer »

Interview de cette chef de projets chez La fabrique de l'industrie, un Think Tank de réflexion collective sur les perspectives de l’industrie en France et en Europe, l’attractivité de ses métiers, sur les opportunités et les défis liés à la mondialisation. Elle est co-auteure d'une étude pluridisciplinaire intitulée ''La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité''.

Pouvez-vous nous présenter votre Think Tank ?
Nous sommes un laboratoire d’idées créé pour que la réflexion collective sur les enjeux industriels gagne en ampleur et en qualité. Ce lieu de réflexion et de débat est co-présidé par Louis Gallois, président du conseil de surveillance de PSA Peugeot-Citroën, et Denis Ranque, président du conseil d’administration d’Airbus Group.  »La Fabrique » a été fondée en octobre 2011 par des associations d’industriels comme l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), le Cercle de l’Industrie, le Groupe des fédérations industrielles (GFI), rejoints en 2016 par le Groupe des industries métallurgiques (GIM). Nous étudions tous les thèmes relatifs à la compétitivité industrielle. Avec 9 collaborateurs, nous produisons 15 à 20 publications par an. Chaque année, nous participons à près de 30 débats.
Comment La fabrique en est-elle venue à traiter le thème de la Qualité de vie au travail (QVT) ?
L’idée de cette étude est partie d’un projet, il y a deux ans, sur les leviers négligés de la compétitivité. Nous en avons identifié quatre : la normalisation, la QVT, le design et le prix de l’immobilier. L’année dernière, nous avons traité la normalisation. L’étude sur la QVT sort ce mardi 11 octobre.
Au départ, vous n’êtes pourtant pas des spécialistes du secteur…
Exact ! Nous nous sommes rapprochés de l’Association nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et de ses agences régionales, les Aract, et plus particulièrement de l’Aract d’Île-de-France avec Marie-Madeleine Péretié. Nous avons également fait participer le Think Tank Terra Nova avec Martin Richer. Nous avons aussi sélectionné 11 entreprises pour étudier leur façon de mettre en place la QVT afin de voir le lien entre QVT et compétitivité.
Quelles sont les grandes parties de l’ouvrage ?
Dans un premier volet, nous expliquons de façon théorique ce qu’est la QVT, à savoir un héritage de plusieurs traditions scientifiques ainsi qu’un sujet de compromis entre acteurs sociaux… C’est aussi un sujet d’engouement pour les médias. Il y a aussi une convergence entre la qualité de vie au travail et la Responsabilité sociétale des entreprises. Toujours dans ce volet, nous montrons qu’il existe tout un foisonnement d’outils pour mesurer la QVT en s’appuyant sur des modèles connus. Notamment les approches centrées sur la santé au travail et les approches psychologiques et comportementales. Enfin, nous montrons pourquoi les entreprises ont intérêt à s’engager dans des démarches de QVT. En particulier pour que l’engagement des salariés impacte la performance des organisations. Dans ce contexte, les pratiques managériales, la QVT, l’engagement et la performance entretiennent des liens multiples. Dans un second volet, nous faisons remonter des expériences de terrain : mettre en place une nouvelle organisation, donner du sens à l’activité, viser de meilleures relations professionnelles et sociales, communiquer et informer, prendre au sérieux l’environnement physique, soutenir les managers, apprécier les résultats même émergents…
Quels principaux enseignements retirez-vous ?
Il y a un point de vue que nous voulions défendre : parler de QVT, c’est avant tout parler du travail et de son organisation. Par exemple, le psychosociologue du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Yves Clot, dit qu’on ne peut pas être bien au travail si on n’a pas la possibilité de bien le faire. La parole empêchée, génère du stress et du gâchis. En abordant la question des critères de la qualité du travail, il estime que ceux-ci diffèrent selon les interlocuteurs. La question est alors de savoir comment arriver à en discuter tous ensemble. Un consultant de son équipe a mené une mission sur la ligne de montage des portes à l’usine Renault à Flin qui connaissait des problèmes de qualité. Observation, captation vidéo, débats animés autour des vidéos … il y a eu des discussions avec les ouvriers, les syndicats, puis le management. Une organisation a été mise en place avec des référents pour remonter les problèmes, puis un référent de référents et un logiciel de gestion des remontées des problèmes.
Où en la France en matière de QVT ?
La proportion des salariés qui déclarent que leur supérieur leur dit comment faire leur travail était de 14,2% en 1998, de 18,4% en 2005 et de 19,3% en 2013 . On voit que cette relative progression traduit une baisse de l’autonomie des salariés. Est-ce dû à l’effet de la crise économique qui s’accompagne de réductions budgétaires et d’un retour aux pratiques tayloriennes ? Par ailleurs, la France est également mal placée au niveau de l’organisation participative. D’ailleurs, l’indice de distance hiérarchique entre les salariés et leurs supérieurs est plus grand en France que dans d’autres pays. La moyenne mondiale s’établit à 57, à 40 pour les États-Unis, 35 pour le Royaume-Uni à égalité avec l’Allemagne. Cette distance est le reflet de structures pyramidales lourdes et d’un intérêt aigu pour les signes extérieurs de pouvoir (la secrétaire, le bureau individuel et la voiture de fonction).
Avec la mouvance de la QVT, on sent pourtant un certain frémissement…
Oui, les choses bougent grâce à des modèles émergents qui prônent l’autonomie au travail, la responsabilisation, la capacité à s’exprimer sur son travail. Tout ceci a un impact favorable sur l’engagement des salariés et les performances globales et individuelles.
Quels sont ces modèles ?

Tout d’abord le Lean Management par Toyota. En France, il a commencé par être mal appliqué. On s’est mis à chronométrer les tâches des salariés, à les priver des temps morts et à réduire les emplois. Or, bien compris, le Lean Management vise l’amélioration continue proposée par l’opérateur qui peut faire part de ses avis et prendre les décisions pertinentes au bon niveau. Le Lean Management montre que les collaborateurs sont experts de leur activité. Au final, il permet de répondre aux besoins du client avec moins d’efforts.
Que dire de l’entreprise libérée ?
Elle est difficile à définir même si on en parle depuis les années 1930 ! Il s’agit, néanmoins, de management participatif, d’organisation du travail par groupes autonomes, d’aplatissement des structures hiérarchiques, de renoncement aux symboles des privilèges. Il en ressort un travail collaboratif et partagé sur la vision et le projet de l’entreprise ainsi que sur ses valeurs. Il inclut aussi un allègement des contrôles au profit de l’autonomie. Ce modèle n’est pas fait pour toutes les entreprises : un groupe peut être aussi autoritaire qu’un chef ! A côté de l’entreprise libérée, il y a aussi l’entreprise responsable, celle qui met en place la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), réfléchit à toutes ses parties prenantes et se montre attachée un mode de gouvernance plus partagé. Ce que l’on peut retenir de ces différentes démarches, c’est qu’elles ouvrent la voie à des organisations responsabilisantes et apprenantes. Ce respect et cette bienveillance envers les salariés améliorent la productivité.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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