Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Dominique Saitta (Consultant en SQVT) : « Un salarié qui va bien travaille bien »

Aujourd'hui consultant indépendant, Dominique Saitta est un ancien ingénieur en prévention, responsable du service prévention de la Carsat Aquitaine jusqu'en 2013. Il fait partie de ceux qui ont lancé le réseau Santé et qualité de vie au travail SQVT-Nouvelle Aquitaine. Il a également contribué au développement de la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale des organisations (RSO). Lors de l'Atelier des Préventeurs (5 octobre à Paris); il interviendra sur le rôle du préventeur en entreprise.

Comment en êtes-vous venu à la prévention des risques professionnels ? 

C’est un hasard de carrière. Après mes études d’ingénieur, j’ai trouvé un poste à la caisse régionale d’assurance maladie de Normandie en 1980. J’avais 30 ans. Tout ingénieur qui entre dans un service de prévention de la sécurité sociale doit passer par 11 mois de formation complémentaire en alternance : droit du travail, droit de la sécurité sociale, techniques de prévention et techniques de communication. Ça m’a énormément plu ! Du coup, je suis resté durant toute ma carrière dans la branche accidents du travail de la sécurité sociale. J’ai occupé différents postes : responsable de formation, responsable de service adjoint. Puis je suis passé à la Caisse nationale, en charge de l’animation d’un comité paritaire de la métallurgie qui déterminait la politique de prévention au niveau national pour toute cette branche. Dans ce contexte, j’ai découvert la normalisation.

RPS, emploi des seniors, la pénibilité… Toutes ces réflexions vont dans un sens où le travail apparaît comme une activité qui dégrade la personne. N’est-ce pas une vision pessimiste du travail ?
C’est vrai que la vague de suicides massifs à France Telecom nous a conduit à engager ces réflexions au sein du Réseau SQVT-Nouvelle Aquitaine. Pourtant, quelqu’un qui travaille a, en général, deux fois moins de chances de se suicider qu’une personne inactive. Cela signifie que le travail est, au contraire, un facteur d’équilibre individuel… Sauf si on dégrade les conditions dans lesquelles on l’exerce. Donc, l’idée de départ du réseau, que nous porterons lors de l’Atelier des préventeurs (5 octobre à Paris), c’est d’améliorer les conditions de travail sans négliger non plus les conditions de sécurité et de santé. On voit un certain nombre d’entreprises qui disposent d’un baby-foot dans la cafétéria. Ce qui ne les empêchent pas d’exploiter leurs salariés avec des objectifs impossibles à réaliser, des conditions de travail difficiles, de la pression psychologique. Ce n’est pas le week-end de barbecue de Team Building qui va changer les choses. 

Une fois qu’on a compris l’intérêt de la SQVT, comment faire adhérer les salariés ?

En fait c’est impossible tant que l’employeur n’a pas compris l’intérêt de la démarche de SQVT. Pourtant un salarié qui va bien travaille bien. 

Pourquoi est-ce si difficile de faire comprendre la SQVT à un employeur ?

Tout d’abord, la pression du résultat au jour le jour décale l’intérêt d’investir dans des démarches à moyen et long termes. D’autant que, dans les grands groupes, les cadres changent de poste tous les deux ou trois ans. Pour cette raison, les résultats de la démarche SQVT ne doivent pas se faire sentir trop tardivement. Quoi qu’il en soit, il faut toujours en passer par une phase de dialogue avec le personnel. Ensuite, les Carsat ont peu d’actions directes envers les dirigeants. Celles-ci restent difficiles à monter car ils n’ont pas assez de temps. La prévention, telle qu’elle est souvent pratiquée dans les caisses, est une prévention de réparation. Dans un second temps, nous essayons réellement de passer du curatif au préventif. Enfin, l’employeur n’apprécie pas trop que des organismes extérieurs viennent leur faire la morale chez eux. Par ailleurs, ce sont surtout les syndicats de salariés et les instances représentatives (CHSCT) qui reprennent la main au niveau de l’entreprise. Le dirigeant s’abrite derrière cette sorte de délégation. En tous cas, la prévention n’est pas sa priorité. C’est un tort si l’on se réfère à Dupont de Neumours qui, après avoir instauré une démarche de sécurité au travail, a constaté que le groupe avait de bons résultats économiques et maîtrisait ses risques. Conclusion : une entreprise qui maîtrise ses risques est plus rentable et plus performante. Le groupe américain a alors formalisé sa démarche et a revendu cette méthodologie à de nombreuses entreprises internationales. En particulier dans le secteur de la chimie. 

Dans ce contexte, comment faire adhérer tous les salariés à la prévention des risques ?

Il faut instaurer des méthodes qui vont permettre aux salariés d’exprimer leurs priorités sur l’amélioration du travail et des conditions de travail. J’ai contribué à une formation à la SNCF dont le thème était  »Produire en toute sécurité ». Cela nécessite un pré-diagnostic sur le dialogue social interne ainsi qu’un préventeur car il aura les compétences en dialogue social et en animation. Il s’agit de faire circuler un questionnaire, organiser des groupes thématiques, par exemple, avec les différentes personnes d’un atelier pour voir ce qui pourrait avancer. C’est un moyen de recueillir un certain nombre d’attentes. Ensuite, il conviendra de structurer les instances de décision pour piloter le projet. 

Quelle est la plus grande difficulté ?

Maintenir cette démarche dans le temps. Il faut non seulement tenir sur les moyen et long termes mais surtout maintenir la cadence. En sachant que les cadres changent de poste tous les deux ou trois ans. Parfois, ce sont les actionnaires qui changent. Dans ce cas, les priorités diffèrent. Par ailleurs, ce qui pénalise la prévention des risques, c’est que les les résultats ne sont pas immédiats. De plus, ils sont invisibles​, ils ​​se traduisent par une absence de sinistres ou de conflits.
 

Pour sensibiliser au mieux dirigeants et cadres, avez-vous travaillé avec des écoles de commerce ? 

Pas avec des écoles de commerce mais avec des écoles d’ingénieur. En 1989, j’ai réuni les 11 directeurs d’école d’ingénieur de la région Midi-Pyrénées. En 30 ans, les choses ont progressé mais les vraies démarches restent marginales. Ces rendez-vous ont été loin d’être organisés tous les ans. Une raison : les employeurs n’expriment pas cette demande. Il ne faut pas oublier que les dirigeants sont aussi pris dans la nasse : si leurs résultats baissent, ils sautent… D’ailleurs, nous avons créé un groupe dans le cadre du Réseau SQVT-Nouvelle Aquitaine pour réfléchir sur la santé des dirigeants. À cet égard, Nous nous appuyons sur les travaux d’Olivier Torrés, professeur à l’université de Montpellier. Il a créé l’institut Amarok qui travaille spécifiquement sur la santé des dirigeants.

Quels sont les points positifs que vous avez observés ? 

Les échafaudages de sécurité sur les chantiers se démocratisent. Les produits chimiques sont mieux maîtrisés. Les machines dangereuses sont capotées… En 30 ou 40 ans, les progrès au plan technique sont énormes. En revanche, le dialogue effectif, le dialogue social, la pression de la productivité, la pression psychologique ainsi que la précarisation de l’emploi augmentent dangereusement les risques non matériels.

Qu’attendez-vous de la journée du 5 octobre ?

J’espère que ce rendez-vous sera régulier, que les gens intéressés se mettront en réseau, qu’ils garderont le contact avec les membres de cette communauté. 

Un dernier point important pour les préventeurs ?

Ne venez pas avec des solutions toutes faites. Elles n’existent pas. En revanche, sachez poser les bonnes questions. C’est l’entreprise qui trouvera les bonnes réponses. 

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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