Gérer les risques
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Risques industriels et environnementaux

Communication de crise : mieux vaut prévenir que guérir

A l'heure du smartphone et des réseaux sociaux, la moindre crise fait le buzz. Comment gérer la crise à chaud ? Et surtout, comment prévenir les risques ? Interview de Cathy Bubbe, spécialiste en communication de crise au cabinet de relations de presse RPCA (groupe WPP), membre du réseau international Hill & Knowlton.

La gestion de crise est devenue une discipline à part entière. Quelle est l’ampleur de ce phénomène ?
Qu’il s’agisse de l’accident d’avion de Christophe de Margerie à Moscou, de l’explosion d’AZF à Toulouse ou de celle de la plate-forme pétrolière Deepwater de BP dans le golfe du Mexique en 2012, de l’effondrement massivement meurtrier du bâtiment Rana Plaza au Bangladesh l’année dernière… toutes les organisations sont susceptibles d’avoir à gérer des crises. Mais il est difficile de mesurer l’étendue de la communication de crise car, lorsqu’on en fait, aucune organisation ne s’en glorifie. Il y a une réelle confidentialité dans la profession. Une chose est sûre : son importance stratégique s’accroît avec le développement de l’Internet mobile sur smartphones et avec les réseaux sociaux.
Lorsqu’une crise se déclenche, pourquoi l’organisation doit-elle absolument parler ?

Parce que la nature a horreur du vide ! Salariés, client finaux, distributeurs, fournisseurs syndicats de salariés, syndicats professionnels, médias, pouvoirs publics, banquiers, investisseurs… chaque entreprise opère au sein d’un écosystème qui représente un grand nombre de publics. Si elle ne s’adresse pas elle-même tout de suite à ces différentes publics, soyez sûrs que d’autres vont s’en charger à sa place ! Il peut s’agir tout à la fois de concurrents, de salariés de l’entreprise sous couvert d’anonymat, de syndicalistes et surtout des médias ! Ces derniers chercheront à savoir pourquoi la crise a lieu et qui est coupable… Si l’entreprise ne prend pas l’initiative de parler, elle ne maîtrisera plus rien.
Jusqu’où peut aller la transparence ?

Tout ce que l’organisation dit doit être vrai et vérifiable – et même vérifié – par les experts. Il faut être très vigilent là-dessus. On n’est pas obligé de tout dire tout de suite. Si l’on ignore certains aspects des causes d’un accident, c’est normal. On peut donc tout simplement le reconnaître et indiquer que des enquêtes sont en cours. Au moment où l’on en saura davantage, il suffira de donner un rendez-vous pour informer les publics. Lorsque l’entreprise communique, elle rassure ses publics, elle démontre qu’il y a un pilote dans l’avion. Le pire, c’est de mentir car il vient toujours un moment où certains s’en rendent compte. Les réactions sont alors sans pitié.

Quelles sont les organisations championnes de la communication de crise ?

Toutes les grandes organisations ont une cellule de communication de crise avec, le plus souvent, une War Room, c’est-à-dire un grande pièce dotée de plein d’écrans informatiques et des postes de travail pour les Community Managers.
Quelle organisation faut-il mettre en place avant de devoir gérer des crises ?
Il s’agit d’une organisation très classique. Bien sûr il faut démarrer par l’analyse globale des risques. Laquelle sert de tronc commun aux assureurs et aux pouvoirs publics (Seveso, IPCE) ainsi qu’au service qualité et au service communication. A partir de là, notre profession mène ses propres audits pour déterminer la typologie des risques potentiels de crise, à quelle occurrence ils sons susceptibles de survenir et avec quelle intensité. Il en découle un dispositif d’organisation et des outils de communication. Le dispositif d’organisation comprend la constitution d’une cellule de crise qui rassemble les experts (directeur juridique, DRH, directeur qualité…) par typologie de risques ainsi qu’un décideur, le plus souvent, le directeur général, et bien sûr la direction de la communication interne et externe. Bien entendu, il peut également y avoir un cabinet de relations de presse.
Comment fonctionne cette cellule ?
Tout d’abord, il s’agit d’une cellule  »dormante ». Ce n’est qu’en cas de crise qu’elle s’active selon selon un schéma de procédures précises : qui appelle l’huissier qui va dresser les constats, qui dépêche les experts qui vont mener l’enquête… Chacun sait qui doit faire quoi. Au résultat, on obtient une chaîne opérationnelle de commandement qui utilise des outils de communications déjà préparés qu’il ne reste plus qu’à adapter aux circonstances. L’important, c’est la rapidité de la réaction. Chaque minute compte. Ensuite, cette se réunit dans un lieu prévu à cet effet. Ce lieu doit être sûr en termes de sécurité, de confidentialité. Il doit disposer de téléphones et d’ordinateurs connectés, voire d’équipements vidéo.
Que se passe-t-il lorsque survient la crise ?
Dès la première réunion, on regarde si tous les membres de la cellule ont respecté les procédures. Ensuite, la cellule va gérer la crise au plan technique, c’est-à-dire au niveau de sa résolution concrète. En parallèle, elle va assurer la communication tactique. Attention, dans le feu de l’action, certains ont tendance à mettre la communication de côté. Ils ont tort. Aujourd’hui, les grandes entreprises l’ont compris. de fait, en matière de communication, il faut ne recourir qu’à des porte-paroles prédéfinis par typologie de crise. Ex: directeur de l’usine pour un incendie. Plus le drame est important, plus le temps de parole est important et plus élevé doit être le profil du speaker. Par exemple, pour le crash du Concorde, c’est le patron d’Air France qui a pris la parole. Devant un tel drame, on ne pouvait pas faire moins.
Comment élabore-t-on les outils de communication de crise ?
Ces outils sont, pour l’essentiel, des messages, des explications, parfois accompagnées de schémas ou d’images. Ces messages sont adaptés ou plutôt nuancés en fonction des publics destinataires. Mais le fond reste le même. Comptez une dizaine de typologies de risques et une dizaine de messages dans chacune d’elles ! Ensuite, il y a la tactique. Par exemple, contacter en premier l’AFP qui, à son tour, touche ensuite les autres médias. Cependant, aujourd’hui, tout se complexifie avec les réseaux sociaux qui nécessitent d’avoir des  »radars », à savoir des logiciels de Big Data qui écoutent, identifient et filtrent, à partir de mots-clé, ce qui se dit sur les réseaux sociaux et les forums au sujet de la crise de l’entreprise. Ensuite, il faut intervenir là où c’est nécessaire en disant bien que c’est l’entreprise qui parle. Là aussi, il faut être transparent. Objectif : détruire des rumeurs et rétablir l’information.
Quand la crise se termine-t-elle ?
Tout d’abord lorsqu’elle est résolue au plan technique (l’incendie est éteint). Ensuite, lorsqu’il n’y a plus de  »bruit » autour. Mais il en reste toujours quelque chose. qu’on le veuille ou non, cette crise s’inscrira dans l’histoire de l’entreprise. Et elle doit l’intégrer dans sa communication. A côté de cela, un histoire chasse l’autre très rapidement.

Propos recueillis Erick Haehnsen

Cathy Bubbe, spécialiste en communication
de crise au cabinet de relations de presse RPCA.
© Rachel Saddedine
Cathy Bubbe, spécialiste en communication
de crise au cabinet de relations de presse RPCA.
© Rachel Saddedine

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