Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Christian Lembeye  (réseau SQVT Nouvelle-Aquitaine) : « Le préventeur doit anticiper, communiquer et animer un réseau au sein de l'organisation »

Aujourd'hui consultant indépendant, ce médecin du travail retraité a été également médecin chef de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs pompiers (Ensosp). Il a contribué à la création du réseau SQVT Nouvelle Aquitaine. À l'occasion de l'Atelier des Préventeurs (5 octobre à Paris), il interviendra sur le rôle du préventeur en interne.

Comment en êtes-vous venu à exercer vos talents de médecin dans la prévention des risques professionnels ?
J’ai commencé en tant que médecin généraliste pendant 10 ans à Sabres (Landes). Mon cabinet était situé à côté de la caserne de sapeurs-pompiers. J’ai pu participer à leurs missions d’urgence en territoire rural. Pour aller plus loin, j’ai passé, en formation continue, plusieurs diplômes : médecine d’urgence (oxyologie), médecine de catastrophe. J’ai aussi pris l’engagement de devenir médecin sapeur-pompier volontaire puis passé le concours d’officier sapeur-pompier professionnel. J’ai donc quitté ma clientèle pour devenir sapeur-pompier ! J’ai ainsi participé à la création du service de santé et de secours médical, à savoir des équipes pluridisciplinaires composées de médecins, infirmiers, pharmaciens, vétérinaires et psychologues. Objectif : mener des missions d’urgences sur le territoire et assurer la santé et la sécurité des 250.000 sapeurs-pompiers français.

Est-ce de cette expérience que vous vient le goût de la prévention ?
Oui. Puis j’ai postulé au Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Landes. L’une des premières choses que j’y ai faites a été de contribuer à la mise sur pieds d’une association de formation médicale continue consacrée aux personnels de santé volontaires chez les sapeurs-pompiers. Puis on m’a confié le projet de formation continue de tous les personnels de santé des sapeurs-pompiers français. Je me suis retrouvé avec des pontes de la médecine d’urgence et de la médecine du travail ! Avec l’accord du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité civile, j’ai crée une équipe pour me conseiller. En 2000, j’ai quitté les Landes pour aller en région parisienne, en Seine et Marne, comme médecin-chef adjoint.

Sur le terrain, comment vous y êtes-vous pris pour faire adhérer les sapeurs-pompiers volontaires ou professionnels aux bonnes pratiques de prévention ?
Lorsque j’ai été reçu médecin chef de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs pompiers (Ensosp) et, à ce titre, j’ai pu travailler avec le colonel Christian Pourny qui avait été chargé par le ministre de l’Intérieur de rédiger un rapport sur la sécurité des pompiers. Cette mission a duré de 2003 à 2004. Il faut dire que, peu de temps auparavant, cinq sapeurs-pompiers avaient été mortellement renversés par un automobiliste à Loriol (Drôme) et cinq autres, de la BSPP étaient décédés suite à un incendie. Dix morts en si peu de temps… L’émoi était grand. Il avait monté une équipe de 150 officiers pour enquêter sur 10 thèmes prévus, soit 15 personnes par thème dont un leader par équipe. En 2004, ce rapport a donné naissance à la loi de sécurité civile.

Qu’a changé cette loi ?
Elle a conduit à la création Comités hygiène et sécurité (CHS) des sapeurs-pompiers qui, par la suite, sont devenus des Comités hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT). La profession a aussi été reconnue comme étant un métier dangereux pour les sapeurs-pompiers professionnels et comme une activité à risque pour les sapeurs-pompiers volontaires. Nous avons alors créé un bureau de prévention, enquêtes et accidents. La loi avait édicté la mutualisation possible des différents SDIS. Naquit alors un véritable réseau de prévention ! C’est ainsi que les réseaux et la communication se sont construits. Nous avons pu partager un grand nombre de retours d’expérience et de bonnes pratiques, sous l’autorité de la Sécurité civile en lien avec les collectivité territoriales. Cette structure, à mon avis, est très intelligente.

Comment a émergé le réseau SQVT Nouvelle Aquitaine ?
Lorsque j’ai été médecin chef de l’école nationale, j’ai eu la chance de connaître Roger Bertrand, président de l’Assemblée nationale québécoise qui était venu en France pour présenter son travail. En matière de sécurité et de santé au travail (SST), les Québécois ont une longueur d’avance sur la France. J’ai été détaché à l’Université de Bordeaux en 2007, chargé de mission pour développer la recherche en SST chez les sapeurs-pompiers. Là, j’ai participé à une étude pilotée par la Sécurité civile et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) sur la mortalité des sapeurs-pompiers professionnels. C’est là aussi que j’ai rencontré à nouveau nos amis Québécois. A Bordeaux, on venait de terminer une plate-forme SST dans laquelle il y avait plusieurs entreprises, sous la houlette de la délégation de l’Afnor de Bordeaux. Il était prévu de l’arrêter au bout de 4 ans afin de clôturer l’étude. Était également présent le bureau de normalisation du Québec. Tous les chefs d’entreprises entendirent le 28 avril 2011 les retours d’expérience de leurs collègues qui avaient travaillé pendant 4 ans au sein de la plate-forme. Puis le bureau québécois a pris la parole pour décrire l’expérience du Québec. Les plus de 300 chefs d’entreprise présents se sont dit : pourquoi ne pas s’inspirer de l’expérience québécoise ? D’où la création en 2012 du réseau SQVT Nouvelle Aquitaine. Cela a été le premier réseau de ce type en France. Maintenant, il y en a partout, toujours sous le pilotage de l’Afnor.

Pourquoi l’Afnor ?
Essentiellement pour son savoir-faire en matière de création de consensus et de processus d’amélioration continue. Cela a permis de faire émerger une dynamique capable de développer la prise en compte de la SQVT (Santé et qualité de vie au travail) chez les dirigeants en France. L’idée, c’est d’avoir une vision globale et positive de la SST. En tant que médecin, je trouve que la richesse du réseau, c’est la pluridisciplinarité. En termes de richesse, les discussions réunissent le médecin, le préventeur, le qualiticien, le psychologue du travail, le décideur, l’infirmier, le syndicaliste… C’est pour cela qu’on s’occupe à la fois de santé, de qualité de vie et de travail. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. On est dans le collectif et l’esprit d’équipe chers aux sapeurs-pompiers.

À votre avis, quel doit être le rôle du préventeur en interne ?
Capital ! C’est une plaque tournante, un conseiller de la haute direction dans toute organisation, un facilitateur de la mise en relation de tous les métiers qui participent à la SST. Son rôle est avant tout interdisciplinaire : écouter, voir, accompagner à partir des situations réelles. Il accompagne le chef d’entreprise afin de l’aider à percevoir les signaux faibles, de trouver des solutions et anticiper. Son rôle est donc stratégique. Le préventeur ne doit pas être uniquement dans la paperasse du document unique, des normes, des lois réglementations… Il doit aussi anticiper, communiquer, animer un réseau au sein de l’organisation dans laquelle il travaille. Il faut savoir qu’il y a énormément de salariés qui ont de bonnes idées intéressantes pour l’entreprise publique ou privée. C’est une source d’amélioration de la qualité pour la performance économique et sociale de l’entreprise qu’il faut entendre, relayer, accompagner, sensibiliser, engager. Le tout avec des marges de manœuvre réalistes. La bonne nouvelle, c’est que bon nombre d’idées intéressantes sont peu onéreuses à mettre en œuvre !

Le nouveau contexte législatif lié à la loi Travail, risque-t-il d’amoindrir les politiques de prévention (C3P, médecine du travail…) et de réduire le rôle du préventeur ainsi que des instances représentatives du personnel (CHSCT…) ?
Non. J’ai confiance en l’humain et dans le collectif.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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