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Santé et qualité de vie au travail

Angoisse, stress, burn-out... Les femmes des artisans du bâtiment sont des victimes collatérales

Au quotidien, ces femmes soutiennent et accompagnent leur compagnon et leur entreprise de bâtiment. Pour la moitié d'entre elles, ce sont les petites mains de l'ombre. Mais, à l'instar de leur mari, elles connaissent aussi des situations de stress et de fatigue au travail, voire de burn-out sans équivoque, rapporte une étude de la Capeb et de Iris-ST. Focus sur un rapport émouvant et préoccupant d'un monde professionnel de femmes où l'on souffre en silence.

C’est un véritable non-dit qui est en train d’être dévoilé. Alors que le stress, la dépression et le burn-out dans le milieu du bâtiment et des travaux publics (BTP) sont devenus des états de fait, reconnus et largement médiatisés, les artisans du bâtiment sont aujourd’hui confrontés à une réalité longtemps passée sous silence : ces symptômes touchent également les femmes et en particulier les leurs. Telle est la révélation de l’étude qui vient d’être annoncée par la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), à l’occasion de ses Journées professionnelles de la Construction.

De père en fils. L’artisanat du bâtiment fait partie de ces rares milieux où le schéma familial est resté intact depuis des décennies. En effet, le métier se transmet souvent de père en fils tandis que les conjoints d’artisans sont à 99% des conjointes. Une vie de dévouement, voire d’abnégation, s’ouvre alors pour ces femmes qui, tout en entretenant le foyer familial, se retrouvent souvent les secrétaires officieuses de leur mari. Œuvrant dans l’ombre, elles ont à subir des situations de grand stress où se croisent pêle-mêle affaires familiales, sentimentales, inquiétudes du lendemain et avenir de l’entreprise. Cette enquête en ligne a été réalisée avec le concours de l’Institut de recherche et d’innovation en santé et en sécurité au travail (Iris-ST), ciblant les conjoints d’artisans du bâtiment (0 à 20 salariés), sur la France entière, sur la période de février-mars 2016 avec un échantillon de 529 répondants.

Évolution du statut. Pendant longtemps, les femmes d’artisan qui mettaient la main à la pâte dans leur entreprise (une femme sur deux) ont souffert du fait qu’aucun statut ne leur était décerné, les plongeant ainsi dans une situation bâtarde à mi-chemin entre la femme au foyer et la secrétaire non-rémunérée. Une situation qui a désormais changé puisqu’elles peuvent aujourd’hui bénéficier d’un statut légal (conjoint collaborateur, conjoint salarié et conjoint associé). Cette nouvelle pierre à l’édifice du droit des femmes leur a notamment valu de gagner en estime d’elles-mêmes à travers la valorisation professionnelle.
Or, aujourd’hui, elles subissent un sévère retour de bâton. D’après le baromètre de la Capeb, elles seraient 55% à être en proie au stress, au mal être et au burn-out. Il faut dire que, dans le milieu, on se tait. Le stress n’est pas un sujet dont on parle de peur de paraître illégitime face à un mari qui part dès l’aube sur le chantier… « Ce n’est pas évident de parler du stress car on touche à l’intime », confiait à notre confrère Batiactu Catherine Foucher, présidente de la Commission nationale des femmes d’artisan, créée en 1979 au sein de la Capeb.

Difficile de différencier vie pro et vie privée. Dans le creux de la vague, tout le problème de ces femmes réside dans la difficulté à séparer vie pro et vie privée. « Nous avons un rôle d’assistante de direction avec le volet gestion du personnel en plus » explique Catherine Foucher. Il y a facilement de quoi se laisser submerger. Ainsi, 85% des conjointes estiment-elles que les obligations professionnelles envahissent trop souvent leur quotidien à la maison. Résultat, 48% d’entre elles admettent qu’elles ne sont pas suffisamment disponibles pour leur entourage. Ce qui génère pour les mères un sentiment de culpabilité, l’impression de ne pas être suffisamment présente pour leurs enfants et leur famille. Donc un stress supplémentaire. On pourrait croire que travailler à la maison pourrait résoudre ce problème, ce que font d’ailleurs 55% d’entre elles, or il n’en est rien. Au contraire même, tout est amplifié, les conjointes se retrouvant bien souvent à gérer les pleurs des enfants, en même temps que le travail quotidien.
Conséquence : les conjointes ne trouvent plus de temps pour elles. Du reste, c’est la famille qui prime. 29% des conjointes dédient leur temps libre aux sorties et loisirs avec les enfants, tandis que 28% d’entre elles s’accordent tout de même quelques sorties avec leur mari. Reste un point positif : la moitié de ces femmes s’offre une activité extra-professionnelle. « C’est encore insuffisant ! Il faut les encourager à penser à elles. La sérénité génère moins de stress et elle est aussi bénéfique pour les résultats de l’entreprise », martèle Catherine Foucher.

Éponger le stress du mari. Bien sûr, d’autres facteurs d’inquiétude entrent en jeu. A commencer par le poids administratif pour 57% des femmes. Paperasse, déclarations d’impôts, cotisations sociales, réponses à des appels d’offres, factures, gestion des salariés, elles s’efforcent de délester leur mari du maximum de la charge de travail afin qu’ils puissent mieux se concentrer sur le chantier. Autre stress non moins négligeable, celui du chef d’entreprise (54%). Avec un manque de visibilité sur l’avenir (54%) et des difficultés de trésorerie (elles sont 50% ! ), les épouses sont les principales voire les seules confidentes de leur mari dans l’entreprise. Elles sont là pour éponger les coups de chaud, calmer les doutes et soutenir au quotidien. Du coup, de leur côté, elles encaissent.
La lassitude et la fatigue (50%) érodant au fil du temps leur quotidien, certaines en sont réduites à chercher des solutions de substitution. 11% avouent avoir déjà passé le cap du somnifère pour réussir à s’endormir le soir. Face à cet état de fatigue, de nombreux troubles physiques et psychiques émergent. Irritabilité, nervosité, angoisse… 55% souffrent de troubles émotionnels. 47% sont affectées par des douleurs musculaires ou articulaires et 23%, de maux de tête ou encore de troubles digestifs (21%).

Soutien psychologique. Espérons que la situation s’améliore un jour et qu’une prise de conscience se fasse dans la profession. Quelques outils ont d’ores et déjà été mis en place. A commencer par une convention signée avec la mutuelle des artisans (MNRA) afin d’ouvrir un numéro Cristal d’assistance téléphonique) pour les conjointes. La confidentialité des entretiens étant garantie au préalable, les compagnes pourront bénéficier d’un accompagnement social et d’un soutien psychologique de la part d’un psychologue clinicien. Qui plus est, des aides à la vie courante, personnelle ou professionnelle seront assurées par des assistantes sociales au téléphone.

Ségolène Kahn

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