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Santé et qualité de vie au travail

Adeline Cher (Carsat Norst-Est) : « Les restrictions médicales liées aux TMS peuvent engendrer des tensions dans les équipes »

Responsable du pôle ergonomie et risques psychosociaux, dans le département prévention des risques professionnels à la Carsat du Nord-Est, Adeline Cher nous éclaire sur l’importance de mobiliser les salariés et la hiérarchie dans la prévention des risques de troubles musculosquelettiques (TMS). Dans le cadre de l’Atelier des Préventeurs (6 juin à Paris), elle explique également l’intérêt d’élaborer collectivement les solutions et de rendre durable la démarche de prévention.

Comment mobiliser les salariés et la hiérarchie pour prévenir les risques TMS ?
La mobilisation, c’est la première étape et aussi la plus importante car elle va déterminer toute la suite de la démarche de prévention. Il y a une réelle nécessité de faire comprendre les enjeux économiques, humains et sociaux. Au plan économique, on pense aux coûts des TMS, notamment au taux de cotisation lié aux accidents du travail (AT) et maladies professionnelles (MP). Plus il y en a, plus le taux augmentera. Ces coûts sont imputés sur le compte employeur qui va rembourser les frais avancés par l’Assurance maladie. Le taux est calculé tous les ans et les employeurs le prévoient dans leur budget. Mais s’il y a une recrudescence de TMS, il peut y avoir une augmentation imprévue des dépenses qui peut pénaliser l’entreprise. Il y a aussi des coûts indirects liés à l’absentéisme. Il faut alors remplacer la personne absente soit en répercutant la charge de travail sur d’autres collègues soit en faisant appel à un intérimaire… qu’il faut recruter, accueillir et former. Ces coûts indirects sont rarement bien identifiés, spécifiés ou calculés.

Y a-t-il d’autres coûts ?
Oui, les coûts humains. Les TMS engendrent de la douleur. S’ils ne sont pas soignés à temps et qu’ils s’installent, ils peuvent générer des restrictions médicales. Par exemple, la personne reste apte à garder son poste mais elle ne peut plus porter de charges lourdes ou mettre son bras en élévation. Si le handicap s’aggrave, certaines personnes sont déclarées inaptes par le médecin du travail. A ce moment-là, soit l’employeur leur trouve un autre poste soit elles sont licenciées pour inaptitude. Elles perdent beaucoup !

Justement, qu’en est-il du coût social ?
Comme nous venons de le voir, celui-ci peut aller jusqu’à la perte d’emploi. Il y a aussi l’interaction avec les autres salariés. Si une personne a une restriction médicale, ses collègues vont devoir supporter la surcharge. Cela peut générer des conflits, des tensions. Par exemple, lorsque les personnes tournent sur plusieurs postes, celle qui a une restriction ne pourra pas tous les occuper. Notamment les plus pénibles. Du coup, ses collègues devront réaliser les tâches les plus contraignantes. L’idée de la mobilisation est de faire comprendre tous ces enjeux, non seulement à la direction de l’entreprise, mais aussi aux managers de proximité et aux employés en associant, bien sûr, les représentants du personnel.

Combien de temps réclame cette action de mobilisation ?
Cela dépend de la maturité de l’entreprise en matière de prévention des risques en général et de prévention des TMS en particulier. Celles qui ont déjà l’habitude de gérer leur Document unique et qui suivent leurs indicateurs de prévention, analysent leurs AT et font des formations, sont déjà assez matures. D’autres le sont moins. Dans une usine de 40 personnes peu mature, on peut tabler sur deux ou trois heures pour conduire l’action de mobilisation. Il faut aussi faire passer le message selon lequel les TMS sont multifactoriels. Souvent, quand on intervient, les entreprises ont déjà pris des mesures de prévention des TMS. Par exemple, avec l’achat d’une table élévatrice… qui se révèle peu ou pas utilisée. Il faut comprendre pourquoi. En fait, les entreprises ne prennent souvent en considération que l’aspect biomécanique du problème des TMS. Pas l’aspect global de l’organisation du travail, de la répartition des tâches, des facteurs psychosociaux comme le ressenti du travail, les dysfonctionnements, les pertes de temps, les conflits entre les personnes, les imprécisions dans l’attribution des tâches…

Comment poser le bon diagnostic ?
Il faut analyser le travail réel. Certaines entreprises sont en capacité de le faire. Autrement, elles font appel à un conseil externe : un cabinet de consultants, un Intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP). Objectif : analyser le travail réel. En fait, cette analyse prend en compte la globalité de la situation de travail et ce que l’on appelle les « déterminants », c’est-à-dire les causes organisationnelles et techniques des facteurs de risque. Ensuite, l’idée est de réduire les facteurs de risque en transformant les situations de travail.

Est-ce ainsi que l’on trouve les solutions ?
Les solutions, qui sont organisationnelles et techniques, ne peuvent s’élaborer qu’en les co-construisant avec les salariés concernés, les représentants du personnel, le bureau des méthodes s’il y en a un, la DRH et la DG. Ces solutions sont collectives car il faut toujours trouver des compromis entre productivité, qualité, santé et finances. Mais il est important de souligner que les solutions ne sont pas toujours coûteuses. C’est le cas des solutions organisationnelles. Par exemple, une meilleure répartition de la rotation des postes. Ensuite, certaines solutions techniques ne sont pas non plus onéreuses. Parfois, c’est le service maintenance qui va modifier un poste. Il peut aussi y avoir une maintenance préventive plus régulière.

Comment engager l’entreprise dans un vrai projet de maîtrise du risque ?
Souvent, l’écueil dans la prévention des risques professionnels, c’est que les entreprises commencent puis s’arrêtent. Or, pour avoir une prévention durable, il faut pérenniser cette démarche avec un système d’amélioration continue en suivant les indicateurs de prévention et en analysant les situations de travail les unes après les autres. Et en réévaluant régulièrement les facteurs de risque, notamment lorsqu’il y a une nouvelle ligne de production ou de nouvelles machines.

Qu’attendez-vous de l’Atelier des Préventeurs ?
J’attends que les participants échangent sur leurs pratiques de prévention des risques de TMS et évoluent dans la compréhension de cette problématique et de cette démarche.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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