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Sûreté et sécurité

Dominique Legrand (AN2V) : « Nous allons travailler main dans la main avec la Cnil »

Interview du président de l'Association nationale de la vidéoprotection (AN2V) qui créé un groupe de travail avec la Commission nationale Informatique et Libertés (Cnil) sur deux points : un système de lecture des plaques d'immatriculation pour réagir en temps réel. Et passer de la reconnaissance faciale à la comparaison faciale en contrôle d'accès.

La dernière réunion de l’AN2V a eu lieu le 21 septembre dernier. Son programme portait sur des questions juridiques. Quels en étaient les enjeux ?
Nous avons parlé de la Lecture automatique de plaques d’immatriculation (Lapi). Sous ce terme, les forces de l’ordre, dans leur véhicule, filment les plaques minéralogiques tout en accédant en temps réel au Fichier des personnes recherchées (FPR). Si le système bipe, les forces de l’ordre peuvent stopper le véhicule et arrêter les personnes qui s’y trouvent. Ce système est très efficace mais aussi trop ponctuel. Pour arrêter les frères Kouachi, il aurait fallu que les caméras de vidéosurveillance soient couplées à des caméras spéciales, des caméras de Visualisation des plaques d’immatriculation (VPI) qui fonctionnent sur le même principe que les radars fixes qui flashent les voitures en excès de vitesse.
Et quel est le problème ?

Les communes ne sont pas équipées pour être efficaces, face au terrorisme et à la grande criminalité. Elles ont installé des caméras dôme dans la rue. Mais celles-ci ne voient rien : elles peuvent regarder ailleurs que là où il faut, elles peuvent être éblouies par le soleil, avoir une image floue de la plaque minéralogique… Au final, les Pétaoctets (milliers de Téoaoctets) vont s’entasser dans des disques durs que personne ne lit. Excepté pour les cas exceptionnels où on s’en sert en mode  »élucidation », c’est-à-dire après la catastrophe, en mobilisant des dizaines, voire des centaines de personnes pour les lire afin de trouver les informations pertinentes dans un océan de données.
Face à ce constat, quelles seraient les solutions ?

Les caméras VPI ou les enregistreurs de vidéosurveillance [Network Video Recorders (NVR)] embarquent des logiciels de reconnaissance optique de caractères [Optical Caracter Recognition (OCR)]. Au lieu d’avoir des centaines de Téraoctets d’images à traiter, l’information pertinente, les numéros des plaques d’immatriculation, se retrouvent directement dans un tableau Excel.
Et c’est là qu’intervient la Cnil ?
Oui. car il n’est pas dans les attributions des collectivités locales de constituer des fichiers de plaques d’immatriculation qui représentent des informations à caractère individuel. Ces fichiers sont naturellement la chasse gardée de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes. Pourtant, les VPI et les caméras de vidéosurveillance de Paris des villes de la proche banlieue n’ont pas bipé la Citroën des frères Kouachi le 13 novembre 2015. Il a fallu 3 semaines pour reconstituer le scénario. Donc après coup. Alors que, contre le terrorisme, les cambriolages, les alertes d’enlèvement ou les Go Fast, il faut travailler en temps réel. On est dans une situation où on autorise les maires à ne faire que des choses qui ne marchent pas !
Quel serait le scénario à mettre en œuvre ?
Nous avons proposé que le tableau serve à avertir au fil de l’eau et en temps réel un service régalien qui reste à inventer. Celui-ci collecterait les signalisations des plaques recherchées. Surtout il pourrait interpréter ces informations. De son côté, l’élu se débarrasserait de ce fichier de blacklistés. Si une VPI lit la plaque KC-123-BK qui est recherchée, le système indiquera le degré d’importance de la signalisation. Si c’est écarlate, il faudra envoyer la police nationale ou la gendarmerie. Dès qu’un terroriste ou un enleveur d’enfant passe devant une caméra, elle doit biper. Le tracking peut-être très rapide. Mais, aujourd’hui, nos caméras sont aveugles, inutiles et inefficace.
Que s’est-il donc passé avec la Cnil ?
La Cnil nous a épaté : elle a dit que, par les temps qui courent, la situation actuelle posait problème. Voici la proposition de l’AN2V : laisser aux communes le soin de faire l’OCR, de construire le fichier, le crypter, le stocker et demander à un Officier de police judiciaire (OPJ) de le récupérer. Si, dans le fichier Excel, il y a un hit, il faut aussi pouvoir récupérer les 5 sec d’images correspondantes. A l’instar du flash radar qui permet de récupérer la vitesse, le numéro de la plaque d’immatriculation et la photo du conducteur. Seconde surprise : la Cnil a dit qu’il s’agissait d’une bonne idée. Il y avait une sacrée animation dans la salle. Du coup, je pose la question à l’assemblée : « Y a-t-il des constructeurs d’interfaces homme homme-machine pour logiciels centraux de Centre de supervision urbaine (CSU) capables de lancer l’OCR, de le crypter et de le rendre accessible à seulement qui de droit ? » Les mains se sont levées. Nous avons alors immédiatement créé un groupe de travail qui sera  »tamponné » par la Cnil avec laquelle nous travaillerons main dans la main. Il s’agira de déterminer ce que doit être ce fichier OCR, comment le constituer et où l’envoyer. Cela ouvre à nouveau d’incroyables perspectives aux communes : remettez vos caméras, doublez-les de VPI en sortie de ville ou de ronds points. De quoi redonner aussi des couleurs aux vendeurs de caméras, de NVR d’OCR.
Quels sont les changements imaginables ?
Tout d’abord, cela pourrait casser des silos. Aujourd’hui, rien n’est mis en commun donc les systèmes ne sont pas efficaces. Si la police nationale ou la gendarmerie nationale peuvent instaler des Lapi où elle le souhaitent, elles vont utiliser des cartes SIM 3G ou 4G pour transmettre leurs données alors que, avec de la concertation, elles pourraient utiliser la fibre optique, l’alimentation électrique et la caméra vidéo qui sont sur le même mât. D’autant que le territoire est couvert de caméras par les communes. Aujourd’hui, toutes ces systèmes sont disjoints, en silos. Or, si toutes les collectivités faisaient de l’OCR, les informations utiles pourraient remonter vers un service régalien. Bien sûr, il faut travailler à clarifier les usages autorisés autour de entre les collectivités et les services régaliens.
Vous avez aussi travaillé sur la  »comparaison faciale »…
Tout à fait. Nous avons posé la question : faut-il faire de la  »reconnaissance faciale » ou de la  »comparaison faciale » ? En pratique, la reconnaissance faciale est interdite. Du coup, nous avons introduit le concept de comparaison faciale. Sur un site Seveso haut, le service de sécurité fabrique des badges de contrôle d’accès avec la photo du titulaire. Il y a des tourniquets et même des caméras qui les regardent. Mais, aujourd’hui, si le porteur du badge n’en est pas le titulaire, rien ne se passe. La caméra le regardera et il passera ! Encore une fois, la caméra reste dans l’élucidation. Elle fabrique des Téraoctets d’images sans travailler en temps réel. Or mieux vaudrait qu’elle bipe en cas de badge volé. Sur ce second sujet, la Cnil a indiqué qu’il n’y avait aucun problème pour travailler ensemble. D’autant que, dans le cas du site Seveso, par exemple, la société a déjà l’autorisation d’exploiter son fichier de photos qui, d’ailleurs, sont sur les badges. Bien sûr, ce sujet sera également traité dans le nouveau groupe de travail.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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