Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Les risques psycho-sociaux, une menace permanente pour les professionnels de santé

Les nombreux cas de burn-out et de suicides dans le secteur de la santé ne sont pas une fatalité, à condition de prendre en compte la qualité de vie au travail des personnels. Au final, la qualité des soins au patient s'en trouve améliorée.

Le malaise des soignants revient de manière tragique et récurrente dans l’actualité. Ce fut le cas, récemment, avec le suicide du Professeur Christophe Barrat. Ce chirurgien de 57 ans s’est suicidé par défenestration début février à l’hôpital Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Si les raisons de ce drame ne sont pas forcément claires, elle posent néanmoins la question des conditions de travail des soignants en milieu hospitalier. Or, les études montrent que la surcharge de travail (physique et mental) associée au stress, au sentiment de solitude ainsi qu’au manque de reconnaissance et de collégialité peut aboutir à des risques psycho-sociaux (RPS) graves.

49% des praticiens en burn-out
Les publications sur le sujet sont nombreuses. Les auteurs de la dernière en date, parue le 7 février dans la revue « Journal of Affective Disorders », ont synthétisé les données et analyses existantes qui portent sur 15 183 praticiens. Réalisée par des médecins rattachés à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM), l’étude montre que près d’un praticien sur deux (49%) éprouve un des trois symptômes caractéristiques du burn-out. A savoir l’épuisement émotionnel, la déshumanisation du métier et le faible accomplissement personnel. A noter que certaines catégories de praticiens sont plus touchées que d’autres. C’est notamment le cas des médecins urgentistes et des jeunes médecins – internes, chefs de clinique et assistants.

Plus de 12h de travail par jour

Ce mal-être est aussi partagé par les infirmiers, comme l’a mis en exergue une enquête lancée l’an dernier par l’Ordre des infirmiers, auprès de 18 653 infirmières et infirmiers travaillant comme salariés ou en profession libérale. Près de 60% déclarent travailler régulièrement ou fréquemment 12 heures ou plus par jour. Après la charge de travail (79%), ce sont les violences et l’agressivité (57%) du public qui sont considérées comme les principaux facteurs de mal-être. 83% des répondants affirment se sentir « très souvent » ou « parfois » émotionnellement vidés par leur travail. Enfin, plus de 90% des répondants estiment que cette situation a des conséquences sur leur vie sociale et familiale, leur santé, mais aussi sur leur efficacité professionnelle.

Plateforme d’écoute gratuite pour tous les professionnels de santé
Ce dernier point soulève la question de la qualité et la sécurité des soins. Voilà pourquoi, l’ensemble des ordres des professions de santé (dont celui des infirmiers et des médecins) ont décidé l’an dernier de co-financer un dispositif gratuit d’écoute et d’aide par téléphone. « Depuis l’ouverture de ce numéro en avril dernier, 3 000 appels ont été reçus », nous indique un des porte-paroles de l’Ordre national des infirmiers. Destiné aux professionnels de santé en détresse, ce service les met en contact 24h/24 et 7j/7 avec des psychologues cliniciens formés. Ces derniers peuvent leur apporter un soutien psychologique immédiat et, si nécessaire, les orienter vers un médecin, un établissement de soins ou vers tout autre service en cas de violence, agression, litige, mais aussi pour des questions d’ordre déontologique, juridique ou administratif.

La surcharge de travail et le stress peuvent conduire
au burn-out. © AP-HM
La surcharge de travail et le stress peuvent conduire
au burn-out. © AP-HM

Création d’un Observatoire dédié à la QVT

La qualité de vie au travail des professionnels de santé est devenue une préoccupation majeure, partagée par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. En témoigne la création l’été dernier d’un Observatoire national dédié. Cette instance est présidée par le Professeur Philippe Colombat, chef du pôle cancérologie-urologie du CHRU de Tours, qui a acquis une solide réputation grâce à ses travaux sur le management participatif et la conduite du changement. L’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social est ainsi constitué de 12 experts reconnus pour leur engagement dans les ressources humaines et les conditions de travail. « Notre première mission contribue au développement des connaissances en recueillant des données quantitatives et qualitatives et en les mettant en ligne », indique Philippe Colombat.

Un retour d’expérience à suivre
« L’observatoire publie aussi des ressources pratiques telles que des guides et fiches techniques. Enfin, il propose aussi des retours d’expérience », poursuit le professeur qui cite, à cet égard, le programme « Opteamisme ». Cette action expérimentée depuis deux ans au sein du centre hospitalier Châteaubriant-Nozay-Pouancé (Maine-et-Loire) se décline sous forme d’ateliers et de pratiques managériales basées sur la bienveillance. Le programme a d’abord été mis en œuvre au sein d’une unité de 60 lits. En 2015, ce service souffrait l’été d’un taux d’absentéisme de 33%.

Philippe Colombat préside l'Observatoire de la QVT des
professionnels de santé. © D.R.
Philippe Colombat préside l’Observatoire de la QVT des
professionnels de santé. © D.R.

Travailler sur les pratiques managériales

Pour améliorer la situation, le programme se fonde sur plusieurs leviers. D’abord, il s’agit de travailler sur le bien-être et la santé des soignants avec des conseils sur la nutrition, le sommeil, etc. En outre, le travail sur les pratiques managériales a donné lieu à la création d’un manifeste et d’une charte du bien-travailler ensemble. Mais aussi à la révision des trames de planning et à la réalisation de fiches de tâches en coopération avec le personnel.

Amélioration des soins
Parmi les autres actions, citons l’accompagnement de la montée en compétences des soignants, l’amélioration de l’environnement de travail ainsi que la reconnaissance de la performance et la promotion des bonnes pratiques. Grâce à ce programme, l’absentéisme est tombé dans une fourchette d’à peine 5% à 8% en 2018 (contre 30% en 2015). Par ailleurs, les agents sont plus impliqués dans la dynamique de changement. Quant aux résidents, ils ont diminué leurs consommation de neuroleptiques. Signes que la QVT des soignants a un impact sur la qualité des soins.

L'amélioration de la QVT a un impact sur la qualité des soins.
© Centre hospitalier Châteaubriant-Nozay-Pouancé
L’amélioration de la QVT a un impact sur la qualité des soins.
© Centre hospitalier Châteaubriant-Nozay-Pouancé

L’impact des nouvelles technologies

Parmi les sujets sur lesquels s’interroge l’Observatoire figure l’impact des nouvelles technologies. Lesquelles peuvent avoir des effets négatifs en augmentant notamment la surcharge mentale de travail des professionnels de santé. Mais elles peuvent aussi avoir des points positifs. C’est du moins ce qu’espère le centre hospitalier Henry Ey (Eure-et-Loire). Cet établissement public spécialisé en psychiatrie a déployé en juin dernier une solution logicielle visant à répondre aux remplacements du personnel manquant.

Protéger les volontaires
Comme dans beaucoup d’établissements de santé, en cas d’arrêt maladie non programmé, il est nécessaire de rappeler en urgence des salariés avec le risque de les déranger dans leur vie familiale ou de leur faire effectuer trop d’heures de travail. Un problème que cherche à résoudre l’éditeur français Whoog, qui propose un logiciel de gestion des remplacements, sur la base d’un volontariat interne ou externe. « Notre outil est généralement interfacé avec le logiciel de gestion de temps des établissements de santé », indique Guerric Faure, le fondateur de Whoog qui compte parmi ses clients 40% des établissements publics de santé.

Jusqu’à 70 % de volontaires
Avec sa solution, l’attribution des missions se base sur le temps de repos et de travail accompli ainsi que sur les profils de poste des volontaires. A charge pour eux d’accepter ou non la mission, sans qu’ils aient à se justifier. « Le déploiement du logiciel s’est fait en accord avec les partenaires sociaux », insiste Fabien Aumeunier, directeur de la communication et des systèmes d’information du centre hospitalier. Sur ses 600 salariés, plus de 30% se sont portés volontaires. Un chiffre qui peut monter jusqu’à 70%, voire plus dans certains établissements. De quoi réduire les coûts de fonctionnement grâce à la suppression des remplacements par l’intérim tout en améliorant la QVT.
 

Eliane Kan

Le centre hospitalier Henry Ey dénombre 600 salariés
répartis sur plusieurs sites. © D.R.
Le centre hospitalier Henry Ey dénombre 600 salariés
répartis sur plusieurs sites. © D.R.

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