Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

La lutte contre l'addiction au travail s'organise au plus haut niveau

Cette question fait partie des priorités du nouveau plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022. Ce dernier prévoit notamment d'intensifier la formation des médecins du travail et de faire un rapprochement entre le nombre d'accidents graves et celui des consommateurs habituels de substances licites ou illicites.

L’addiction au tabac, alcool, cannabis, cocaïne et autres substances calmantes ou stimulantes ne relève pas de la seule sphère privée. Loin d’avoir des origines purement récréatives, cette consommation peut être liée au besoin de trouver l’énergie nécessaire pour poursuivre son travail ou se remettre d’une activité pénible, voire d’un management toxique. Le Baromètre santé 2014 réalisé par l’agence Santé publique France montre que les niveaux de consommation de drogues sont d’ailleurs plus élevés chez les actifs dans l’Hexagone. « C’est le cas notamment du tabac et des médicaments psychotropes », rapporte Patricia Coursault, directrice du travail et chargée de mission prévention-politique de la ville à la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives (MILDECA).
 

Nouveau plan de mobilisation contre les addictions

Cette instance est placée sous la tutelle du Premier ministre qui a approuvé, début janvier, le nouveau plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022. Ce programme prévoit notamment de faire de la lutte contre les conduites addictives une priorité de la santé au travail. OEt pour cause, 30,4% des personnes occupant un emploi fument quotidiennement, contre 29% pour les 18-75 ans. La consommation d’alcool est, elle aussi, préoccupante chez les personnes actives occupées, avec 7,3% de consommateurs à risques, 9,5% ayant des ivresses répétées et 18,6% ayant eu un épisode d’alcoolisation ponctuelle importante dans le mois. En matière de cannabis, 9% des actifs occupés en ont consommé dans l’année, 9,6% d’après le baromètre santé 2017. En ce qui concerne la cocaïne, son usage est en augmentation : elle est passée de 0,5% à 0,8% entre 2005 et 2014. Quant aux médicaments psychotropes, ils concernent 16,7% des actifs contre 13% pour les 18-75 ans.

Des niveaux de consommation différents selon les métiers

« Ces consommations sont liées pour partie à l’environnement de travail », explique Patricia Coursault. De nombreuses études ont montré des liens entre consommation et harcèlement au travail, ennui, horaires irréguliers ou décalés, niveau élevé de pénibilité des tâches, etc. A ces facteurs peuvent s’ajouter des pratiques culturelles qui favorisent la consommation d’alcool comme les repas accompagnés de bière ou de vin le midi, pots et autres afterwork. Selon les secteurs professionnels, les niveaux de consommation diffèrent. L’usage de substances psychoactives est surtout répandu dans les arts et spectacle, l’agriculture, la pêche, la construction, la restauration, le secteur des média et de la communication ainsi que les métiers en relation avec le public. Par ailleurs, les études montrent que travailler plus de 48 heures par semaine augmente de 12% le risque de s’engager dans une consommation à risque d’alcool par rapport à ceux travaillant de 35 à 40 heures par semaine. Les niveaux de consommation varient aussi selon les catégories socio-professionnelles et le sexe. A titre d’exemple, la prise de responsabilité chez les femmes se traduit par une plus grande consommation d’alcool, contrairement aux hommes. Enfin, les femmes cadres présentent un risque à l’alcool plus élevé que les ouvrières et artisanes, selon des résultats intermédiaires tirés en mai 2018 de la « cohorte Constances ».

Rapprocher les accidents graves et les consommations

Il s’agit d’une enquête épidémiologique menée par l’Inserm sur la base des données du régime général de sécurité sociale auprès de 200 000 adultes. Agés de 18 à 69 ans, ces volontaires fournissent périodiquement (questionnaires annuels et examens de santé tous les 5 ans) et de façon confidentielle des informations sur leur état de santé et leurs habitudes de vie (travail, alimentation, tabac, etc.). Un bon moyen pour aider les chercheurs à faire des recommandations afin d’élaborer les politiques de santé. L’exploitation des données de la cohorte Constances va contribuer à rapprocher le nombre d’accidents graves en lien avec le nombre de personnes ayant consommé des substances actives, de sorte à faire de la prévention. Il s’agirait d’une première, sachant que ce rapprochement n’a encore jamais été fait. Le plan 2018-2022 de la MILDECA prévoit aussi d’améliorer les connaissances et compétences des acteurs de la santé au travail dans le domaine des addictions, via un plan national de formation mis en place depuis fin 2015. L’un des enjeux est de former un grand nombre de médecins à la généralisation du repérage précoce et de l’intervention brève (RPIB), méthode validée par la Haute autorité de santé (HAS).

Vaincre les réticences de certains professionnels de santé

Cette approche repose sur un questionnaire remis lors d’une visite médicale au salarié afin qu’il indique la nature et le niveau de ses consommations d’alcool, de cannabis et de tabac, ainsi que les circonstances de l’usage de ces substances psychoactives. Les réponses apportées peuvent aider les médecins du travail à repérer les conduites à risques et engager une action de sensibilisation ou assurer un accompagnement durable afin de réduire ou d’arrêter ces consommations. La MILDECA souhaite que les médecins du travail appliquent le RPIB de manière systématique et qu’ils impulsent au sein des entreprises des démarches globales de prévention contre les addictions en lien avec les DRH et dans le cadre d’une politique portée par les dirigeants. Il faudra, toutefois, vaincre les réticences de certains professionnels de santé et des différents acteurs du monde du travail pour lesquels la question de la consommation des substances psychoactives reste une taboue. En effet, les conduites addictives relevant à la fois de facteurs personnels et professionnels, ils craignent de se trouver en porte-à-faux vis-à-vis des salariés.

Patricia Coursault, directrice du travail et chargée de mission prévention-politique de la ville. © MILDECA
Patricia Coursault, directrice du travail et chargée de mission prévention-politique de la ville. © MILDECA

Recours aux contrôles par éthylotest

Bon nombre d’employeurs sont déjà sur le pont. D’autant que depuis une quinzaine d’années, ils sont souvent condamnés en cas d’accident grave ou mortel provoqué par un employé sous emprise d’une substance. « Les actions de prévention menées par les entreprises consistent à analyser de manière systématique les accidents et les quasi accidents. Ce qui leur permet de faire ou non le lien avec la consommation de substances », rapporte Bertrand Fauquenot, formateur en charge de coordonner les démarches de prévention des risques professionnels et de santé au travail au sein de l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA), qui compte 90 intervenants en entreprises. Ce dernier remarque un recours aux contrôles par éthylotest par les employeurs qui veulent limiter les risques routiers des employés occupant des postes à risque. Autre nouvelle tendance, certains règlements intérieurs font désormais référence aux nouveaux systèmes de contrôles par tests salivaires pour dépister la consommation de drogues. « Mais il s’agit surtout, poursuit Bertrand Fauquenot, de mesures dissuasives qui sont rarement appliquées compte tenu du coût unitaire de ces dépistages. »

Eliane Kan

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