Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Sûreté et sécurité

Face à l'ubérisation, les installateurs doivent se « digi-dynamiser »

Sur le créneau des particuliers et du petit tertiaire, les artisans installateurs de systèmes de sécurité sont pris entre deux feux : les sites d'intermédiation et les objets connectés que l'on peut poser soi-même. Quelle est l'ampleur de la menace ? Comment réagir ?

La guerre de l’ubérisation et des objets connectés aura-t-elle lieu chez les installateurs-intégrateurs de systèmes de sécurité (détection d’intrusion, vidéosurveillance, contrôle d’accès…) ? La question suscite des débats houleux en voyant débarquer en force d’un côté des start-ups de l’économie collaborative comme Travaux.com, HelloArtisans ou FrizBiz. Lesquelles se proposent de mettre en relation les installateurs avec les particuliers ou les TPE qui font part de leurs demandes. D’un autre côté, les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), rois du numérique, du cloud, de l’intelligence artificielle et de la robotique, qui ne cessent de prendre des parts de marché avec leurs objets connectés. Sur ce terrain, la principale peur est venue de Nest, la filiale de Google qui fabrique des équipements grand public connectés à poser soi-même en Do It Yourself (DIY) : caméras de vidéosurveillance, thermostats, enceintes, détecteurs de fumées et de CO… C’est-à-dire soit en se passant purement et simplement d’installateurs soit en réduisant leur rôle à de simple  »poseurs ».

Les installateurs pris entre le marteau et l’enclume
Dans ce schéma, les ténors de l’économie numérique décident du prix de vente des produits au consommateur final. Forts de leurs sites de e-commerce, ils en profitent pour squeezer l’activité de négoce qui a fait les choux gras des installateurs. Résultat, les géants du digital raflent de la marge ds installateurs. Le tableau se noircit davantage dans la mesure où de nombreux industriels et acteurs de la grande distribution spécialisée se sont inspirés des méthodes marketing non seulement des Gafa mais aussi des licornes de l’économie collaborative (Uber, AirBnB…). Résultat, les installateurs se sentent écrasés entre le marteau de la vente directe via les sites de e-commerce et l’enclume des équipements connectés. De quoi laminer leurs marges.

Relativiser la menace des Gafa

Pour réelle qu’elle soit, cette menace doit également être relativisée. Tout d’abord, il convient de distinguer le marché du résidentiel de celui du petit tertiaire. En clair, les produits connectés DIY concernent essentiellement le domestique et le petite tertiaire. Donc pas l’ensemble du marché du contrôle d’accès, de l’interphonie, de l’identification, de la biométrie, de la détection périmétrique, de la vidéosurveillance, de l’anti-incendie… « En résidentiel, les occupants peuvent installer ce qu’ils veulent mais, en petit tertiaire, les installations de sécurité doivent être réalisées par un professionnel qui dispose d’une habilitation électrique, sous peine de se mettre dans l’illégalité », précise Stéphanie Tucoulet, secrétaire générale du syndicat des professionnels de la sûreté, vidéoprotection et détection incendie (SVDI).

Politique d’achat des grands : vers une dangereuse sous-traitance en cascade
A cette situation s’ajoute la politique d’achat des grands donneurs d’ordres. « J’ai connu une époque où le budget sécurité-sûreté était spécifique, à part. Aujourd’hui, il entre dans le champ des services Achats. Lesquels font la part belle aux grands acteurs du Facilities Management, décrit Philippe Blin, président du SVDI, nouvellement réélu. Ces derniers vont analyser les factures des prestations de maintenance de leurs systèmes de sécurité-sûreté et proposer 15% à 30% d’économies. Le problème, c’est que, dans la foulée, ils vont sous-traiter un certain nombre de prestations à des PME, des TPE, voire des auto-entrepreneurs qui ne sont pas toujours certifiés ni même qualifiés. Le pire, c’est que ce phénomène se développe à l’échelle européenne. »
Au final, selon une étude de 2017 de 3CA-BTP pour la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), le nombre des installateurs électriciens du BTP s’est écroulé de 75 000 salariés en 2009 à 68 000 en 2014. « En à peine cinq ans, nous accusons une perte de 10% des effectifs ! », constate Christophe Bellanger, président de l’Union national de l’artisanat 3E (électriciens, électrotechniciens, électroniciens). « En 10 ans, leurs recettes ont fondu de 13% en raison de l’atonie du marché de la construction neuve », mesure Sophie Breton, présidente du syndicat professionnel des Industries du génie numérique, énergétique et sécuritaire (Ignes).

Moraliser la profession
Pour sa part, le SVDI plaide en faveur d’une carte professionnelle pour la mise en service et la maintenance de la vidéosurveillance qui serait gérée par le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). « En effet, aujourd’hui, les entreprises clientes n’ont pas la garantie que l’installateur-intégrateur n’a pas de casier judiciaire », ajoute Stéphanie Tucoulet, directrice générale du SVDI. Rappelons que, grâce au Cnaps, le secteur des entreprises privées de sécurité s’est considérablement moralisé. En discussion avec le Cnaps depuis plusieurs années, le SVDI travaille d’ores et déjà avec l’Union des industries et des métiers de la Métallurgie (UIMM), la Fédération française du bâtiment (FFB), la Fédération française des entreprises de génie électrique et énergétique (FFIE) et l’Association nationale pour, la vidéoprotection (AN2V). « Pour commencer, notre demande auprès du Cnaps ne porte que sur la vidéosurveillance, sachant que celle-ci fédère la mise en service d’autres systèmes comme le contrôle d’accès et la détection d’intrusion, précise Stéphanie Tucoulet. A cet égard, son président, Philippe Blin, inscrit parmi les priorités de sa réélection la mise en place d’un Certificat de qualification, professionnelle interbranche (CQPI) pour les installeurs de vidéosurveillance.

Philippe Blin, président du SVDI.
© TCA-innov24
Philippe Blin, président du SVDI.
© TCA-innov24

Développer la fibre commerciale

Reste un point de blocage de taille chez les installateurs. Jusqu’ici, leur formation portait surtout sur la technique. Vient l’heure de rajouter à leur arc la corde du commercial. « Ils doivent renforcer leur présence sur le Net car les clients sont de plus en plus connectés et informés », explique Richard Chéry, président de la Fédération des grossistes en matériel électrique (FGME). Pour preuve, dans le cadre du diagnostic électrique, qui devient obligatoire à la location, il existe une application smartphone qui, en 9 étapes, permet de déterminer s’il existe un problème de sécurité électrique. « Dès le devis, l’électricien peut dire à son client que, une fois les travaux de mise en conformité réalisés, il délivrera une attestation qui affranchit le propriétaire du diagnostic électrique pendant 6 ans », reprend Richard Chéry. Une véritable opportunité commerciale ! Bien sûr, les installateurs-intégrateurs de la sécurité peuvent l’utiliser pour la partie électrique de leur mission. Mais surtout, ils ont intérêt à développer ce genre d’application sur smartphone pour la partie sécurité.

 »Digidynamiser » les TPME
Réunis du 19 au 21 avril derniers à Strasbourg lors des Journées professionnelles de la construction (JPC) organisées par la Capeb, les artisans et TPE ont réfléchi aux nouvelles voies de riposte. Et de faire voler en éclats les clichés de la profession : conservatisme, moyenne d’âge élevée, tradition orale du face à face… « 50% des artisans ont un site Web, 2/3 d’entre eux ont un smartphone, 39% une tablette et 38% sont inscrits à un réseau social. La moitié a déjà acheté en ligne des matériaux ou des équipements », avance Stéphanie Bigeon-Bienvenu, directrice de la communication et du digital à l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). Avec le mail, le GPS, la météo, les e-catalogues… Les installateurs-intégrateurs, même de petite taille, sont, en fait, à la page du numérique. Bien sûr, certains distributeurs spécialisés, comme Leroy Merlin ou Castorama, ont posté des centaines de tutos vidéo. « Faites pareil !, conseille Stéphanie Bigeon-Bienvenu. Actualisez votre site Web avec vos vidéos de chantier. Demandez à vos clients satisfaits de vous recommander sur les sites de notation. Transformez vos salariés en ambassadeurs numériques de votre entreprise. »

Bigeon-Bienvenu, directrice de la communication et du digital
à l'OPPBTP. © D.R.
Bigeon-Bienvenu, directrice de la communication et du digital
à l’OPPBTP. © D.R.

L’intelligence artificielle dans le sac-à-dos

Reste la question des plateformes d’intermédiation. Faut-il les bouder ? Oui si elles ubérisent les PME, TPE et auto-entrepreneurs. En revanche, d’autres plateformes jouent un véritable rôle d’apporteur d’affaires aux professionnels sans pour autant les inféoder. A l’instar de  »Trouver un pro » d’EDF qui comptabilise pas moins de 80 millions de visites par an ! Celle-ci aide les artisans à traduire la demande explicite ou implicite du client en chantiers et en équipements – davantage dans l’économique d’énergie que dans la sécurité. Dans cet esprit de partenariat, le fabricant alsacien d’équipements électriques Hager montre la voie : il est allé jusqu’à offrir à 4 000 électriciens un site Web gratuit, sans mention de la marque. Ce qui génère assez de données pour nourrir l’intelligence artificielle, brandée sous le nom de Hager Wattson. Laquelle qualifie la demande pour l’adresser ensuite aux artisans les plus concernés. Ces derniers l’embarquent dans une tablette pour visiter leurs clients afin d’établir sur place un devis réaliste.

Erick Haehnsen

Cette application d'intelligence artificielle
aide l'installateur à établir un devis dès la visite
chez le client. © Hager
Cette application d’intelligence artificielle
aide l’installateur à établir un devis dès la visite
chez le client. © Hager

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